Bob Leguay (première partie)

En liaison avec l’exposition qui lui rendra hommage à bd BOUM (le festival de bande dessinée de Blois), l’encyclopédiste Patrick Gaumer nous propose d’en savoir plus sur un dessinateur vedette des petits formats, hélas bien oublié aujourd’hui : Bob Leguay.

Bob Leguay.

Une histoire de transmission

Une histoire d’initiation, aussi. Tout est parti d’un simple coup de fil. À Bruno Génini, le directeur de bd BOUM, le festival de bande dessinée de Blois. Passé par Jean-Luc Leguay, le fils adoptif de Robert Leguay. Bob pour les intimes. Et pour ses lecteurs. Tous ceux de l’après-guerre qui s’initièrent grâce à lui à l’aventure et au western, dont un certain Jean Giraud, le futur dessinateur de « Blueberry ». Jean-Luc, qui fut un chorégraphe reconnu, qui est aujourd’hui un des derniers maîtres enlumineurs (1), aimerait remettre en selle l’œuvre de celui qui lui a appris le goût de la liberté et du non-conformisme, du dessin et des valeurs essentielles de la vie. Pour cela, rien de plus simple, il suffirait d’exposer les nombreux originaux de Bob qu’il a conservés comme autant de reliques. Bruno saisit la balle au bond.

Rendez-vous est pris. « Ça te dirait de venir avec moi ? » « Un peu, mon neveu ! » Quand Bruno m’a proposé de l’accompagner, je ne me le suis pas fait dire deux fois. Enfant, j’ai été bercé par les fascicules des éditions Artima, les Buck John et autres Kit Carson des éditions Impéria… Alors, oui, pouvoir à nouveau goûter ces « gaufrettes » (2), c’est le genre de plaisir que l’on ne se refuse pas. Que l’on savoure même avec une certaine gourmandise.

Une planche originale de Bob Leguay pour une aventure de Tex Ripper : « La Marque fatale ».

Bob Leguay.

Nous nous retrouvons, Bruno et moi, chez Jean-Luc, en proche banlieue parisienne, par un bel après-midi d’été. Nous repartirons quelques heures plus tard avec une bonne quarantaine d’originaux. Splendides. Bd BOUM les expose tout au long de sa 31ème édition, du 21 au 23 novembre 2014, au rez-de-chaussée de la Bibliothèque Abbé Grégoire, au cœur de Blois. Vous y êtes cordialement attendus. Que les retardataires se rassurent, l’exposition sera ensuite remontée, au même endroit, mais un étage plus haut, dans la section pour adultes, du 24 novembre 2014 au 7 janvier 2015 : « Yiha ! »

Un dessin de Paul Leguay.

Salade niçoise

Le père de Bob, rentier — un beau métier —, était ce qu’on pourrait appeler un peintre du dimanche. À l’aube du siècle naissant — le XXe —, Paul Leguay pratique l’aquarelle en dilettante appliqué. Plus tard, dans l’inconfort — le mot est faible ! — des tranchées de Verdun, il brosse ici un paysage, là, un portrait. « J’ai même retrouvé ses dessins, souligne Jean-Luc. Durant toute mon enfance, j’ai vu ce vieil homme flanqué de son petit banc pliable et de ses carnets de croquis. » (3). Du coup, Paul Leguay n’a sans doute pas vu d’un mauvais œil son fils Robert, né à Nice, le 7 juin 1926, embrasser une carrière artistique.

Article sur Bob Leguay dans le trimestriel Le Soleil daté du nouvel an 1969.

Enfant, le petit Robert se passionne pour la bande dessinée en général, et le genre « cow-boy/indien » en particulier. Sa lecture préférée ? Le Journal de Mickey, lancé en 1934. Il garde également un souvenir vivace de la série « Bronc Peeler », un western de Fred Harman traduit en France dans les hebdomadaires Aventures et Jumbo : « J’avais été très marqué par l’épisode « La Mort rouge » paru en fascicule à la Sagédition, je crois. » (4).

Bob Leguay en Indien.

Effectivement, même si la SAGE (Société anonyme générale d’édition) ou Sagédition, fondée par l’Italien Ettore Carozzo, est encore à l’époque désignée sous son ancien nom de Librairie Moderne. « La Mort rouge », reprise sous la forme d’un récit complet à l’italienne (en format oblong, donc), un mode de publication dans lequel excellera plus tard Leguay, fut proposée dans la collection L’Appel de la jungle, en mai 1939. Autre élément déclencheur : « En 1939, je me suis retrouvé à l’hôpital et un copain m’avait découpé des figurines d’indiens. Ça ne m’a jamais lâché ».

Les choses sérieuses commencent en 1946. Robert a alors tout juste vingt ans et officie comme modèle pour un bustier, aux Arts décoratifs de Nice. Le sculpteur, qui a remarqué le talent du jeune homme, lui parle de Publi-Vog, un label niçois.

Sises tout d’abord au 14 avenue de la Victoire, puis au 37 avenue du Maréchal Foch, les éditions Publi-Vog poursuivent leurs activités jusqu’au seuil de l’année 1950, date à laquelle son responsable, J.-Ch. Berthe, change de secteur et déménage à Draguignan. Publi-Vog fonctionne de pair avec les éditions de Monte-Carlo, reprises en main par Berthe dans le courant de l’année 1947, publiant bien souvent les mêmes héros et les mêmes collections. Concernant cette salade niçoise, nous renvoyons à la lecture des dossiers consacrés aux éditions de Nice, parus dans la revue Le Collectionneur de bandes dessinées sous la plume de Jean Fourié (du n° 13 au n° 15, de septembre 1978 à janvier 1979).

Celui qui ne signe pas encore Bob, s’y présente : « Je crobardais. J’avais dessiné « Les Deux Trésors », une bande qu’ils ont tout de suite prit. L’éditeur, J.-Ch. Berthe, qui adorait les Westerns, a été séduit par ma manière de dessiner “des chapeaux de cow-boys”. » C’est une bonne raison !

« King le vengeur »

Un premier récit complet — huit pages dont une couverture — qui en appelle bientôt d’autres, publiés selon l’humeur de l’éditeur au format à l’italienne ou au format à la française. En 1947, Bob Leguay crée ainsi King le vengeur, un héros masqué. L’année suivante, c’est au tour de Garry Kid de voir le jour. Un autre personnage de western, agissant cette fois à visage découvert. Les éditions Impéria, qui ont, quelque temps plus tôt, créé Garry, un héros de la Guerre du Pacifique, dessiné par le grand Félix Molinari (voir Félix Molinari), sur un scénario de Robba — alias Robert Bagage, le propre directeur des éditions du Siècle-Impéria, à ne pas confondre, évidemment, avec le dessinateur de « Boule et Bill » ! — ne l’entendent pas de cette oreille et somment Publi-Vog de revoir leur copie.

Qu’importe, Bob Leguay rebaptise son personnage Larry Kid. Pas de quoi perturber l’ami Bob : « J’étais loin, à l’époque, de penser qu’un jour je travaillerais aussi pour Bagage et sa maison Impéria ».

Publi-Vog n’est pas ce qu’on pourrait appeler un éditeur d’avenir : « On dessinait des stocks de fascicules de huit pages en dix jours. C’était de la cavalerie. C’était un petit éditeur qui voulait faire beaucoup. On était sept ou huit Français, tous de la région de Nice. Comme je débutais, je voulais chiader mon dessin, mais les cadences étaient infernales et c’était très mal payé. J’étais obligé de courir derrière Berthe, autour de son bureau, pour le coincer… Quand on l’avait pris au col, il se décidait à sortir le portefeuille. On en vivait mal, mais on en vivait… Il n’était pas question de feuille de paye ou de quoi que ce soit. »

Une BD western commencée pour les éditions Publi-Vog, en 1948.

« Tim l’Audace »

Bob se dit qu’il serait peut-être temps de changer d’écurie. Chez Publi-Vog, il s’est fait de solides copains avec Raoul et Robert Giordan (5).

Ces derniers qui viennent d’intégrer les éditions Artima, à Tourcoing, lui proposent de reprendre leur personnage de Tim l’Audace, une sorte de Tarzan à la française apparu dès 1947 aux éditions de Monte-Carlo, sur un scénario de Nissan.

Après en avoir conçu un ultime épisode chez l’éditeur tourquennois dans la revue Ardan, les frères lui passent ainsi le flambeau.

Bob le reprend au printemps de l’année 1952. Il le conduira à bon port jusqu’en 1962, totalisant plus d’une centaine d’aventures (6).

Planche originale de « Tim l’Audace » par Bob Leguay.

Las ! En embuscade, la vétilleuse Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l’enfance et à l’adolescence, instaurée dès 1949, n’apprécie guère les exploits du musculeux en slip et suggère, fermement, qu’on le rhabille : « C’était ridicule. Il a fallu le vêtir, lui faire garder des moutons, lui faire faire la classe aux petits noirs. Les revolvers étaient supprimés, les morts étaient gommés. » Et tutti quanti, jusqu’à en écœurer l’artiste qui n’hésite jamais à aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte : « J’ai fait de tout : de la pub, du dessin de mode, de la poterie, du décor de cabaret, de restaurant. Tout ça pendant les dix ans de « Tim l’Audace ». »

À suivre…

Patrick GAUMER
Mise en pages : Gilles RATIER
Merci aux sites http://www.galerienapoleon.com et http://r.leone.free.frsur lesquels nous avons pris quelques images pour illustrer cet article.

Une autre planche originale de Bob Leguay réalisée à l'époque des éditions de Nice.

(1) Il a publié trois ouvrages qui témoignent de son talent : « Perceval », « L’Apocalypse de Jean » et « La Divine Comédie », tous trois chez Albin Michel. On  lira aussi, à profit, ses « Tracé du maître » et « Le Maître de la lumière », chez Dervy.

(2) Rien à faire, j’ai toujours préféré les gaufrettes populaires aux madeleines bourgeoises.

(3) Les propos de Jean-Luc Leguay sont repris de son ouvrage « Le Maître de la lumière », paru en 2004 chez Albin Michel, et réédité, cinq ans plus tard, chez Dervy.

(4) Les propos de Bob Leguay, recueillis par Louis  Cance et enregistrés par Georges Ramaïoli, sont repris dans la revue d’étude Hop !, n° 50, 3èmetrimestre 1991.

Première page du dossier Leguay dans Hop ! n° 50.

(5) Les deux frères adoptent la signature commune de R.R. Giordan et se répartissent équitablement le travail.

En règle générale, Robert élabore le scénario, et le découpage se fait en commun ; Raoul se charge des différents crayonnés et de l’encrage des décors ; l’encrage des personnages et le lettrage sont réalisés par Robert. Si certaines histoires, certaines séries sont en fait conçues par un seul d’entre eux, leur paraphe reste le plus souvent inchangé… témoignant ainsi de leur complicité.

(6) Dans le mensuel Ardan (du n° 2 au n° 114, de mars 1952 à août 1961), puis dans une revue homonyme (du n° 1 au n° 3, de janvier à mars 1962).

« Tim l'Audace » dans les pockets Aritma.

Galerie

Une réponse à Bob Leguay (première partie)

  1. Ce « Coin du patrimoine » sur Bob Leguay par Patrick Gaumer est passionnant. Bravo à lui. Ces dessinateurs là étaient des types formidables, tant au niveau du travail que de la chaleur humaine. Et pourtant ils n’avaient pas le confort des auteurs d’aujourd’hui dans une France où la bande dessinée était considéré comme nuisible pour les enfants.

    Henri FILIPPINI

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