Forget-me-not 4/4

Tout au long de ce mois de décembre, COMIC BOOK HEBDO vous propose un coup d’?il sur des ouvrages parus cette année et qui méritent toute votre attention. Car en cette période d’avalanche de nouveautés pour Noël, n’oublions pas que ? loin des têtes de gondoles ? des pépites se cachent dans les rayons? Quatrième et dernière session : « Marvels », « DMZ » et « The Boys »?

« Marvels, l’œil de l’objectif » par Jay Anacleto et Kurt Busiek.

Rappelez-vous. Nous étions en 1994. L’idée géniale de Kurt Busiek. Les aquarelles hyperréalistes d’Alex Ross. « Marvels », ou l’univers Marvel vu par l’homme de la rue, et plus précisément par le photographe Phil Sheldon. Une mini-série qui a fait date a juste titre, puisque c’est vrai que cette idée était géniale, montrant comment les citoyens ordinaires virent les surhumains surgir dans leur quotidien, puis envahir leur espace de vie… Et c’est vrai que les dessins de Ross étaient sublimes, exprimant à merveille le « réalisme » du postulat. Cette œuvre n’appelait pas vraiment de suite, se suffisant à elle-même, même si nous aurions pu espérer que Busiek explore plus avant son idée qui contenait assez de potentiel pour être creusée dans la longueur, installant de passionnantes possibilités. Au-delà de toute attente, pratiquement quinze ans après, le talentueux scénariste se replongea néanmoins dans la vie de Phil Sheldon pour raconter la suite : « Marvels » retraçait l’apparition des super-héros durant l’Âge d’Or puis leur essor jusqu’au début de l’Âge de Bronze, « Marvels, l’œil de l’objectif » couvre quant à lui les décennies suivantes, arpentant les nouveaux terrains instaurés par la maturité du genre. Une maturité que Sheldon vit lui-même, traversant alors la seconde période de son existence, jusqu’à la fin… Ce nouvel opus semble d’ailleurs définitivement consacré à Phil Sheldon, les super-héros restant immanquablement en retrait malgré leur omniprésence. Le sujet principal est sous-jacent mais constant, et c’est bien le quotidien de Sheldon qui accapare tout l’espace. Une œuvre humaniste, donc, Busiek en profitant pour dresser un très beau portrait d’homme se battant contre la maladie, avec ses peurs, ses doutes, ses moments d’abattement ou de révolte, plus ou moins loin de sa famille. L’approche des super-héros est sensiblement différente que dans le premier opus : après l’apparition et l’essor, c’est ici le questionnement sur la véritable nature des surhumains qui est posée (évolution du genre oblige, les frontières entre bien et mal sont de plus en plus mises à mal, jusqu’au paroxysme du récent « Dark Reign », ultime credo issu de « Civil War » puis de « Secret Invasion »). De cette prérogative excitante, Busiek en tire des situations très intéressantes vis-à-vis du regard des non surhumains sur l’homo superior. Colère, doute, inquiétude, angoisse, révolte : et si ces « prodiges » n’étaient pas aussi « gentils » que certains l’affirment ? Sauveurs de l’humanité ou psychopathes ? Les épisodes ambigus sont légion dans l’historique de Marvel, et Busiek s’y engouffre avec bonheur. Certes, on aurait pu attendre mieux de la part de ce grand scénariste, et on ne peut que regretter que Ross ne l’ait pas accompagné dans cette nouvelle aventure… Mais Busiek signe tout de même là un récit tout à fait poignant, intelligent, creusant un filon très agréable à lire et à explorer (filon qui refit surface il y a peu dans la série annexe à « Civil War » : le magnifique « Front Line » qui mettait en scène le fameux Ben Urich et sa partenaire Sally Floyd). Et puis Jay Anacleto nous offre tout de même un spectacle peint et réaliste de très bonne tenue. Donc ne boudons pas notre plaisir…

« DMZ » T7 : « Les Pouvoirs de la guerre » par Riccardo Burchielli, Kristian Donaldson, Nikki Cook, et Brian Wood.

Déjà 7ème volume français pour cette série dont je vous ai déjà rabattu les oreilles maintes fois, vous disant tout le bien que je pense d’elle ; tout simplement l’une des meilleures séries contemporaines issues de chez Vertigo depuis des années. Intelligente, intense, gonflée, brutale et lucide, inventive et courageuse, elle explore plus qu’aucune autre le climat de la politique américaine en place depuis les deux catastrophes qu’ont été Bush fils et le Nine Eleven. Extrapolant avec science le constat réaliste de notre monde régi par la violence et le mensonge, Brian Wood envisage ce que peut engendrer notre situation actuelle. Et c’est vraiment redoutable. Une vraie vision, un vrai talent. À chaque fois qu’un nouveau volume paraît, j’ai toujours la trouille que cela soit moins bien que les précédents, mais jamais je ne suis déçu. La qualité reste. Indubitablement. Et c’est même de mieux en mieux. Bien sûr, les grandes émotions des débuts sont passées, mais elles sont inhérentes au début, justement, et le développement du concept se déploie par de nombreuses ramifications qui finissent par constituer un paysage complet de la situation, nous faisant mieux comprendre les rouages de l’histoire. Depuis le début de l’histoire, plus de deux ans ont passé. Matty Roth a fini par trouver une légitimité de vie au sein de l’enfer, même s’il semble être constamment manipulé. Brian Wood n’aligne pas les épisodes pour tirer sur la corde ; il déploie, contourne, revient, s’échappe à gauche, à droite, pour mieux revenir à l’essentiel – mais en dressant au passage une cartographie toujours plus complexe de la situation. Ainsi, les deux premiers épisodes du présent ouvrage, intitulés « The Island », se penche sur le quotidien de deux factions de soldats ennemis basés à Staten Island. Ennemis ? Vraiment ? Wood reprend ici un thème fort et réel : les soldats refusant de tuer d’autres soldats, comme cela arriva dans bien des conflits. Ce récit en deux parties peut se lire indépendamment de l’œuvre, comme un certain nombre d’histoires « annexes » à la série régulière et consacrées à des situations ou des personnages bien particuliers. Ce sera aussi le cas pour l’épisode qui clôt l’ouvrage, dédié à Zee. Entre les deux, l’histoire continue : après avoir soutenu Parco Delgado et l’avoir aidé à devenir le gouverneur de Manhattan (et donc de la DMZ), Matty se retrouve comme d’habitude rongé par le doute, malgré ses actions de plus en plus affirmées. Malgré tous ses efforts, arrivera-t-il à être autre chose qu’un pion qu’on déplace selon les intérêts de chacun ? C’est tout le propos de ces « Pouvoirs de la guerre », et c’est, comme d’habitude, tout à fait réussi. Riccardo Burchielli a trouvé sa maturité de trait sur la série, et Kristian Daldson et Nikki Cook le relaient joliment sur « L’Île » et « Zee, DMZ ». En conclusion, « DMZ » reste une série à découvrir absolument pour ceux qui ne la connaissent pas, et une œuvre à ne pas lâcher pour les autres. Je l’ai déjà dit et redit, je rabâche, mais c’est vraiment passionnant. L’un des meilleurs comics créés depuis ce début de 21ème siècle.

« The Boys » T7 : « … Faut y aller ! » et T8 : « Hérogasme » par Darick Robertson, John McCrea, et Garth Ennis.

Arrêtez ! N’en jetez plus ! On suit plus ! Un vrai rythme d’enfer pour ces Boys qui apparemment remportent un vrai succès critique et public, puisque les volumes paraissent plus vite que leur ombre… Il faut dire qu’outre-Atlantique on parle déjà d’une adaptation cinématographique de l’œuvre ! Un succès justifié, puisque c’est vrai que « The Boys » est une vraie p… de bonne série pleine de %£§@!’/& !!! Je ne vais pas vous refaire indéfiniment le film comme pour « DMZ » ou « Promethea », mais sachez juste – si vous débarquez – que Garth Ennis a encore frappé et bien frappé avec cette série iconoclaste très adulte où une bande d’engins de malheur de la CIA (les P’tits Gars) sont chargés de surveiller les super-héros et de les maîtriser s’ils déconnent trop ou abusent de leurs pouvoirs à des fins peu avouables. Maîtriser, ça peut vouloir dire plein de choses, et quand on sait qu’Ennis est à la barre, ça laisse présager le meilleur du pire ! Violence, abus sexuels, drogue, manipulation, humiliation, alcool, injures, crimes, lâcheté, mensonges… le beau visage de l’humanité enfin révélée par le biais de nos justiciers modernes, les fabuleux super-héros. Après un 6ème volume intitulé « Quand faut y aller… », voici donc le 7ème : « … Faut y aller ! ». Et on y va, pas de doute. Nos P’tits Gars étaient sur la piste des responsables du « suicide » de Silver Kincaid, une super-héroïne appartenant à l’un des G-groupes créés par un homme à la solde de la Vought-American : John Godolkin. Je ne vous dirai évidemment rien sur la fin de cette aventure où les infiltrations et les actions musclées auront bien des revers, surtout pour Hughie – comme d’habitude ? – mais pas que pour lui, nos Boys s’en sortant de justesse en devant aussi avaler la pilule. Et la pilule a du mal à passer. Darick Robertson continue de fluctuer un peu dans ses dessins, mais se reprend vraiment et nous offre de beaux moments visuels. C’est toujours aussi drôle et édifiant, mais ce n’est rien à côté du 8ème volume qui frôle la dinguerie totale. Rien que son titre, « Hérogasme », en dit long sur ce qui nous attend… Et c’est encore pire que ce qu’on croyait ! Alors qu’ils annoncent qu’ils seront absents de la Terre pour quelque temps afin d’aller batailler dans l’espace afin de sauver la planète, tous les super-héros se retrouvent sur une île isolée du reste du monde où à lieu l’Hérogasme, sorte d’orgie sexuelle géante où nos beaux justiciers vont se défouler en sautant tout ce qui bouge à grands renfort de drogues et autres excipients modernes. Se comportant comme des porcs, prenant les prostituées louées pour l’occasion comme les pires des bêtes en se foutant totalement de savoir si une femme normale peut supporter la fureur d’une super quéquette, ils vont avoir toute liberté pour s’adonner à tous les excès, même les plus violents, même les plus misérables. Cerise sur le gâteau, le vice-président américain lui-même vient participer à la fête. Mais sa venue est finement orchestrée par la Vought-American pour… chut ! « Hérogasme » est l’un des meilleurs arcs de la série, poussant le bouchon très loin puisqu’au-delà de l’orgie amorale, la présence du vice-président permet à Ennis de dresser un portrait ca-ta-stro-phi-que des hommes politiques au pouvoir, et l’on sent que George Bush est fortement dans le colimateur : le vice-président ne lui ressemble pas vraiment, mais lui ressemble finalement beaucoup. L’homme est clairement décrit comme étant un débile profond, sachant à peine parler et penser. L’un des plus beaux débiles de l’histoire de la bande dessinée : c’est… y a pas de mots ! Le crétin sidéral, le néant incarné, la bêtise sur pattes… C’en est affolant, et on a l’impression qu’on va devenir dingue à force de lire ! Oui, c’est édifiant, mais en même temps, quel pied, de voir ce massacre en règle des belles illusions en cours dans notre monde contemporain de m… Des pantins. Des malfaisants. Aucun remords, aucun regret, juste le profit, et le monde tourne. Avec un bon petit tacle au contexte du Nine Eleven. Toujours aussi violemment drôle, « The Boys » ravira une nouvelle fois les amateurs de dézinguage humaniste. Ennis n’en est pas à son premier succès, et il a signé de grandes choses, mais avec cette série il a trouvé son « Transmetropolitan » à lui, et accomplit là – à n’en pas douter – l’une de ses œuvres maîtresses. Et puisqu’on parle de cela, sachez qu’« Hérogasme » n’est malheureusement pas dessiné par Robertson, mais par John McCrea qui s’en sort bien. Alors n’hésitez pas, même si vous n’avez pas pied : plongez !

Cecil McKINLEY

« Marvels, l’œil de l’objectif » par Jay Anacleto et Kurt Busiek. Éditions Panini Comics (12,00€).

« DMZ » T7 : « Les Pouvoirs de la guerre » par Riccardo Burchielli, Kristian Donaldson, Nikki Cook, et Brian Wood. Éditions Panini Comics (15,00€).

« The Boys » T7 : « … Faut y aller ! » et T8 : « Hérogasme » par Darick Robertson, John McCrea, et Garth Ennis. Éditions Panini Comics (11,00€ et 13,00€).

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