Les Westerns de Christian Rossi (deuxième partie)

Comme nous l’avons vu avec la première partie de cet article(1), Christian Rossi a toujours aimé dessiner des westerns : du « Chariot de Thespis » à « W.E.S.T », en passant par « Jim Cutlass » dont nous allons, maintenant, vous parler plus longuement !

Par ailleurs, il faut aussi préciser qu’outre le dernier tome de « W.E.S.T » scénarisé par Fabien Nury et Xavier Dorison aux éditions Dargaud, l’autre actualité de ce fabuleux dessinateur, c’est la réédition, toujours aux éditions Dargaud, des deux péplums qu’il a réalisés avec Serge Le Tendre au scénario et qui avaient été publiés, précédemment, chez Casterman : « La Gloire d’Héra » (en 1996, puis en 2002, en deux tomes avec une quinzaine de planches supplémentaires) et « Tirésias » (en 2001). Signalons que ce n’était pas la première fois qu’il collaborait avec le scénariste de « La Quête de l’oiseau du temps » : pour le mensuel L’Écho des savanes, en 1985, ils avaient proposé le formidable triptyque « Les Errances de Julius Antoine », publié en albums chez Albin Michel, d’octobre 1985 à septembre 1989, puis repris en intégrale chez Drugstore, en octobre 2009.


Or, quand parait le premier volet (« Léa », qui sera aussi édité au Livre de poche, en janvier 1987), on sent, d’emblée, que, fort de ses expériences passées, Christian Rossi a mis au point un nouveau genre de dessin où l’influence de Jean Giraud est beaucoup moins visible : « Avant, j’ai fait des tas de petits boulots pour la presse ! Cela allait d’une illustration pour Le Point à une bande dessinée pour Pif gadget (quatre pages sur « Admundsen l’orgueilleux » parues au n° 752 de 1983). Dans ce dernier cas, c’est Léon Wisznia qui m’avait contacté, avec d’autres dessinateurs invités par cet hebdomadaire. J’ai réalisé quelques pages que je n’ai d’ailleurs jamais récupérées. Je travaillais grand et Wisznia était très content : il m’avait proposé une série qu’il voulait faire, mais j’étais déjà sur d’autres projets. J’ai toujours la nostalgie du dessin de presse : c’est un travail rapide et concentré qui permet de piger un univers, de plonger dans la documentation, etc. Cela me permettait aussi d’utiliser des techniques d’illustrateurs et j’adorais ça ! Je suis un gouacheur et, dès que je peux en faire une, je suis excité comme un pou. » (2).

Par ailleurs, entre 1984 et 1985, il réalise quatre courtes histoires didactiques, de cinq planches et un strip chacune, publiées dans le bimensuel Okapi des éditions Bayard (3) : « Ce qui est plus difficile, c’est d’imager le côté didactique : beaucoup de textes, peu d’action, pas vraiment de fil conducteur, cela brise complètement la narration. On se heurte, à ce moment-là, à des problèmes insolubles : les vignettes s’alignent sans créer de dramatisation. Ce n’est guère gratifiant, mais c’est l’occasion rêvée pour expérimenter des styles, des formats, des instruments, des encrages différents… C’est d’ailleurs dans ces récits complets que je me suis forgé un nouveau style, bien avant « Léa » ! Je me suis aussi servi des récits pour Je Bouquine (4)

où j’ai axé mon effort sur l’aspect narratif, sur tel encrage ou sur la mise en couleurs. Une fois que j’avais trouvé une solution me convenant, je l’abandonnais pour aller dans une autre direction. Je suis un éternel insatisfait, sans complaisance. Pourtant, je trouve que je fais, quelquefois, des dessins qui fonctionnent. Ce qui m’est difficile, c’est de reproduire ce que je sais faire ! Je n’ai jamais cristallisé sur « l’écriture », comme je dirais de l’écriture d’André Juillard : son trait est abouti ! Il m’a dit une fois qu’il n’en était pas satisfait mais, pourtant, il ne semble pas pouvoir s’en dégager : son trait est ainsi. Je recommence souvent mes planches, je rustine ! On ne peut pas laisser passer des dessins qu’on ne trouve pas bons ; on doit gérer ses faiblesses, avoir ce mélange de concentration et de rapidité, et voir l’image monter à l’encrage. Elle nous rend l’énergie dépensée et c’est gratifiant : ce qui explique que le fait de recommencer n’est pas du masochisme !

En revanche, je ne sais pas si cela me plairait de faire de la peinture ! J’ai essayé quand j’étais plus jeune mais, aujourd’hui, la bande dessinée me prend tout mon temps. Je préfère l’illustration qui est une sorte de lecture globale. C’est le moment précis ou l’anecdote est contenue dans le choix de l’image, dans son cadrage et dans son ambiance. Il y a le même caractère anecdotique que dans la bande dessinée, chose qui est honnie et bannie par la peinture. Pourtant, dés que je peux aller dans une exposition, j’y cours… Et j’ai une culture sur certains peintres qui est relativement solide ; mais je regarde ça de l’extérieur. Chaque fois que l’on me demande d’illustrer un texte, je le lis dans son intégralité, attentivement et très vite. En fait, je ne suis pas un gros consommateur d’images : je vais rarement au cinéma, ce qui fait que j’y vais avec candeur ! A contrario, je lis beaucoup. ».

En fait, c’est surtout pendant la réalisation du deuxième épisode du « Chariot de Thespis » que Christian Rossi se remet vraiment en cause : « J’étais assez mal barré ! J’avais été épaté par la narration du premier « Sept vies de l’Épervier » et je suis allé voir Patrick Cothias. Il avait un meuble avec des scénarios classés par ordre alphabétique et, évidemment, il avait quelque chose pour moi. Puis, par hasard, j’ai rencontré Serge Le Tendre, très peu de temps après. Il venait d’essuyer un refus de Filippini qui lui avait brandi le boulot de Makyo comme modèle du scénario à succès ! C’est dans cet esprit de challenge que Serge a écrit « Léa ». Il m’a appelé et m’a lu le synopsis au téléphone : j’ai complètement flashé ! Par honnêteté un peu perverse (car je suis un être pervers, à la fois courageux et lâche), j’ai essayé d’assumer mes contradictions : c’est-à-dire la démarche auprès de Patrick qui s’était concrétisée par un projet qu’il avait exhumé ; car j’ai su qu’il l’avait déjà présenté à Loisel. J’ai dessiné vingt-deux pages et  j’ai arrêté. L’histoire était vendue chez Albin Michel qui nous avait payé une avance.

C’était prévu sur trois albums et cela s’appelait « La Pension du docteur Éon » (5) (Noé, en verlan), une sorte de huis clos dans un asile avec des millions de personnages et une nana très belle qui venait interviewer un mystérieux docteur. Le temps se détraquait, il se mettait à pleuvoir et la pension devenait l’arche de Noé ; toute l’engeance humaine s’y retrouvait, il y avait des meurtres, de la passion, etc. Bref, il y avait tout ce mélange de baroque qu’il peut y avoir dans les scénarios de Cothias. Hélas, au fur et à mesure, j’ai eu la désagréable impression que Cothias menait trop de projets pour y accorder l’importance que j’aurai souhaité. Comme je suis d’un caractère difficile sous des dehors conviviaux (hum…), j’ai arrêté. J’ai quand même expérimenté une technique que j’ai essayé de mettre au point pour le quatrième « Chariot de Thespis » : un encrage au rotring avec des noirs très inertes comme le fait Hermann. »

Mais, sur « Léa », Christian Rossi opte pour un style plus dépouillé, suite au travail très étroit qu’il eut avec Serge Le Tendre sur le découpage : « Je me souviens d’une nuit mémorable où je tombais des croquis très rapides avec, sur la même table, Serge qui pondait les dialogues. C’était l’osmose totale, l’énergie pure : je voyais Serge, passant d’une écriture patte de mouche à des hiéroglyphes raturés dans tous les sens. Ce fut une nuit magique : on a pris un petit-déjeuner vers six heures et demi du matin, dans une grande surface près de la maison et nous étions rayonnants comme au lendemain d’une nuit de noces ! Je n’avais jamais connu une si forte jubilation dans une collaboration ! ».

Cependant, si les deux auteurs échappent à la comparaison avec « Lolita », le roman de Vladimir Nabokov, ils ont eu droit à celle avec les films d’Alfred Hitchcock : « Le fait que Julius ait la gueule d’Antony Perkins était une volonté de l’éditeur ; il y a aussi une allusion au film « Psychose », au début : Julius et Clémence sortent du cinéma où l’on passe « Lolita » ainsi que le film d’Hitchcock. Serge n’a lu qu’après le bouquin de Nabokov ; la genèse de cette histoire, on la trouve chez Patricia Highsmith, dont il est un admirateur, et notamment dans « Le Cri du hibou ».

C’est l’histoire d’une sorte de voyeur un peu paumé qui regarde par les fenêtres et qui se trouve pris dans l’intimité familiale d’une jeune fille : c’est l’anti-héros, le faux coupable que l’on retrouve aussi chez Hitchcock. Les journalistes ont toujours besoin de références et, comme en général ils ne connaissent que peu la bande dessinée, ils tombent à pieds joints dans les allusions aux films. Pourtant, le cinéma propose une image qui bouge, alors que, dans la BD, on saute d’une case à l’autre, recréant l’illusion des séquences en mouvement. La littérature m’en semble plus proche car, dans un livre, on se projette toutes les images. Avec « Léa », nous avons quand même eu un gros succès d’estime, mais pas vraiment un succès commercial : cela m’a fait connaître auprès de mes confrères ou de mes éditeurs et m’a redonné une confiance qui partait en quenouille pendant la réalisation du « Chariot de Thespis » ! Cette série a vraiment chuté avec le troisième opus, « Kathleen », même si certains inconditionnels trouvent que c’est le meilleur épisode ! J’ai proposé l’idée de base à Philippe Bonifay qui l’a développé de façon très intimiste : ce qui a dérouté les lecteurs. J’ai travaillé à la plume, comme dans « Léa », tout en étant plus généreux dans le détail et en ayant ce regard récent sur la mise en scène et la narration. Je sortais des griffes de Serge et je me suis heurté à Philippe qui est plus difficile dans l’écoute. Je suis un caractère autoritaire, ce qui n’arrange pas les choses. Je me souviens avoir piqué une colère après lui sur des dialogues : il faisait ses premières armes de scénariste et il n’avait pas toujours les moyens de ses prétentions. »

Quant aux « Errances de Julius Antoine », elles sont pré-publiées, assez curieusement, dans le mensuel « pour adultes » L’Écho des savanes qui ne proposait, jusqu’alors, que des bandes dessinées beaucoup plus coquines (pour une bibliographie précise des bandes dessinées de Christian Rossi dans L’Écho des savanes

, voir http://bdoubliees.com/echodessavanes/auteurs5/rossi.htm) : « Serge avait présenté le projet à Claude Moliterni chez Dargaud. Il n’était pas intéressé, mais il l’avait aussi montré à Jean-Marc Thévenet qui quittait la rédaction de Pilote pour celle de L’Écho. Il n’y est resté que trois mois mais c’était suffisant pour amener des projets, dont le nôtre, dans ses bagages. Son successeur, Thierry Souccar (qui a créé, depuis, sa propre maison : First), nous a accordé sa confiance alors que l’on se trouvait très décalé par rapport à L’Écho. Avec Serge, on a toujours eu cette volonté de faire des récits classiques (mais, attention, cela ne veut pas dire que mes goûts sont ringards) et c’est une veine que la direction, depuis, n’a pas su utiliser…. « Julius » était un produit atypique dans leur production, mais je reste persuadé de la qualité de ce travail : Serge y a concentré son énergie vitale et y a mis des clés tout à fait personnelles. J’y ai mis mes propres démons, mais cela doit rester des « histoires » ! Serge fait tout un travail de gestation, ce qui explique qu’il produit peu mais qu’il produit bien ! ».

Entre-temps, Christian Rossi va s’exercer sur d’autres courts récits ou illustrations pour « Le Junior illustré » en 1986 (un guide d’activité pour les enfants de Paris et sa banlieue qui contenaient d’autres bandes signées Tito, Frank Margerin, Didier Convard, etc.), pour divers albums collectifs ou autres (6) et pour les revues Charlie mensuel (deuxième série), Pilote & Charlie, Play Boy, Hi-Kids !, I Love English, L’Expansion, Mikado, Grain de soleil, Le Nouvel Observateur et (À Suivre) (7) ; mensuel pour lequel il va reprendre le dessin de la série « Jim Cutlass », à partir du deuxième épisode (« L’Homme de la Nouvelle Orléans »), à la suite de Jean Giraud qui officie désormais au scénario, achevant le scénario que la mort de Jean-Michel Charlier, en 1989, a laissé inachevé.
Mais cette collaboration a connu nombre de tribulations : « J’étais en train de travailler sur le troisième « Chariot de Thepsis » quand Jean-Claude Forest, qui travaillait, à ce moment-là, chez Bayard, m’a proposé de collaborer avec Charlier. Il avait la nostalgie des aventures maritimes de « Bernard Tempête » qui étaient publiées avant guerre. Il voulait en faire un « remake » avec Charlier comme scénariste. Jean-Michel Charlier, c’était toutes mes lectures d’adolescent, mais mon emploi du temps était monstrueux et, en plus, je ne voulais plus donner dans ce genre-là. Plus tard, je me suis retrouvé en rapport avec Jean Amnestay et les gens d’Aedena. Ils étaient sur un projet de magazine payé par des sponsors (Hugh !), avec la réactivation des séries de Charlier dont « Jim Cutlass ». Ils ont alors parlé de moi à Jean-Michel et à Giraud, lesquels ont été d’accord à l’idée de mon éventuelle reprise. Mon copain Alexandre Coutelis et Patrice Pellerin m’avaient prévenu des désagréments provoqués par les retards de Charlier : ils étaient à la fois contents et compatissants pour moi ! Ce qui fait que je suis allé voir Charlier avec une sorte de plan de bataille pour montrer à la fois mon intérêt réel mais aussi une certaine distance. Avec lui, je ne suis jamais entré dans des rapports de copinage ; au contraire, je lui témoignais du respect. Connaissant ses retards, ma tactique a été de l’appeler systématiquement pour lui réclamer du travail alors que j’étais en train de faire autre chose ou que je n’avais pas encore commencé à dessiner les quatre à huit pages qu’il m’avait précédemment livrées. 1l me promettait de me l’envoyer dans la semaine et, bien sûr, cela mettait autour d’un mois : ce qui me laissait le temps de finir sa précédente livraison…

Et c’est ainsi que j’ai toujours été alimenté. En plus, j’avais l’impression qu’il faisait « Cutlass » avec jubilation ! J’en arrivais même à penser qu’il se parodiait, qu’il faisait une sorte de pied de nez à « Blueberry ». C’est ce qui m’a fait adopter cette forme un peu caricaturale qui, d’ailleurs, ne lui plaisait pas trop. Dans la dernière lettre qu’il m’a envoyée, il voulait que je corrige le tir, que je fasse un « Cutlass » plus viril, plus réaliste : il trouvait que j’en faisais un peu trop, tout en appréciant mon travail. C’est Giraud qui m’a annoncé son décès ; j’étais dans l’0uest des U.S.A. et je venais de rentrer à Los Angeles. Sur le coup de l’émotion, le surlendemain, j’ai écrit la suite de « Cutlass » dans l’avion du retour. Au bout d’une semaine j’ai contacté madame Charlier en y mettant les formes au maximum, pour ne pas passer pour un vautour. Je voulais simplement avoir son autorisation de finir cet épisode, pas de continuer la série. On ne s’est pas compris… Elle était en plein dans son veuvage et, de ma part, il y a eu de la maladresse dans mon empressement… »

Alors, en 1990, Christian Rossi entame l’ésotérique « Le Cycle des deux horizons » chez les toutes jeunes éditions Delcourt, sur un scénario de Pierre Makyo (trois albums publiés de 1990 à 1993) :
« Je me suis donc mis au travail sur « Jordan » et, un peu plus tard, Philippe Charlier m’a confirmé sa volonté de continuer à faire vivre les séries de son père ! Jean Giraud m’a proposé que l’on continue ensemble : j’en étais à la page 36. Au départ, il a pensé encrer mes crayonnés, mais je me suis défendu (sinon je n’aurais plus existé) ; puis, il m’a proposé un découpage sous forme de croquis rapides ; mais, là aussi, il imposait sa vision.

Finalement, on s’est mis d’accord sur l’écriture du scénario. Je lui ai donné ce que j’avais fait et il l’a complètement recomposé. J’ai écrit des dialogues et fait des crayonnés qu’il me critiquait et nous avons fini « Cutlass » ainsi. Giraud possède un dessin affectif, instinctif, il est poreux à la critique, à l’air du temps, à sa forme physique, à son régime alimentaire… Je crois que sa faiblesse mêlée de force, je l’ai bien respectée, si ce n’est comprise. Nous avons des rapports de filiations, mais pas une relation pére-fils : quand j’ai connu Jean, c’était l’aboutissement de quelque chose ; j’avais cru que je ne le rencontrerais jamais ! À partir du moment où l’on s’est parlé, mon rêve s’est arrêté brutalement et complètement. J’ai trouvé un homme que j’apprécie mais qui ne ressemble pas à l’image que je m’en faisais. Je prends nos rencontres comme elles doivent être, décevantes ou enrichissantes, je ne fais pas le tri : cela se fera avec le temps, le temps récupère l’émotion ! Au début, les relations avec Jean, c’est dur : il faut les entretenir ! Il m’a découpé la suite du « Cutlass » que l’on a scénarisé ensemble. Il me téléphonait pour demander mon impression au fur et à mesure de ma lecture ; il attendait le verdict. Lorsque l’album de « L’homme de la Nouvelle Orléans » est sorti, en janvier 1991, il m’a appelé pour me dire : « Je suis en train de le lire, ça me plaît ! ». Je retrouve chez lui l’esprit d’un adolescent, mon copinage avec Marc Malès quand j’avais quatorze-quinze ans, une nuit enfiévrée avec Serge quand on faisait « Léa »… Bref, les bonnes vibrations… »

Il y aura encore cinq autres albums de « Jim Cutlass » qui seront pré-publiés dans (À Suivre) ou édités directement en albums chez Casterman, jusqu’en 1999 ; auxquels il faut rajouter un somptueux petit portfolio (« Portable ») édité par Aedena, en 1987 : « C’est moi qui ai poussé Jean-Michel Charlier à aller chez Casterman ! Jean Amnestay s’est retrouvé chez Casterman après la faillite d’Aedena. Le projet de magazine Hugh ! n’a pas vu le jour et Jean-Michel avait la volonté d’arrêter avec Novedi. Il ne voulait plus aller chez Dargaud mais il avait une proposition de contrat avec Alpen. Je ne connaissais pas cette maison, futur Humanoïdes associés, et nous avons négocié avec les gens de Casterman ; ça s’est très bien passé et nous nous sommes retrouvés avec cette bande complètement atypique dans le mensuel (À Suivre), autant que « Julius » pouvait l’être dans L’Écho ! Mais ça leur plaisait, ils ont fait un peu de promotion, ils y croyaient ! C’est pourquoi « Cutlass » a échappé à cette volonté de Fabrice Giger et des Humanos de récupérer tout le matériel Charlier. En ce qui concerne les dernières planches de « Cutlass », j’ai été très vite : ce qui explique qu’elles sont, peut-être, un peu bâclées ! J’étais alors dans « Jordan » et il y avait la nécessité de boucler car c’était programmé : pré-publication, etc. J’ai dû assumer, en même temps, le découpage et le dessin de la fin du « Cutlass » en deux mois et demi. J’ai angoissé et, comme à mon habitude, cela s’est ressenti sur le dessin…Je me suis toujours trouvé dans des courants d’énergies contraires, ce qui fait que j’étais embringué dans au moins deux univers en même temps. Quand je commence à cerner quelque chose, j’ai aussitôt la curiosité d’aller voir ailleurs mais, maintenant, j’essaie de me discipliner : j’ai arrêté tous mes boulots de commande. Ce n’est pas par manque d’intérêt, mais je ne peux plus, raisonnablement, y consacrer mon temps ; sinon c’est la qualité de mon travail qui s’en ressent ! ».

Depuis, Christian Rossi a aussi dessiné, outre les péplums « La Gloire d’Héra » et « Tirésias » ou l’extraordinaire western moderne « W.E.S.T », un épisode de sept planches de la « Maedusa » de Denis Lapière (en 1998, dans Spirou), les douze satiriques récits complets du boucanier « Capitaine La Guibole » scénarisés par l’Espagnol Enrique Sánchez Abuli dans L’Écho des savanes, à partir de novembre 1998 (puis dans Bo Doï, en 2004, alors qu’un album est paru aux éditions Albin Michel, en 2000, lesquelles en proposeront l’intégrale, en 2007, sous le titre « Pirates ») et « Paulette Comète » (scénario et création de Mathieu Sapin) dont un extrait de quatre pages est paru dans Pilote, en 2009, avant la publication de l’album, chez Dargaud, en 2010…

Il ne faut pas oublier sa participation au tome 2 de « Ninja », « L’Album du siècle », de Philippe Larbier (Triskel 2002) et les quelques pages qu’il a également réalisé pour la série collective « Une folie très ordinaire » de Christian Godard (chez Glénat, en 2002), ainsi que pour les magazines Racaille et France-Soir ou pour les collectifs « Au loup ! O, loup ! » (ALIEN 1996), « Sales petits contes » scénarisé par Yann (Dupuis 1997), « Boris Vian » (Vents d’Ouest 2000), « Vampires » tome 2 (Carabas 2002), « Les Chansons de Mr Eddy » (Soleil 2003), « Paroles de Verdun » (Soleil 2007), « Mai 68 » (Soleil 2008), « Tarzan ! » (Somogy 2009)…, ou encore l’élaboration du story-board et des roughs de la série « La Compagnie des glaces » : adaptation, en bande dessinée, des célèbres romans de science-fiction de Georges-Jean Arnaud par Philippe Bonifay.

À chaque fois, il nous démontre sa virtuosité, nous assénant son style, puissant et souple à la fois, et s’imposant « comme l’un des très grands illustrateurs réalistes de la bande dessinée contemporaine » (dixit Patrick Gaumer dans son indispensable « Dictionnaire mondial de la BD » chez Larousse : « C’est un peu dommage de terminer par ça, mais je pense être un dessinateur médiocre ! Je lutte contre cette médiocrité, j’essaie d’être au moins habité par l’émotion et la sincérité. J’apprends la spontanéité, la candeur de l’adolescent, celui qui a la vision de l’image et qui essaie de la rendre naturellement, mais j’ai des limites qui s’imposent à moi très vite. Toutefois, je me sens en devenir : j’arriverais peut-être, un jour, à faire essentiellement des dessins corrects ! En ce moment, je suis dans une bonne passe ; je suis de nouveau papa depuis peu de temps et si j’ai moins de temps pour dessiner, je produis des pages qui sont belles, qui sont fortes affectivement. J’ai un trait que je commence seulement à saisir. Le dessin ressemble au tennis, il faut jouer décontracté, comme à l’entraînement, et c’est là que cela devient bon. Je suis donc dans une phase de plénitude, mais tout ce que j’ai fait, jusqu’à maintenant, ne sont que de pitoyables pirouettes pour essayer de mettre en phase mon orgueil avec mes maigres moyens. J’aimerais comprendre la quintessence de certains dessinateurs : dessiner avec autant de facilité apparente que les américains Milton Caniff, Alex Toth qui est ma référence de base, Joe Kubert, Noel Sickles ou encore le Belge Jijé. Avoir cette absence d’ego qui ne vous fait plus dire : « Je suis très bon », mais « Ce que je vois est beau », et que cela passe dans le dessin : bref, c’est une sorte de quête de la perfection ! »

Page hommage à Jijé publiée dans la rubrique « La Galerie des illustres » de Jean-Pierre Fuéri, au n° 3677 de Spirou, en 2008.

Gilles RATIER

(1) Voir : http://bdzoom.com/spip.php?article4872.

(2) Toutes les interventions de Christian Rossi proviennent d’extraits d’une interview accordée à Gilles Ratier, pendant le dix-huitième salon international de la bande dessinée d’Angoulême, et qui a été publiée dans le n° 50 de Hop ! (numéro paru au troisième trimestre 1991 et complètement épuisé, aujourd’hui) !

(3) Dont le western « La Grande chasse de Buffalo Bill », publié au n° 302 de 1984 (scénario de Patrick Cothias), que vous allez pouvoir (re)découvrir ci-dessous ; sachant que les autres récits que Christian Rossi a réalisés pour Okapi sont « La Très véritable histoire du stylo Bic » (scénario de Xavier Seguin, au n° 307 de 1984), « L’Histoire de Sœur Emmanuelle » (scénarios de Jacques Jossellin, au n° 314 de 1984) et « Les Poètes de l’ordinateur » (scénarios de Jacques Jossellin, au n° 319 de 1985).

(4) Christian Rossi y adapta trois romans (en seize planches pour « Moby Dick » avec Leigh Sauerwein au scénario, au n° 11 de janvier 1985, en dix-sept planches pour « Robinson Crusoé » avec Franck Guillemard au scénario, au n°29 de juin 1986, et en quinze planches pour « L’Odyssée », avec Serge Le Tendre au scénario, au n° 11 de janvier 1985) ; puis en illustra deux autres : « Le Cheval dans la mine » de Gustaw Morcinek au n° 20 d’octobre 1985 et « L’Appel de la louve » de Jean-Jacques Tupet au n° 57 de novembre 1988.

(5) Plus de quinze ans après, en 1998 et 1999, « La Pension du docteur Éon » fut enfin éditée en deux tomes de la collection Signé des éditions du Lombard ; mais le dessinateur n’était plus Christian Rossi : il avait laissé la place à Werner Goelen alias Griffo !

(6) Pendant cette période, Christian Rossi a participé aux collectifs « Les Magiciens d’eau » (BO 1987), « La BD chante Jacques Brel » tome 2 (Brain Factory 1987), « Du Souchon dans l’air » (Delcourt 1988), « Entre-chats » (Delcourt 1989), « Voyage en Israël » (ICFTA 1990), « Auteurs enflammés » (ALIEN 1990), a dessiné l’iconoclaste petit album à l’italienne « Edmond & Crustave » (scénario de Serge Le Tendre, chez Futuropolis, en 1987) et une planche dans l’album « 36-15 Alexia » de Frédéric Boilet (Humanoïdes associés 1989),
puis a achevé (avec Alexandre Coutelis et Gilles Mezzomo) les cinq dernières pages du premier volume du « Roi Vert » : une bande dessinée adaptée de l’œuvre de Paul-Loup Sulitzer par Jean Amnestay, et proposée chez Dupuis, en novembre 1991, à la suite de la disparition brutale du dessinateur Jacques Armand. Il en fera de même, lors du décès d’Alain Bignon, en participant, le temps d’une planche, à la fin du troisième tome de « La Voix des anges » (scénario de Rodolphe), chez Dargaud, en 2005.

(7) Pour une bibliographie complète dans ces différentes revues, voir le n° 50 de Hop !, mais aussi le site http://bdoubliees.com. En revanche, la revue I Love English n’y est pas détaillée, alors que ses n° 25 à 27 (publiés de septembre à novembre 1979) contiennent, dans la langue de Shakespeare, une belle bande inédite de vingt planches scénarisée par Dieter : « The Man in Black » !

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2 réponses à Les Westerns de Christian Rossi (deuxième partie)

  1. renaud045 dit :

    Quand je vois le boulot représenté par ces articles je ne peux dire que Bravo !!

    • Mario dit :

      …et le boulot de Rossi.
      Un grand, peu présent dans les manifestations BD et dans les magazines.
      Bravo pour cette initiative et bravo à Rossi.
      ;o)

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