Entretien avec Laurent « Fox-Boy » Lefeuvre

Avec « La Nuit du renard », premier tome de la série Fox-Boy, Laurent Lefeuvre renoue avec l’imagerie des héros populaires. Après la ballade fantastique de « Tom et William » et « La Merveilleuse Histoire des Éditions Roa », malicieuse monographie consacrée à cet éditeur disparu. Pour son nouvel album, il s’attaque au genre super-héroïque et donne naissance au jeune Fox-Boy.

Pol Salsedo est un adolescent rennais de dix-sept ans. Élève brillant, il n’en est pas moins pétri d’arrogance et de cynisme, il partage avec ses quelques amis ce sentiment de supériorité qui le pousse à se moquer et harceler les plus faibles de son lycée. Pris à partie suite à une ultime provocation, Pol s’enfuit vers une fête foraine. Il trouve refuge dans l’échoppe d’un mystérieux magicien, le Fakir Dotki. C’est par son entremise que Pol découvrira son animal-totem, le renard, et assimilera les caractéristiques de ce dernier. Agilité et ruse feront dorénavant partie de Pol, le transformant à volonté en renard-garou. Prenant conscience de ses nouvelles capacités Pol décide, à son échelle et celle de sa ville, de combattre la délinquance.

Pour son nouvel album, Laurent Lefeuvre s’attaque au genre super-héroïque et donne naissance à ce jeune Fox-Boy. Utilisant les archétypes propres à la genèse de ce type de personnage (acquisition des pouvoirs fabuleux, questionnement quant à leur utilisation, trauma fondamental), il nous les présente dans un contexte contemporain qui rend le fantastique de son récit évident, crédible. L’équilibre entre réel et fiction atteint par le scénario de Laurent Lefeuvre se retrouve aussi dans son dessin naviguant entre le dynamisme de David Mazzucchelli et l’émotion de René Follet.

Autoportrait de Laurent Lefeuvre.

On sent à travers vos œuvres un grand amour des comics, fumetti et autres littératures populaires. À quel moment avez-vous décidé d’en faire votre métier ?

J’ai toujours voulu en faire mon métier. Depuis l’âge, où l’on répond pompier ou astronaute. Et comme ces deux autres exemples, on passe par des phases de vie où l’on se dit juste que l’on fera ce qu’on pourra. En clair, je ne croyais pas que c’était possible de faire de la BD (trop dur, trop exigeant, trop tout). Alors, en plus, quand on veut faire du comics de super-héros, alors là… Le temps passant, vient une autre trouille que celle de l’échec : celle de vieillir en n’ayant même pas essayé de réussir ! La trouille se transforme petit à petit en énergie, puissante et durable !

Une fois cette énergie créatrice canalisée, il est difficile de proposer un projet « super-héroïque«  en France ?

Cela ne coule pas de source, en apparence du moins. Il semble, au vu de la part croissante de ce format comics dans les rayons de nos libraires ces dernières années, qu’il y a un public pour ça. Parmi ces éditeurs (Urban Comics et Panini), Delcourt s’est positionné comme celui de la diversité, en opposant au tout super-héros, d’autres genres à l’intérieur du comics : comme les œuvres de Will Eisner, Mike Mignola, Eric Powell pour « Hellboy », « The Goon », « Walking Dead », et des tonnes de miniséries de qualité comme « Criminal », « Cinder and Ashe », « Fatale », « Incognito », « WinterWord »…

Jean-Yves Mitton par Laurent Lefeuvre.

Delcourt est ainsi devenu (à mon sens) à la fois le garant d’une qualité certaine, mais aussi le révélateur en France de choses plus subtiles, et d’une curiosité peu commune chez les deux repreneurs de DC/Marvel. Du coup, je suis très heureux d’y avoir été sélectionné pour tenter ma chance. Le paradoxe étant que c’est pourtant en faisant du super-héros… Très influencé par les Marvel/DC de mon enfance/adolescence.

Vous participez avez conçu l’exposition « Mikros & Photonik » présentée ce week-end au festival de Saint-Malo, Jean-Yves Mitton et Ciro Tota font partie de ces lectures d’enfances ?

Oui ! Et même plus que ça ! Parmi les premières revues Lug de ma collection, un sachet promotionnel contenait quelques invendus. Entre autres merveilles, il y avait le Spidey n° 25  (de mars 1982, vous voyez, le mois de parution s’affiche encore instantanément dans ma tête !). Sur la couverture signée Mitton, la longue silhouette de Photonik — tenant dans ses bras Ziegel et Tom Pouce — forme une diagonale jaune sur le fond violet de la nuit new-yorkaise.

À l’intérieur, l’épisode de Ciro Tota nous montre Photonik face au terrifiant comte Wampyr ! Aujourd’hui, trente ans après, j’ai passé l’après-midi à accrocher des dizaines d’originaux de « Photonik » et « Mikros » par Ciro Tota. Ce week-end, toujours à St Malo verra l’avant-première du second et dernier volume de l’intégrale « Photonik » (chez Black & White), pour lequel j’ai réalisé un long entretien avec Ciro Tota. Il y aura, samedi prochain (le 11 octobre), une conférence/table ronde avec eux, pour évoquer ensemble cette période magique. Alors, vous dire que les seuls Français à avoir fait du super-héros dans les années 1980, avec leur sensibilité toute latine, serait (je vous cite) « une lecture d’enfance », serait bien en deçà de la vérité.

Ciro Tota par Laurent Lefeuvre.

La vérité, la voilà : Sans eux, pas de « Fox-Boy » aujourd’hui, et peut-être pas de Laurent dessinateur tout court, c’est évident !

Pouvez-vous nous parler de vos auteurs favoris ?

Ha ! J’ai l’impression de passer mon temps à ça ! Alors, disons avant de dérouler le tapis rouge de mes étoiles, que ce sont souvent des auteurs qui peuvent se révéler complets (scénariste ET dessinateur ET encreurs). De mêmes manières que j’ai du mal à imaginer que le travail d’écriture d’un roman se partage à plusieurs (genre : « À toi la trame, à moi les dialogues, et pour toi les adjectifs”), il me semble toujours préférable de penser qu’un auteur puisse avoir un avis et des choses à dire, à chacune des étapes qui constituent la fabrication d’une histoire en bande dessinée. Alors je citerai (à nouveau) Will Eisner, Frank Miller, Richard Corben, Alan Davis, David Mazzucchelli, Bernie Wrightson, Barry Windsor Smith ou John Byrne. Même constat pour les Franco-belges, d’ailleurs, puisque je suis un inconditionnel de Hermann, Fred, Gotlib, Franquin, Hergé, François Bourgeon, Moebius, Hugo Pratt ou Jacques Tardi (un peu comme tout le monde me direz-vous).

Le nom de Fox-Boy est inséré dans le dessin en début de chapitre, procédé cher à Eisner pour son « Spirit » que l’on retrouve aussi chez Francis Manapulsur « Flash ». Cette astuce vous tenait à cœur ?

© Mosquito - 2012.

Oui ! Au-delà du clin d’œil à Eisner, et ses descendants qui ont également emprunté ce procédé comme Miller, Byrne, Neal Adams, Wrightson (toujours les mêmes, vous voyez ?), c’est une manière pour moi de rythmer les courts chapitres de trois pages dans lesquels j’ai d’abord commencé à raconter les aventures du garçon-renard pour les revues en breton et en occitan. C’était donc un moyen de faire des “splash-pages” (fun à dessiner), tout en faisant avancer l’histoire (c’est à l’intérieur d’éléments narratifs que je cache mon nom et le titre de la série. L’idée vient d’Eisner : gagner une page de narration quand on n’en a que peu [sept en l’occurrence pour un épisode du « Spirit »]

Les édtions Roa (voir : Les éditions Roa) proposaient le titre « Fox-Man » et vous « Fox-Boy ». Le renard est un de vos animaux fétiches ?

Pas vraiment. En fait, l’un découle juste de l’autre. La citation dans une case ou deux de ce fameux « Fox-Man » n’est qu’un élément introduit à la genèse de son avatar rennais, et ne trouvera son véritable rôle que plus loin dans l’histoire – que dis-je ? — dans la SAGA « Fox-Boy » [si les lecteurs me suivent, évidemment !].

Fox-Boy version Roa. © Mosquito - 2012

L’apparition de William est aussi un clin d’œil a votre premier album ou lui aussi est appelé à revenir dans votre saga ?

Chez moi, c’est toujours un mélange de plaisir et de nécessité. En clair, je m’attache à mes personnages, et j’aime bien l’idée de leur “décrocher un rôle” dans le film suivant. Pour ce faire, il faut leur trouver une raison réelle de revenir. C’est donc à la fois gratuit… et nécessaire ! William, ainsi que le petit Tom, pourrait effectivement revenir dans un futur pas si éloigné, dans les pages de « Fox-Boy » [il aura donc forcément grandi, car nous l’avons laissé à la date du 11 février 2011, à la fin de « Tom et William » !].

Vous aviez envisagé un autre animal totem, le lion si l’action se déroulait en Pays Léon ?

Bien vu, je précise pour les non familiers de la Bretagne que le Léon — qui veut aussi dire “lion” donc — est l’ancien nom de la zone qui se situe, en gros, dans le Nord-Finistère. J’ai vaguement eu l’idée d’un loup-garou à Brest au tout début [authentique !]. Cela aurait été l’histoire d’un gamin d’une dizaine d’années, avec sa sœur, et qui résoudrait des enquêtes façon Fantômette ! La raison en est que la première publication de « Fox-Boy » s’est faite [et continue ainsi depuis plus de 3 ans] dans un mensuel pour la jeunesse en Breton. Je pensais donc créer un personnage de l’âge des lecteurs. Le renard est aussi le nom du mensuel en question [Louarnig = “petit renard”]. Et puis, Rennes s’est aussi vite imposé à Brest, que le renard au loup : Si mon personnage vieillissait [et devenait donc plus fort physiquement], “amoindrir” la force de son animal totem équilibrait les forces avec ses futurs belligérants [gens “normaux]. Quant au loup, il me semble que cet animal a déjà été utilisé jusqu’à la corde dans les comics. Revendiquer le côté “petit frère breton” des puissants Américains, un côté David face à Goliath me paraît fonctionner avec un animal “bien d’chez nous” comme le Goupil, non ?

Fox-Boy en Breton et en Occitan.

La crédibilité de votre album tient beaucoup par sa contemporanéité. Vous insérez des moments d’actualité [Bonnets rouges, coupe du Monde], le tout dans des lieux existants. Ce fut un postulat dès le départ ?

Absolument ! Marquer l’identité de la série « Fox-Boy » dans une temporalité précise [là où les auteurs des écuries DC/Marvel font tout pour la gommer, pour inscrire artificiellement leurs héros dans un éternel présent factice]. C’est un trait de l’entertainment américain d’infantiliser son public en essayant de lui faire croire à la jeunesse éternelle ! Et même si certains personnages prenaient un peu de bouteilles, il y a une bonne vingtaine d’années [Wolverine, Batman, Spider-Man...] les équipes d’auteurs se sont chargées de régulièrement les rajeunir, au lieu d’introduire de nouveaux personnages plus jeunes, et de laisser les anciens vieillir, se durcir, renoncer, ou mourir. Dommage. En ce qui me concerne, à l’instar de « Prince Vaillant », je voudrais continuer suffisamment longtemps cette série pour voir Pol grandir, changer, intégrer le monde du travail, pourquoi ne pas devenir père, etc. En clair, une des particularités de la série, si j’ai la chance de pouvoir la poursuivre, sera d’utiliser ce précieux outil qu’est le temps réel [ou à peu près, du moins] !À propos de réalité, vous avez le temps de continuer vos reportages dessinés ?

Oui ! C’est ma récréation entre deux chapitres, et le plaisir de rencontrer de sacrés personnages, comme Yannick Mollo qui dirige avec une énergie incroyable, la communauté d’Emmaüs Rennes, ou Jean-Paul Jourdan, policier et ange gardien des gamins de mon quartier avec sa brigade à nulle autre semblable. Un vivier d’humains d’exceptions à qui il est urgent de donner la parole en ces temps confus. En tant qu’auteur, ce sont des gens dont il y a tout à apprendre, surtout quand, comme moi, on prétend dépeindre une époque.

Encrage de la page 33.

Le portrait que vous faites de la jeunesse n’est pas très optimiste.

Vous trouvez ? Malgré pas mal de défauts, un contexte technologique qui favorise l’impulsivité, l’agressivité [Réseaux sociaux à outrance, immédiateté de l’info, des débats...] les valeurs du groupe, du pardon, de la remise en question, sont présentes ! J’ai un souvenir de l’adolescence [pas si lointain, j’ai 37 ans], comme d’une période tout feu tout flamme. Tout était exagéré. Les joies, et les peines. C’est pourquoi le genre super-héros colle aussi bien à cette période de la vie !

On peut voir sur votre blog une première aventure de Fox-Boy à Saint-Malo, elle n’est pas intégrée à l’album. C’est un choix de votre éditeur ?

Delcourt n’est pas à mettre en cause dans ce changement [ce premier départ leur plaisait bien, d’ailleurs]. C’est moi qui ai compris que cette première ouverture de la série, à Saint-Malo, et avec une créature clairement fantastique [sorte d’homme-algue haut de 100 m], ne collait pas avec mon envie de départ : un super-héros à Rennes, sans éclat, dans un monde sans super-vilains lui faisant face. Sur tous ces points, donc, j’étais à côté de mon sujet. J’ai donc décidé de tout reprendre [ces planches avaient pourtant permis de valider le projet]. Voilà ce que c’est d’être seul aux manettes : le côté dessinateur se fait plaisir, tandis que le côté scénariste arrive après en disant « c’est bien joli tout ça, mais ce n’est pas l’histoire ». Du moins, pas au début de « Fox-Boy ». À garder éventuellement pour plus tard [s’il y a un "plus tard"]. Au final, Delcourt à choisi cinq planches pour figurer dans leur premier Free-Comic-Book-Day. Elles ont l’avantage de montrer le personnage in situ, alors que les suivantes montrent ce qui se passe avant tout ça [les pouvoirs, le costume...]. Moins spectaculaire, donc.

La suite de la saga est en préparation ?

Je n’ai pas encore le feu vert ! Tout dépendra de l’accueil qui sera fait à ce premier album ! Et à ce titre, je remercie les journalistes ainsi que tous ceux qui se font le relais de ma “petite cause”, via sites, blogs ou magazines. Que « Fox-Boy » trouve ou pas, sa place dans le cœur des lecteurs, vous m’aurez bien aidé à lui donner sa chance !

Trugarez da Laurent.

Brigh BARBER

Mise en pages : Gilles RATIER

Vous pouvez suivre l’actualité de Laurent Lefeuvre sur son blog : http://laurentlefeuvre.blogspot.fr/.

Pour en savoir plus, sur les éditions Roa : http://roa.over-blog.com/.« Fox-Boy T1 : La Nuit du renard » par Laurent Lefeuvre

Éditions Delcourt [14,95 €] – ISBN : 978-2-7560-6025-5

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