Dans le cinquième volume de ses aventures, « Le Grimoire d’Elfie T5 : Les Reflets de Walpurgis », la jeune Elfie découvre le marais poitevin (entre La Rochelle et Niort) et des festivités réservées aux magiciens et sorcières depuis le temps de la mystérieuse fée Mélusine. Une nouvelle enquête pour la jeune adolescente, avec l’apport non négligeable de son grimoire magique, à l’issue de laquelle elle en aura appris beaucoup sur les dangers contemporains qui guettent cette zone humide remarquable et sa propre famille.
Lire la suite...« La Nouvelle Île au Trésor » par Osamu Tezuka
Cela fait maintenant quelques années que les grands chefs-d’œuvre d’Osamu Tezuka sont publiés en France, chez différents éditeurs. Mais, il manquait encore, au public francophone, un livre fondamental de la carrière de cet auteur. Un livre qui a influencé, par la suite, les plus grands mangakas. Ce livre, c’est « Shintakarajima », « La Nouvelle Île au trésor ». Lorsqu’en 1947, Osamu Tezuka dessine cette histoire, d’après une idée originale de son éditeur, Ikuei Shuppan, il ne sait pas encore que ce titre va révolutionner sa vie et celle de centaines de dessinateurs japonais. Avant « La Nouvelle Île au trésor », Tezuka ne dessinait que des petites histoires en quatre cases, souvent humoristiques, des Yonkomas (1) : un format typiquement japonais, se lisant de haut en bas, qui est encore extrêmement populaire. Malheureusement, cette première édition de « La Nouvelle Île au trésor » fut irrémédiablement perdue, car Tezuka n’en possédait plus les planches originales depuis longtemps. Seules quelques livres d’époque subsistent encore, mais ce ne sont que de pâles copies réalisées par une équipe externe dans le but de réduire les coûts d’impression. Ce que la postface de ce livre enfin publié en français, très bien documentée, explique parfaitement.
Avant sa mort, Tezuka était déjà un dieu vivant au Japon. À son décès, le 9 février 1989, il devient, en plus, celui qui a révolutionné la bande dessinée japonaise aux yeux du monde entier. Ainsi, au lendemain de sa mort, le journal Asahi expliquait dans son éditorial que la raison principale pour laquelle les bandes dessinées étaient tellement plus populaires au Japon que dans les autres pays était que le Japon avait eu Osamu Tezuka : « Sans le Dr Tezuka, l’explosion de la BD après guerre au Japon aurait été inconcevable » (2).
Si cette citation fut traduite dans le monde entier et repris par les spécialistes de la bande dessinée, maintes et maintes fois, elle le fut souvent d’une mauvaise manière. En effet, il n’est nullement dit que Tezuka a inventé le manga comme beaucoup d’historiens persistent à le croire. Tezuka est arrivé au bon moment et a transcendé un genre de narration balbutiant.
Mais la guerre étant passée par là, la plupart des jeunes qui s’intéressaient à la bande dessinée dans les années 1940, et les suivantes, ne pouvaient garder comme référence que celles auxquelles ils ont eu accès : c’est donc le travail de Tezuka qui, après-guerre, a servi de maître étalon. Les jeunes auteurs en devenir ont reçu les premières créations du maître comme une claque, tellement elles étaient différentes de celles de ses contemporains.Pour sa part, Tezuka (né le 3 novembre 1928) a passé son enfance à visionner des films de Walt Disney ou des frères Fleisher, ainsi qu’à lire des mangas tels que « Norakuro » de Suhihô Tagawa et « Fuku-Chan » par Ryûichi Yokoyama. Si « Fuku-Chan » était un manga exclusivement humoristique, proposé généralement en 4 cases, on peut considérer que « Norakuro » empruntait déjà quelques techniques narratives au cinéma naissant. Le père de Tezuka, grand admirateur de nouvelles technologies (pour l’époque) s’offrit même le luxe d’avoir chez lui un projecteur cinématographique. Il était le seul de toute la ville de Takarazuka à posséder ce genre d’équipement extrêmement rare et coûteux. Mais cette opportunité permit à son jeune fils de s’abreuver de films, souvent occidentaux.
Durant son enfance, Tezuka commençait déjà à dessiner dans les marges de ses revues illustrées ou de ses cahiers d’école. Ce qui ne plaisait pas forcément à ses professeurs, mais ne semblait pas déranger ses parents qui l’ont laissé organiser sa vie et ses passions a sa guise. Lorsque la guerre contre la Chine arrive en 1937, le pays se repli sur lui-même et les périodiques devinrent rares, avant de purement et simplement disparaître. Tout comme les Akahons, ces livres à la couverture rouge imprimés sur du papier de très mauvaise qualité, mais très bon marché, qui publient des mangas locaux et qui seront interdits en 1938, car « nuisibles à la jeunesse ». Seule la revue Manga subsiste durant cette période. Mais il est difficile de se la procurer et seuls les auteurs agréés par le gouvernement peuvent s’y exprimer. Certains dessinateurs reconnus sont même envoyés au front, en tant que journalistes de guerre ou assignés à réaliser des BD de propagandes ; ce qui fut le cas de Ryûichi Yokoyama, le créateur de « Fuku-Chan ».
La guerre contre la Chine, ainsi que la Seconde Guerre mondiale passée, Osamu Tezuka se remet aux études. Il choisit de faire carrière dans la médecine. Ce qui l’aidera indéniablement pour l’anatomie et exacerbera ses idées pacifistes. Il ne perd pourtant pas de vue sa passion pour l’image. Son désir de dessiner est si grand qu’il réussit à se faire publier dans le journal des écoliers de l’agence de presse Mainichi. Sa voisine, employée du groupe, le recommande pour réaliser des strips mettant en scène Mâ-Chan, un petit garçon en phase avec son époque.
Pour cette première publication, le jeune Osamu doit mentir sur son âge. Né en 1928, il prétend être né deux ans plus tôt afin d’avoir vingt ans, âge légal de la majorité au Japon à ce moment-là. Son contrat initial d’un mois fut rapidement reconduit durant trois mois.
Diffusé quotidiennement dans les pages du Shokokumin Shinbun (Le Journal des écoliers), à partir du 4 janvier 1946 et jusqu’au 31 mars de la même année, « Le Journal de Mâ-chan » raconte les aventures d’un jeune garçon aventureux et espiègle. Ce sont juste des séries d’anecdotes sans lien entre elles, outre le fait que les deux protagonistes, Mâ-chan et Ton-chan, reviennent régulièrement pour se disputer, la plupart du temps. Avec ces strips verticaux humoristiques de trois ou quatre cases, on sent déjà que Osamu Tezuka a un sens de la narration bien développé, ainsi qu’un sens de l’espace et de la mise en image de gags simples. Il fourmille d’idées et arrive vite à placer d’autres titres dans les journaux concurrents lorsque son contrat se termine.
Toutes ces créations seraient restées inconnues si le professeur japonais, Takeshi Tanikawa n’avait pas fourré son nez dans les archives du professeur Gordon W. Prangue. Historien officiel des forces d’occupation, il a ramené au Japon de nombreux documents imprimés entre 1945 et 1952. Il découvre, entre autres, cinq titres jusque-là inconnus de Tezuka. Ces trouvailles, ainsi que plein d’autres anecdotes intéressantes sur la carrière de ce dernier sont aujourd’hui facilement consultables grâce au livre de Hélène McCarty : « Osamu Tezuka, le dieu du manga ».
C’est en 1947 que sort le fameux Akahon de « La Nouvelle Île au trésor » : première version de ce livre imprimé, selon le procédé des plaques gravées. À cette époque, afin de réduire les coûts, l’impression était réalisée à l’aide de plaques de zinc sur lesquelles les mangas étaient gravés, en décalquant à la main les dessins originaux. Du coup, le trait était forcément différent de l’original et, surtout, il était épuré pour faciliter cette tâche somme toute ingrate. Comme plusieurs sociétés de gravure avaient pignon sur rue, le dessin pouvait changer du tout au tout en fonction de l’entreprise qui réalisait le travail. Des années plus tard, l’auteur d’« Albator », Leiji Matsumoto avouera même qu’il pensait qu’Osamu Tezuka pouvait être un groupement de personnes, celui-ci étant si productif et surtout avec des styles tellement différents. Très populaire dans la région du Kansai (3), les œuvres de Tezuka n’arrivent pas encore jusqu’à Tokyo, mais sa popularité est telle qu’il commence déjà à s’y faire connaître par le bouche-à-oreille. Cette petite notoriété lui ouvrira quelques portes, lorsqu’il voudra percer nationalement.
Mais revenons à « La Nouvelle Île au trésor ». Pour la première fois, Tezuka travaille selon les directives d’un éditeur, lequel lui commande une histoire complète. Il doit suivre une trame imaginée par Ikuei Shuppan qui voit en ce jeune auteur un grand potentiel. Très déçu du résultat, il se lancera, en 1984, dans une opération titanesque : redessiner ses premières œuvres telles qu’il les aurait lui-même imaginées et mises en scène. Ikuei Shuppan, plus âgé que son dessinateur et qui a, surtout, une plus grande expérience dans l’édition remontera, corrigera, coupera certaines planches ou scènes entières afin de réaliser « La Nouvelle Île au trésor » tel que cet éditeur se l’imaginait. C’est pourquoi l’éditeur Isan Manga précise bien que la version française publiée aujourd’hui correspond à cette version remaniée par Tezuka en 1984 et non à l’original de l’époque. Elle est forcément différente et peut être plus aboutie, du moins au niveau graphique. À l’instar d’Hergé qui redessina ses premiers travaux, c’est cette version réécrite que Tezuka voulait laisser à la postérité.
C’est également cette version que la plupart des Japonais connaissent.
C’est elle aussi qui est malheureusement souvent citée en exemple du caractère innovant de la mise en page, de l’action de manière très cinématographique, chez Tezuka. Or, si la version de 1947 est extrêmement novatrice et aboutie pour l’époque, elle n’utilise quand même pas tous les ressorts dramatiques mis en place dans celle qui sera redessinée trente-sept ans après. Il suffit de comparer les scènes d’introduction. En 1946, Tezuka utilise des changements de plans situant le véhicule dans l’espace, alors qu’en 1984, il prend le parti de zoomer sur son personnage afin de renforcer l’effet de vitesse. Pourtant, à l’époque, ce récit fait déjà un effet certain sur ses lecteurs. L’ouvrage sera tiré à quatre cent mille exemplaires. Sans compter toutes les versions pirates et autres éditions parallèles faisant fi du droit d’auteur : une pratique courante dans le Japon de l’après-guerre.
La première version que Tezuka dessine selon le synopsis d’Ikuei Shuppan comporte deux cent cinquante pages de trois cases disposées verticalement. En 1984, la différence la plus flagrante est le passage à 4 cases disposées verticalement. Sur ces 250 pages, seules 190 furent finalement publiées après remodelage par l’éditeur. Du coup, ce passage à 4 cases permet à cette nouvelle version de retrouver certains passages, sans en augmenter la pagination. Comme je l’ai souligné en introduction, une grande analyse sur ce procédé de récupération, ainsi que sur la création des deux versions, est brillamment expliquée en postface de l’édition française : un travail d’historien fort louable qui permet de mieux comprendre l’édition japonaise de l’époque.
Ainsi, commence la carrière d’Osamu Tezuka, le créateur de mangas qui a le plus influencé les générations suivantes d’auteurs japonais. Lorsqu’il remportera le Inkpot Award for Comic Book Excelence à la convention de comics de San Diego en 2008, Tite Kubo, le créateur de la série « Bleach » déclarera que c’était pour lui un honneur de recevoir ce prix, car Osamu Tezuka l’avait également reçu en 1980. Aujourd’hui, l’héritage de Tezuka repose sur des créateurs comme lui et il continuera à être le dieu du manga, tant que des jeunes auteurs se diront avoir été influencés par son travail.
« La Nouvelle Île au Trésor » par Osamu Tezuka
Éditions Isan Manga (18 €) — ISBN : 978-2-36768-006-4
(1) Yon Koma ou 4 koma : histoires en quatre cases disposées verticalement et souvent humoristiques. Déroutant pour un Occidental, le déroulement répond toujours aux mêmes règles narratives : le Kishôtenketsu ; soit quatre phases bien établies se répétant strips après strips. Première case, kiku : l’introduction. Seconde case, shôku : le développement. Troisième case, tenku : l’événement. Quatrième case, kekku : la conclusion comprenant la phrase censée faire sourire, du moins les Japonais qui, eux, sont habitués à ce genre d’humour.
(2) Citation tirée du livre « Osamu Tezuka, le dieu du manga » d’Helene McCarthy, traduit en français par Jean-Paul Jennequin aux éditions Eyrolles.
(3) Le Kansai est la région où résidait Tezuka et comprend Osaka, Kyoto et, bien évidemment, Takarazuka, la ville qui l’a vue grandir.
Remarquable article, passionnant avec cette formidable anecdote sur Matsumoto qui pensait que Tezuka était un atelier d’auteurs(!) ce qui en dit long sur la productivité du gars!
Une sorte de Balzac et d’Hugo du manga à qui on ne peut que tirer son.. béret!
Il est regrettable que la première version ne soit pas proposée dans son intégralité. Je pense que cela serait un plus grand service culturel que la version retravaillée, policée des années 80. Hergé a accepté que ses vielles bandes soient publiées dans leur jus initial et cela renforce son œuvre plutôt que cela ne la déforce. Si un internaute désire compléter ce déjà très riche article sur La Nouvelle île aux trésors, consultez les écrits de Ryan Holmberg sur le site « The Comics Journal ».
Bien d’accord avec Philippe Capart ; indépendamment du regard de l’auteur sur son propre travail, cette œuvre est avant tout un témoignage patrimonial et devrait être présentée comme tel. Certes, la première version a été desservie par les procédés d’impression et les coupes de l’éditeur ; mais c’est aussi celle que des dizaines de milliers de lecteurs ont connu à l’époque et qui a lancé la carrière de Tezuka. On ne réécrit pas l’histoire, quand bien même il s’agit de son propre travail… Attention, je ne dis pas que la version d’origine devrait se substituer à celle revisitée plus tard par Tezuka ; c’était son droit le plus strict, et les fac-similés noir & blanc de Tintin n’ont jamais remplacé les versions modernes. Simplement une plus grande disponibilité de la première version aiderait à mieux comprendre le cheminement de Tezuka et éviterait des confusions comme celle de la séquence d’introduction (hélas trop répandue dans nombre d’encyclopédies du manga). Son trait de 1984 était fort différent de celui de 1947, son approche de la bd / la narration également ; aussi louable ai été son intention, le résultat est biaisé. Je crois bien qu’un fac-similé est sorti récemment au Japon, ça n’a donc rien d’impossible – j’appelle de mes vœux une édition occidentale, à l’instar du Mysterious Underground Men paru aux États-Unis chez Picture Box. Ceci dit, je salue déjà l’effort de ce jeune éditeur (qui par ailleurs a sans doute du se plier aux exigences de Tezuka prod.)