« 75 Years of Marvel » par Roy Thomas

Lorsque Taschen sortit son monumental ouvrage fêtant les 75 ans de DC Comics en 2010, nombre de fans de Marvel espérèrent légitimement qu’il en serait de même pour les trois quarts de siècle de la vénérable Maison des Idées… Eh bien le rêve est exaucé avec ce gigantesque « 75 Years of Marvel – from the Golden Age to the Silver Screen » de plus de 700 pages en grand format qui vient de sortir. Le texte éclairant de Roy Thomas allié à près de 2000 reproductions extraordinaires font de cet ouvrage le plus beau jamais proposé en France sur le sujet.

© MARVEL/Courtesy TASCHEN

Comme ceux qui sont soit Beatles soit Rolling Stones, il y a ceux qui sont Marvel ou DC ; ça a toujours été ainsi. Deux états d’esprit, deux sortes de héros, deux dramaturgies, deux univers… Aujourd’hui, certaines différences se sont estompées, mais historiquement, la « Stan Lee touch » a tout changé, insufflant à l’univers super-héroïque une dimension humaine faisant de ces récits bien autre chose que de simples combats musclés. Plus que son fondateur Martin Goodman, c’est bien Stan « The Man » Lee qui a forgé l’identité révolutionnaire de Marvel en 1961, après une vingtaine d’années déjà passées chez Goodman en tant que responsable éditorial, rédacteur en chef, etc. Là où les super-héros DC étaient trop puissants, trop surhumains pour engendrer naturellement une identification de la part du lecteur (Superman venant de l’espace, Wonder Woman de l’île des Amazones, et même Batman, plus humain, reste inatteignable par le statut de play-boy milliardaire de Bruce Wayne), les super-héros Marvel, sous l’égide de Lee, étaient eux les réceptacles idéaux pour générer ce processus primordial. Alors que chez DC des super-héros pouvaient parfois se laisser aller à de rares moments où une nécessité d’intégration à la normalité humaine les rendaient plus proches de nous – quoique ne pouvant s’empêcher d’être toujours un peu trop « froids » –, dans un mouvement inverse les personnages de Lee étaient des êtres humains accédant au statut de super-héros sans que leur vie initiale soit balayée par cette nouvelle existence, au contraire : c’est bien elle qui allait donner tout le sel de l’histoire, ayant autant (plus ?) d’importance que les combats contre les super-vilains. Quand on voit l’empathie que ressentent les fans pour une Tante May au sein d’une publication où des types en costumes se mettent une raclée, tout est dit !

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Pour retracer l’histoire de Marvel Comics dans cet ouvrage appelé à devenir une référence absolue, le choix ne s’est pas porté n’importe qui, puisqu’il s’agit de Roy Thomas ! Avec un talent similaire à celui de Paul Levitz pour le livre sur DC, Thomas aborde la galaxie Marvel de la manière la plus juste possible, réussissant en une centaine de pages à synthétiser ce parcours historique sans déverser un flot d’informations indigeste, étant plutôt dans une érudition ludique, vivante, qui nous fait revivre cette épopée de façon passionnante. L’une des grandes qualités de Roy Thomas – outre sa capacité à mettre en scène d’innombrables faits et événements sans noyer le lecteur – est d’avoir expliqué ce qu’est Marvel, quelle est son histoire, qui sont ses acteurs, en la mettant constamment en perspective avec le contexte de l’époque. Contexte culturel et artistique, bien sûr (avec les autres maisons d’édition de comics, le cinéma, les pulps…), mais aussi politique, social, historique, moral, industriel, etc., nous faisant bien mieux comprendre le parcours des comics Marvel, mieux cerner leur visage. Étant lui-même l’une des grandes figures ayant œuvré à l’évolution de Marvel, Roy Thomas sait donc de quoi il parle ; il connaît parfaitement l’histoire des comics, travaille dans ce milieu depuis des décennies, ce qui lui permet de nous parler des coulisses et de nous faire découvrir qui se cachait derrière telle série, ce qui se tramait dans les bureaux, quels destins humains, quelles décisions, quels tours du sort ont abouti à tel personnage, tel concept, tel nouveau titre. C’est un vrai plaisir que de lire ce texte de Thomas, très agréable à parcourir et d’une grande richesse informative. Quant à Stan Lee, qu’en pense-t-il ? Eh bien il est ravi ! « Quel autre écrivain que Roy Thomas, l’homme que j’ai choisi comme rédacteur en chef après être devenu éditeur, aurait donc pu chroniquer aussi amoureusement les huit premières décennies de la Révolution Marvel ? Couvrant presque tous les coins et recoins de la Maison des Idées, des premiers jours de Timely Comics à la culture actuelle des films Marvel, ce coquin de Roy et l’équipe de Taschen ont minutieusement produit un livre d’histoire magnifique, qui lui-même résistera à l’épreuve du temps. » dit-il avec sa gouaille habituelle – mais non dénuée d’émotion.

© MARVEL/Courtesy TASCHEN

Visuellement, ce livre est un enchantement. Son grand format (29 x 39,5 cm) engendre une sensation d’immersion et de gigantisme mêlés, nous faisant admirer de vraies pièces de collection dans une taille qui permet l’observation détaillée tout autant qu’elle nous renvoie puissamment la force et la beauté graphiques de ces documents : on en prend plein les yeux. Cet ouvrage est un musée de papier… Un musée aux allées chronologiques, des origines à nos jours… Différents documents ont été choisis : couvertures et planches de comics, bien sûr, mais aussi reproductions d’originaux, portraits photographiques, jouets, affiches, publicités, captations de dessins animés, photos de tournage, objets de collection, etc. Comme cela avait été fait auparavant pour DC, Taschen a tenu à respecter une intention artistique qui me semble à la fois fantastique et remarquable quant à la logique des reproductions des documents. En effet, ici pas de Photoshop afin de gommer les défauts de pièces d’antiquité dont les couvertures sont parfois abîmées, usées par le temps et les lectures. Certaines pièces rarissimes sont présentées tel quel, dans le meilleur état possible mais portant néanmoins les stigmates du temps. Pas de tricherie, pas de fac-similé. Cette authenticité donne une âme au livre, qui échappe en même temps à l’écueil d’une fausse perfection n’embrassant que les apparences… Il y a une dimension humaine, dans cet hommage à Marvel, et ces « imperfections » dues au vécu expriment avec force et émotion cette relation passionnée qui existe depuis des décennies entre les lecteurs et les comics… Ce livre est le résultat de longues recherches chez les petits et grands collectionneurs, les artistes, les éditeurs, afin de trouver les perles rares qui émaillent l’ouvrage de leur beauté unique.

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Petit aperçu des merveilles… Les quatre chapitres de cet ouvrage sont introduits par une double page sur papier fort reprenant un dessin emblématique de la période concernée : papier glacé et couleurs argentées et dorées font de ces images un formidable spectacle pop, un régal pour les yeux, une invitation à l’immersion suscitant l’admiration. Puis c’est une incroyable iconographie qui accompagne chronologiquement le texte de Thomas, avec de nombreuses images en grand format. Certes, il y a les grands classiques, les incontournables, mais aussi beaucoup de raretés, de visuels introuvables, de documents d’époque d’un très grand intérêt. Ainsi, quel bonheur que de voir toutes ces images de l’Âge d’Or, débutant par des couvertures de pulps ! Si la Maison des Idées est connue pour ses super-héros, au fil du temps – que ce soit sous le nom de Timely, d’Atlas ou de Marvel – elle a publié des récits de toutes natures : science-fiction, fantastique, exotisme, guerre, western, polar, aventure, romance, humour, etc. Toutes ces facettes sont représentées ici, dressant un visage complet de la maison d’édition : une diversité vraiment très agréable à regarder aujourd’hui…

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Impossible de vous dresser ici la totalité des merveilles de l’ouvrage, bien sûr… Des couvertures mythiques ou peu connues reproduites en pleine page (« Captain America » #1, « All-Winners » vol. 2 #1 avec la sublime Blonde Phantom, l’étrangeté d’« Amazing Mysteries » #32, la dimension horrifique de « Captain America’s Weird Tales » #75, ou celle de « Spider-Woman » #32 avec les stars des films d’horreur américains classiques…). Des pages intérieures et splash pages rares ou/et remarquables (la magnifique double de « Captain America » #18 de 1942, toutes celles d’horreur et de SF des années Atlas, les Jungle queens & girls très sauvages et glamour, les beautés angoissantes de « The Picture » dans « Suspense » #8, « I took a journey into fear » dans « Journey into Mystery #63, « The Man in the Ant Hill » dans « Tales to Astonish » #27, ou le « Fin Fang Foom » de Kirby dans « Strange Tales » #89…). Des planches originales permettent d’admirer au plus près le talent des artistes (la splash page du tout premier épisode de « Spider-Man », planches des « X-Men », de « Thor », de « Fantastic Four », couverture de Steranko pour « X-Men » #49, ou la superbe couverture de Buscema pour « Silver Surfer » #1…), mais aussi des esquisses et autres beaux croquis des plus grands dessinateurs, ainsi que des guides couleurs… De grands artistes sont à l’honneur, comme Neal Adams, Gene Colan, Windsor-Smith, et bien sûr Kirby… Des agrandissements de cases donnent un relief incroyable aux dessins reproduits en pleine page, comme ce montage kirbyen dans « Fantastic Four » #51 qui revêt ici la somptuosité d’une œuvre d’art… ou les images de « Doctor Strange » qui bénéficient hautement de ces agrandissements, devenant fascinantes… Et puis il y a aussi cette séquence de « Nick Fury » #1 réalisée par Jim Steranko qui a droit ici à une reproduction en pleines pages dans un dépliant du plus bel effet, se déployant graphiquement sous nos yeux ébaubis. Mais il y a aussi… des extraits de rédactionnel ou d’annonces publiés dans les comics, des coupures de presse et des extraits de journaux de l’époque, des dédicaces, des objets de collection d’une grande rareté (comme ce badge d’honneur du fan-club de Captain America datant de 1941, ou le package complet que recevait les fans s’inscrivant au M.M.M.S.)… Enfin, des photos d’époque mettent un visage sur les différents protagonistes qui ont participé à l’aventure Marvel ; ces photos ne sont pas le moindre intérêt de cet ouvrage qui n’oublie jamais les hommes derrière les images, donnant à l’ensemble du livre une dimension réellement humaine. Au-delà des éditeurs, artistes et auteurs, des photos témoignent aussi de l’air du temps, avec ses kiosques envahis de comics, et ses jeunes lecteurs…

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La période contemporaine n’est pas oubliée : Mazzucchelli, Sienkiewicz, McFarlane, Jim Lee, Alex Ross, Palmiotti, Jae Lee, Quitely, Silvestri, avec une ouverture évidente sur les adaptations Marvel au cinéma. En fin d’ouvrage, vous trouverez la notice biographique de 300 personnalités qui font partie de l’histoire des comics Marvel, ainsi qu’un dépliant géant reprenant toute la chronologie de la Maison des Idées. À l’instar de Galactus et de son Silver Surfer le guidant, ce mastodonte de plus de 700 pages en VO est accompagné d’un petit album souple proposant le texte de Roy Thomas et les biographies de l’ouvrage en VF. Excelsior !

Cecil McKINLEY

« 75 Years of Marvel » par Roy Thomas

Éditions Taschen (150,00€) – ISBN : 978-3-8365-4846-5

 

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6 réponses à « 75 Years of Marvel » par Roy Thomas

  1. C’est très amusant. Je me rends compte que Marvel a quasiment le même âge que Spirou! En dépit de l’éloignement!! Est ce une simple coïncidence ou quelque chose de plus profond? Bien cordialement!

    • Cecil McKinley dit :

      Bien malin qui pourra répondre à une telle question…
      Il y a parfois des dates précises où ont émergé des myriades de choses incroyables, carrefours et synchronicité…
      Bien à vous,

      Cecil

  2. Michel Dartay dit :

    Historiquement, ce parallélisme de créations populaires importantes s’explique peut-être par le contexte économique déplorable de l’époque. La crise de 1929 a plongé les Etats-Unis dans une crise sans précédent, et s’est ensuite propagée en Europe, quand les banques américaines ont décidé de rapatrier leurs fonds (c’est donc involontairement une des causes de l’accession au pouvoir en Allemagne d’Adolf Hitler). La récession favorise les désirs d’évasion, et si les ventes d’appartements et d’automobiles s’effondrent, l’achat d’un comics ou d’un des premiers hebdomadaires Spirou restait abordable. Il me semble que les années trente furent également favorables au cinéma et à la musique. Bien à vous tous, et longue vie à cette merveilleuse forme de divertissement, qui est également devenue un important secteur économique qui est en train d’être officiellement reconnu comme un volet essentiel de la culture.

  3. Capitaine Kérosène dit :

    150 €, ça tempère l’enthousiasme quand on n’a pas la chance d’être en service de presse :-)
    J’attendrai la version en plusieurs volumes comme avec DC. Même si, au final, elle revient plus chère, on n’est pas obligé de tous les s’acheter (personnellement la période 1980-90 de Marvel, comme de DC, m’intéresse moins).

    • Cecil McKinley dit :

      Hello Captain,

      Je comprends tout à fait votre commentaire… C’est vrai que c’est une somme qu’il faut pouvoir sortir… Et s’il y a version en plusieurs volumes, ce sera super, car ceux de DC sont vraiment très chouettes, et permettent justement d’acheter soit l’ensemble soit ceux des périodes que l’on aime. Quoi qu’il en soit, bonne lecture !

      Bien à vous,

      Cecil

  4. François Pincemi dit :

    Allons, allons, ce n’est pas si cher que cela: 150 euros pour 75 ans de Marvel, cela ne fait que deux euros par an! Par contre attention, j’ai vu le livre en magasin: il est imposant et lourd, pas l’idéal pour lire au lit à mon avis. De plus, il peut être difficile à ranger dans une bibliothèque, et son poids risque de faire plier bien des étagères (ah, dans quel état j’erre, arf arf!°)

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