Les « Spirou » de Jijé (2ème partie)

Les « Spirou » de Jijé sont donc doublement à l’affiche ce mois-ci puisque, outre le fac-similé de « Spirou et l’aventure » dont nous vous avons parlé en détail la semaine dernière(1), voici, enfin, l’ultime tome de l’intégrale « Tout Jijé » chez Dupuis : un album double qui couvre la période 1942-1945.

Sous la houlette érudite de Thierry Martens qui nous propose un copieux et passionnant dossier d’introduction, ce volumineux opus, indispensable à tout amateur digne de ce nom, reprend de nombreuses illustrations peu connues que Jijé réalisa, entre autres, pour les romans du label « Spirou-Sélection »,
« Jean Valhardi détective » (scénarisé par Jean Doisy, de son vrai nom Georges Evrard), la version originale de son « Christophe Colomb » entamé sous l’Occupation(2) à la suite d’une autre monumentale biographie (celle de « Don Bosco » première version, qui fut un des gros succès du journal en 1941 et 1942(3)) et les épisodes de « Spirou » réalisés pendant cette période : un fabuleux travail de restauration, au niveau des planches, réalisé par Vittorio Leonardo !

La Libération va coïncider avec la renaissance du journal Spirou : quatre semaines après l’entrée des Américains à Charleroi (et donc à Marcinelle, le siège des Dupuis), le magazine réapparaît sous la forme d’un numéro spécial de vingt pages, le 5 octobre 1944 !
Les A.D.S. vont y retrouver leurs rubriques préférées (« Le Fureteur » qui n’est autre que Jean Doisy, « Le C.S.A. présente » de Georges Cel, alias Georges Troisfontaines, illustré par le tout jeune Jean-Michel Charlier, le roman de Xavier Snoeck qui leur conte, sous le pseudonyme d’Yves Legros, « Les Combats secrets » de l’Aigle Rouge sous l’Occupation…) et les auteurs vedettes du journal : Sirius et ses « Caramel et Romulus », Fernand Dineur et ses « Tif et Tondu » et bien sûr Jijé (avec « Jean Valhardi », « Spirou et l’aventure » et « Christophe Colomb »). En effet, avant de rêver d’horizons nouveaux et de défis graphiques à relever, ce dernier va s’investir et faire feu de tout bois dans l’hebdomadaire des éditions Dupuis dont la pagination va fluctuer à cause de la restriction du papier, support qui reste parcimonieusement attribué…

Pourtant, à la Libération, Jijé va faire deux mois de prison, sans condamnation : « il m’était reproché d’avoir collaboré à un journal paru sous l’Occupation ; lequel journal reparaissait et pour lequel je continuais à dessiner sous les regards enchantés des gardes. Il m’était aussi reproché de posséder une carte de la Propaganda Abteilung que tout journaliste, dessinateur ou photographe, devait avoir, et qui vous exemptait du travail en Allemagne. Cette carte, je l’avais prise, bien sûr, sous le conseil de Doisy et de Dupuis. Bref, je m’en suis sorti le jour où j’ai fait savoir que je ne poussais plus un trait de crayon pour Spirou. Doisy a obtenu la signature de Demany, ministre de l’Information, et membre, comme lui, du parti communiste. »(4).

Il va sans dire que les éditions Dupuis et Jean Doisy, le rédacteur en chef de l’époque, ne pouvaient faire moins que de se démener afin de faire libérer celui qui fut un providentiel homme-orchestre pour le journal, épargnant même, à la rédaction de Spirou, la honte du récit inachevé ! En effet, véritable caméléon, il se glissa dans le style de l’américain Joe Shuster pour improviser des suites et fins alternatives (trois planches en tout, aux n°5 de janvier 1941, et aux n°432 et 433 de juillet et août 1946) à « Marc, hercule moderne », alias le « Superman » écrit par Jerry Siegel, dont les pages originales n’arrivaient plus au journal. Il fit la même chose pour le « Red Ryder », rebaptisé « Cavalier rouge », de Fred Harman (deux planches aux n°47 et 48 de novembre 1942) et pour le « Spirou » de Rob-Vel et Davine, comme nous l’avons vu dans notre précédent « Coin du patrimoine ».

Les Dupuis ayant fini par racheter le personnage de « Spirou » à Rob-Vel, Joseph Gillain dit Jijé va donc lui donner une belle seconde vie : lui esquissant une silhouette plus stylisée et imposant un ton plus fantaisiste à ses aventures, par l’entremise d’un nouveau compagnon (Fantasio) contrastant avec le bon sens habituel du petit groom.

Pourtant, après les épisodes contenus dans l’album « Spirou et l’aventure », Jijé ne va réaliser que les cinq premières planches d’un nouvel épisode (« Les Maisons préfabriquées »), parues du n°422 du 23 mai au n°426 du 13 juin 1946, laissant la place au jeune et talentueux André Franquin à la planche n°6(5).

En effet, Jijé ne raffole pas outre mesure de cette série qui commence à lui peser sérieusement ; en plus, la réalisation de son gigantesque « Emmanuel » est en train de le mobiliser complètement(6) : « je m’étais lancé, aventureusement, dans la mise en bandes dessinées de la vie du Christ… C’était « Emmanuel »… Cette œuvre, dont nous espérions –bien à tort- qu’elle serait un grand succès, me dévorait du temps ; alors j’ai abandonné presque toutes mes séries habituelles… En fait, « Emmanuel » a été un four complet ! Même les curés ne s’y sont pas intéressés ! Je commençais à apprendre… »(4).

Il voulait aussi recommencer son « Don Bosco » mais avec de meilleurs moyens : du plus beau papier, des couleurs… Ce qu’il finit par faire d’ailleurs avec « La Vie prodigieuse et héroïque de Don Bosco », même si ces cent six planches ne furent publiées qu’en noir et blanc dans Le Moustique (autre hebdomadaire humoristique et d’actualités appartenant aux Dupuis), de novembre 1949 à novembre 1950. Grâce aux droits d’auteur qu’il a touché pour l’album « Don Bosco ami des jeunes » (la première version), Jijé ira même jusqu’à s’acheter une voiture, pour partir en Italie (le 23 mars 1947 exactement) afin de se documenter sur les lieux même où vécut son personnage.« Je me demandais comment un type qui dessinait aussi bien pouvait passer son temps à des vies de saints au lieu de faire de la bande dessinée… Mais il faut dire qu’on ne connaissait pas encore bien Joseph à ce moment-là. » n’hésitait pas à déclarer, à Michel Baudson, l’un de ces débutants dont Jijé va prendre l’habitude de s’entourer(7) : un certain André Franquin, dans « La Bande à 4 ou la victoire de Waterloo », fascicule publié à l’occasion d’une exposition organisée par le Ministère de la Communauté française de Belgique au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, au deuxième trimestre 1981.

Dans le même ouvrage, André Franquin raconte aussi : « nous (en parlant de Morris, Eddy Paape et lui) avons appris plus tard qu’à la fin d’une réunion, alors qu’on était partis, l’éditeur a demandé à Jijé combien il pourrait nous offrir pour une page de dessins. Joseph a répondu : « Ce sont de très bons dessinateurs. Je trouve qu’il faut les payer très bien. Quelque chose comme 1 250 francs la page. » L’éditeur trouvait ça un peu élevé, mais il a décidé de faire un effort. Et c’est en rentrant chez lui que Jijé s’est rendu compte que son prix, à lui, c’était dans les 800 francs… »

Jijé va même trouver tellement bons ces jeunes (et futurs piliers de l’hebdomadaire de Marcinelle) venus se perfectionner à son contact, qu’une fois leur apprentissage terminé, il va leur redistribuer ses personnages(8), comme l’affirme Franquin dans « La Bande à 4… » : « un peu plus tard, les éditeurs nous ont installé un petit studio dans un rez-de-chaussée, avec trois tables à dessin… Paape s’y essayait à reprendre « Valhardi », moi, je tentais de faire du « Spirou » et Morris se lançait dans son « Lucky Luke », qui était son personnage à lui(9). Pour Gillain, nous étions la relève… Il venait de temps à autre à l’atelier pour voir comment ça se passait, lançait une blague et repartait. Les pages dessinées dans cet atelier sont parues dans l‘Almanach Spirou 1947… Un peu après, Gillain a brusqué les choses. Il voulait redescendre immédiatement en Italie, et me voilà dans l’obligation de continuer une histoire de « Spirou » qu’il avait commencée. J’ai dû me débrouiller pour terminer ce machin dont il m’avait seulement dit trois phrases… C’est là que nous avons mûri notre métier… »

Peu de temps après, Jijé leur propose même de les accueillir chez lui pour qu’ils puissent travailler tranquillement, dans une chambre du haut qui était inoccupée ! Deux ou trois jours après, Morris et Franquin emménagèrent à Waterloo où leurs tables à dessin avaient été installées dans la chambre même de Joseph Gillain ; mais sans Eddy Paape qui, entre-temps, lui, s’était marié… « Pendant ce temps-là, je dessinais les aventures de « Spirou », avec parfois Gillain qui m’aidait à mettre un peu de vie là-dedans… »

Mais le nomade Jijé (son rêve était de voyager avec une voiture, une roulotte et une péniche) prend peur devant les menaces engendrées par la guerre froide entre les U.S.A. et l’U.R.S.S. ; et il décide de s’établir, avec sa famille (sa femme Annie et ses enfants : Benoît, dix ans, Anne, huit, Philippe, cinq et Dominique, quinze mois), aux États-Unis ! Ils vont aussi embarquer avec eux, dans sa fameuse Hudson, André Franquin et Morris, pour un surprenant voyage en Amérique qu’Yves Chaland, avec Serge Clerc et Denis Sire, avait déjà imagé en huit pages dans le n°64 de Métal Hurlant de juin 1981 (« La Vie exemplaire de Jijé ») et que le scénariste Yann, associé au dessinateur Olivier Schwartz, devrait bientôt nous conter en bandes dessinées… Mais comme ils n’ont qu’un visa de touristes, ils vont devoir attendre à Tijuana, puis à Cuernavaca, dans les faubourgs de Mexico, une autorisation de résidence aux U.S.A. : « entre-temps, l’idée nous est venue d’aller en Amérique. Pas pour faire un voyage mais vraiment pour émigrer, comme des pionniers. J’habitais alors à Waterloo avec Morris, Franquin et Willy. On s’échauffait sur ce projet, et nous sommes partis à trois : Willy n’ayant à cette époque pas de série, donc pas de ressources, ne vint pas… Nous nous sommes mutuellement monté la tête. Mais Morris et Franquin ont beaucoup pesé sur le choix de la Californie. Quant à moi, j’étais impressionné par la dégradation politique de l’Europe. Je voyais les choses en noir… Alors je voulais partir. Et nous sommes partis. Ce fut un voyage épique… Nous avons vécu trois mois à Tijuana, le Las Vegas mexicain de la frontière… Après un an, j’ai quitté le Mexique pour les USA où j’ai résidé une autre année… » (4).

Pour l’anecdote, sachez aussi que Will, André Franquin et Eddy Paape ont participé activement à « Emmanuel », la vie du Christ en bande dessinée, surtout vers la fin. Grâce à leur aide, ce qui était devenu un pensum pour Jijé, sous la férule de l’abbé Balthasar, sera finalement terminé lorsque ce dernier partira pour l’Amérique…

Comme le signale aussi Franquin dans « La Bande à 4… », Jijé était aussi quelqu’un d’un peu utopique. Il passait allégrement d’un personnage à l’autre, l’abandonnait, le reprenait… : « un caractère étonnant. C’était le premier adulte que je rencontrais qui ne soit pas triste et ennuyeux… ». C’est d’ailleurs ainsi, qu’en 1949, il va reprendre les aventures de « Spirou », le temps d’un court épisode de quatorze planches de quatre bandes (« Comme une mouche au plafond »), où il remplace brièvement un Franquin déchiré entre la nostalgie du pays natal et les problèmes quotidiens à surmonter lors d’un séjour prolongé en terre étrangère : il envisageait même, alors, d’abandonner la série ! Unique exception dans sa production essentiellement réaliste de cette époque (la biographie de « Baden Powell » qui fut dessinée en grande partie au Mexique puis aux États-Unis(10), « La Vie prodigieuse et héroïque de Don Bosco »…), cette histoire loufoque qui n’avait pas de titre lors de sa parution dans Spirou sera remontée en douze planches de cinq bandes pour l’album « Les Chapeaux noirs », paru chez Dupuis, en 1952, et pour le « Tout Jijé 1948-1950 », en mars 2000.

De retour de son long périple mexicano-américain qui aura duré un peu moins de deux ans, Jijé s’installe dans le sud de la France, à Cassis, avec toute sa famille ; mais aussi avec Will qui restera, avec eux, encore un an avant qu’ils ne partent pour Juan-les-Pins, alors que le jeune Willy Maltaite venait de reprendre « Tif et Tondu ».

C’est lors de son séjour à Cassis que Jijé participe pour la dernière fois à une aventure de « Spirou » avec les quatorze planches de « Spirou et les hommes grenouilles ». Cet épisode estival, où il s’auto-caricature, avec Will, sur le quai du petit port de Cassis, n’est qu’un bref intérim (il sera publié dans le n°686 du 9 juin 1951 au 692 du 19 juillet de la même année) : il va surtout permettre à Franquin de prendre quelques vacances bien méritées et de réfléchir à la prochaine intrigue où le héros emblème du journal, qu’il va frapper d’une marque indélébile, sera à nouveau mis en scène par ses soins. Remontée en treize planches de cinq bandes (avec adjonction d’un dessin demi-page au début et en fin d’épisode et de quelques cases par-ci par-là en remplacement de celles occupées par le titre dans le journal) pour l’album « Les Chapeaux noirs », paru chez Dupuis, en 1952, c’est cette version que l’on retrouvera aussi dans le « Tout Jijé 1948-1950 », en mars 2000.

Quoi qu’il en soit, les péripéties autour des « Spirou » de Jijé démontrent bien, si besoin en était, l’importance de Jijé pour le 9e art et l’influence qu’il a eu sur les André Franquin, Eddy Paape, Morris (bientôt rejoints par Peyo) et autres Will ou Victor Hubinon, lesquels formeront ce que l’on appelle, désormais, l’illustre « école de Marcinelle » et dont le créateur n’est autre que Jijé, lui-même !

Gilles RATIER, avec l’aide de Christophe Léchopier (dit « Bichop ») à la technique

(1) Voir bdzoom/article4426, mais aussi les articles sur « Jerry Spring » réalisés par l’érudit du dérisoire et de Jijé qu’est Jacques Dutrey ; nous en profitons pour le remercier, une fois de plus, pour sa relecture attentive de nos « Coin du patrimoine » consacrés à ce maître et géniteur de la bande dessinée franco-belge : bdzoom/article4426 et bdzoom/article4527

(2) Saviez-vous que la parution de « Christophe Colomb », dans l’hebdomadaire Spirou, fut extrêmement irrégulière ? Cela devrait plaire à tous ceux qui aiment les histoires de strips, de bandes et de remontages ! En effet, la parution dans Spirou comportait quatre, ou trois (comme dans le n°2 de 1944 ou les 16 et 17 de 1945), voire deux bandes (au n° 14 et 15 de 1945) par numéro. Le papier était rare en ces temps difficiles. Le n°1 de 1944 ne comportait qu’un résumé illustré (avec de nouveaux dessins) qui ne fut évidemment pas repris en album, en 1946. Les bandeaux rajoutés dans l’album, au bas des pages 7 à 47, ne figuraient pas dans l’hebdomadaire. On voit bien d’ailleurs que le style en est différent, plus mûr. Quant à la page 74, elle est, en fait, composée à partir de deux planches (les 67 et 68) habilement remontées en une seule. Enfin, en 1993, les éditions Hélyode en publièrent une version en deux volumes établie par l’un des fils de Jijé (Laurent qui signe Lorg) qui avait décalqué et redessinée l’œuvre initiale… Bref, la parution de « Christophe Colomb » est, à elle seule, une véritable épopée !

(3) « Don Bosco, ami des jeunes » fut non seulement plébiscité dans Spirou, mais fut aussi, et surtout, un gros succès de librairie : l’album connut au moins trois éditions, entre le second trimestre 1943 et le printemps 1944. On parle de cent vingt-cinq mille exemplaires, uniquement sur la Belgique ! Ce succès sauva d’ailleurs les éditions Dupuis de la ruine, à une époque où leurs magazines étaient interdits par l’Occupant, comme on dit pudiquement.

(4) Extraits de l’interview fleuve de Jijé par Jean-Maurice Dehousse, Jacques Hansenne et André Leborgne publiée dans le n°40 de Hop ! (au quatrième trimestre 1986).

(5) Ces cinq planches ont été reprises dans l’album en couleurs, cartonné et au format 22×24 cm, « Spirou et Fantasio », en 1948, aux éditions Dupuis ; album réédité en noir et blanc, sous couverture brochée orange par les éditions R.T.P. (du fanzine Ran Tan Plan d’André Leborgne), dans le n°1 de la collection « Dessinateurs de notre temps : archives », en 1973. Puis, l’épisode a été remonté, en cinq bandes par planches au lieu de trois ou quatre (soit en trois pages et deux strips), dans les albums Dupuis suivants : « Radar le robot » (n°2 de la collection « Péchés de jeunesse », en 1976), « Tout Jijé 1945-1947 » (en novembre 2000), « Spirou et Fantasio » Hors série n°2 (« Radar le robot », en 2003) et l’intégrale n°1 de « Spirou et Fantasio » (« Les Débuts d’un dessinateur », en novembre 2006) ; ainsi que dans le « Tout Franquin » tome 1 des éditions Rombaldi, au quatrième trimestre 1985.

(6) Pour « Emmanuel », c’était l’abbé Balthasar qui concevait textes et mise en pages ! Au grand dam de Jijé qui voyait, sous ses yeux navrés, disparaître ses grands et beaux dessins au lavis sous de lourds pavés de texte ! En fait, cet immense volume (24,3 x 32,2 cm) de cent quatre-vingt huit pages, publié en deux tomes en 1947, ne contient, au mieux, que cent quarante de bandes dessinées ; dont certaines ne comptent que trois, voire deux bandes ou même une seule ou un bout d’image…. L’album fut réédité en un seul volume, toujours chez Dupuis, en 1949, puis en 1986 par (et au profit de ) les Orphelins-Apprentis d’Auteuil. Hélas une dame bien intentionnée (et peu douée) se chargea de la maquette… Au grand dam d’Annie Gillain qui se fâcha tout rouge ! Il y eut quand même trois éditions en tout : la première brochée au format 30×40 cm, la suivante cartonnée mais en plus petit (1987) et une autre cartonnée dans un format encore plus petit (en 1988).

(7) Le premier « élève » de Jijé sera Willy Maltaite alias Will, le futur dessinateur de « Tif et Tondu » à la suite de Fernand Dineur. Will l’accompagnera dans sa migration d’Overijse, dans le Brabant, à sa seconde résidence à Waterloo. Ce benjamin de l’équipe sera bientôt rejoint, chez Jijé, par Franquin et Morris : il est donc le quatrième membre de ce qui va devenir la célèbre « Bande à 4 ».

(8) Outre « Spirou » et « Valhardi », Jijé cédera aussi bénévolement « Blondin et Cirage », ses premiers vrais héros personnels, à la World’s Presse de Georges Troisfontaines : et c’est ainsi que cette série sera illustrée, le temps d’un long épisode dans Spirou (du n°502 du 28 novembre 1947 au n°564 du 3 février 1949), par Victor Hubinon, le dessinateur de « Buck Danny ». Ces soixante-trois planches des « Nouvelles aventures de Blondin et Cirage » écrites et dessinées par Victor Hubinon seront reprises dans un album broché chez Dupuis, à la fin de 1950 ou au début de 1951, car non daté, et qui serait, paraît-il, fort rare! Elles seront rééditées ensuite dans un album cartonné aux éditions Michel Deligne, au deuxième trimestre 1977. Avant de s’attaquer à « Blondin et Cirage », Victor Hubinon venait juste de publier une série humoristique dans SpirouRik Junior », dont on peut voir deux pages dans le tome 1 de la nouvelle et très belle intégrale « Buck Danny » qui vient de paraître chez Dupuis), sous le pseudonyme de Hughes, parue, quant à elle, dans les numéros 455 à 477 du 2 janvier au 5 juin 1947 : ce n’était donc pas ses débuts dans le domaine humoristique, comme on peut le lire malencontreusement ici ou là.

(9) Même si « Lucky Luke » est une série entièrement conçue et dessinée par Morris, du moins au départ, Jijé discutait souvent professionnellement avec lui et avec Franquin. Ses conseils pouvaient même aller jusqu’à une esquisse réalisée à même la planche, voire à la réalisation plus poussée d’un dessin ou l’autre. Ainsi, retrouve-t-on nettement la patte (anonyme) de Jijé sur trois bandes de « Lucky Luke à Desperado-City », épisode publié à la fin de l’année 1948 dans Spirou, puis dans l’album « Rodéo », chez Dupuis, en 1949.


(10) Pour se documenter sur Lord Robert Stephenson Smyth Baden-Powell, Jijé fera aussi deux autres voyages, en Angleterre : en octobre 1947 et en juin 1948. Il ne commencera donc son « Baden Powell » que juste avant d’embarquer pour l’Amérique, sur le « Nieuw Amsterdam ». Cette biographie de « Baden Powell » marqua de nombreux jeunes lecteurs dont Emmanuel Lepage qui expose, du 10 novembre 2010 au 27 février 2011, sa propre version de la couverture de l’album original, paru en 1950 chez Dupuis, à la Maison de la Bande Dessinée de Bruxelles ; ceci à l’occasion des trente ans de la disparition de Jijé, au milieu d’une vingtaine de planches originales du maître accompagnées d’une soixantaine de couvertures-hommages, dues à divers autres grands auteurs.

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18 réponses à Les « Spirou » de Jijé (2ème partie)

  1. Filippini Henri dit :

    Bravo pour le superbe travail de Gilles Ratier. Editeurs qui liront peut-être ces lignes qu’attendez-vous pour publier sur papier ces chroniques passionnantes. Permettre au patrimoine d’exister devrait être une obligation, par exemple en prélevant quelques sous sur les bénéfices gigantesques que génèrent les grands succès.
    Il est impossible que ce travail de dingue reste dans le virtuel, il doit connaître l’odeur de l’encre, seul support digne pour la lecture.
    J’ai eu le grand plaisir de bien connaître Jijé et je peux vous dire que j’ai l’impression de retrouver toute sa gouaille à la lecture de ce texte. Encore bravo!
    Henri Filippini

    • cénobite aturin dit :

      Les dates réélles de parution d’ »Emmanuel » sont encore pour moi un grand mystère: l’album complet a bien un « imprimatur du 6 août 1946″ et un copyright 1947, mais pas de DL. Mme Gillain se souvenait avoir vu son mari travailler dessus encore en janvier 1948. Dans leur ouvrage « Bandes dessinées bibliques et cathéchèses » (Lumen vitae, 1979), André Knockaert et Chantal van den Plancke donnent les dates et tirages suivants : tome 1, octobre 1947 (10 000 ex), tome 2, mars 1949 (10 000 ex.), en un volume, 1949 (25 000 ex). Cela me parait plus sérieux que ce qui a été imprimé ailleurs, et colle mieux à ce que l’on sait de la vie et du caractère hyperactif de Jijé : il ne peut pas s’être tourné les pouces pendant près de deux ans (fin 1946, 1947, début 1948)! C’est impossible! Ce n’était pas dans son tempérament!

      • spip dit :

        Le « TOUT JIJE 1942-1945″ contient donc les couvertures des recueils du journal n°s 8 (mai 41) à 14 (sept.43), les illustrations de « La princesse de corail », « Bellis et les 4 génies », « La couronne d’émeraude », « L’étrange réveillon de Jean Valhardi », l’album « Jean Valhardi détective » superbement restauré (couleurs et traits), l’épisode de Spirou « Le pilote rouge » restauré (couleurs et traits), ainsi que « Spirou et l’aventure » suivi de « Le gang des noires têtes » tel qu’il est paru dans Spirou (à comparer avec l’album!), et « Christophe Colomb » tel qu’il est paru en album, le tout accompagné des explications didactiques et historiques de Thierry Martens, et de nombreux autres documents. Un vrai coffre aux trésors, parfait complément du fac-similé de l’album « Spirou et l’Aventure ».
        Ces albums ne font donc pas double emploi.

        • césar dit :

          La caricature de Jean Doisy page 5 est de Sirius, et non de Jijé.

          • FSM agent dit :

            Saviez-vous que Jijé fit quelques bandes dans des comic books américains en 1949-50? Il évoqua la chose dans son interview avec Henri Filippini dans PHENIX n°16 du 1er trimestre 1971, page 16. Jusqu’ici personne n’avait trouvé quoi. L’éminent chercheur François San Millan est aussi un trouveur, ce qui est plus rare : un RC de 6 pages « Love and Learn », non signé évidemment, paru dans le sixième et dernier numéro de ROMANCE TRAIL (DC Comics) daté mai-juin 1950 (et paru en mars) met en scène un proto-Jerry Spring qui va, sur la fin, sans doute épouser la fille de l’oncle Paul! Que de prescience!
            Et pourquoi cette courte bande presciente était-elle absente des longues introductions peu scientes à Jerry Spring?

          • Anonyme dit :

            Cher anonyme FSM Agent,

            Concernant les introductions « peu scientes » de Jerry Spring: Son travail pour les comics est bien cité dans le Tome 1. Suite à l’influence de Milton Caniff et son « Terry », des proto-Jerry Spring il y en avait beaucoup dans les années 40 et 50! Pour exemple, Alex Toth réalisait des comics qui ressemblent également très fort à Terry/Jerry comme son « Johnny Thunder » pour All American Comics en 1948.

            Je rappelle que l’idée d’une préface est celle d’un texte d’introduction, qui donne quelques portes d’entrée aux récits publiés. Il ne s’agit pas d’un listing ou d’étaler toutes ses connaissances encyclopédiques. Il n’y est certainement pas question d’exhaustivité.

            Et pour revenir à la critique « peu scientes », les intégrales Jerry Spring détaillent avec précisions leurs sources. Les images n’y sont pas choisies pour leurs valeurs inédites mais pour la pertinence de leurs propos et les témoins sont interviewés directement par les rédacteurs (quand c’est encore possible).

            Que des nouvelles découvertes puissent être réalisées concernant Jijé/Jerry Spring, les auteurs des textes, seront les premier à s’en réjouir.

            Philippe Capart.

          • FSM agent dit :

            Si le travail de Jijé pour les « comic books » est bien cité dans la préface à « Jerry Spring l’intégrale en noir et blanc tome 1″, comme vous le prétendez, alors c’est qu’il en existe plusieurs versions… Je n’ai rien trouvé dans la mienne…

            Pourriez-vous être plus précis? Donner la page et le paragraphe?

            D’avance merci.

          • Anonyme dit :

            Bonjour courageux anonyme FSM agent,

            Suite à mon message j’ai été vérifié dans nos textes du Tome 1 et en effet nous ne l’avons pas mentionné! Nous savions que Jijé avait travaillé pour des comics et cela devait figurer dans une des versions précédentes du texte mais a du disparaître dans ses nombreux remaniements. Mon erreur!

            Et depuis mon dernier message, j’ai vu les pages du « Romance Trail » de DC et c’est bien de la main de Jijé: voilà une très belle découverte! D’autant plus étonnant que ce proto-Spring y est en couple. C’est plus « Romance » que « Western » (et plus proche de son « El Senserenico ») mais mérite certainement d’être redécouvert. Nous allons sans doute y revenir pour le Tome 5 de l’intégrale où il sera question de l’élaboration de « la Fille du Canyon ».

            Avec cette découverte, je me demande si l’utilisation des trois bandes, tellement agréable/aéré dans les premiers Jerry Spring, ne serait pas lié à une reprise/poursuite du format 3 bandes des Comics Books? La reprise des classiques 4 bandes(obligée par Dupuis selon Jijé) pour Jerry Spring est bien moins efficace.

            Philippe Capart

          • FSM agent dit :

            Cher Philippe,

            Le trois bandes par planche des premiers Jerry Spring est sans doute, aussi et surtout, lié à la mise en page de la deuxième version de Don Bosco, que Jijé réalisait en 1948-49, en même temps que ce « Love and learn », voire avant. D’ailleurs « El Senserenico » lui aussi débute sur trois bandes par page.

            Il existe sans doute d’autres RC de Jijé dans d’autres comic books Western et /ou sentimentaux, seul le hasard nous permettra de les découvrir. Pour aider le hasard j’ai mis quelques correspondants sur le coup, mais le domaine est si vaste…

            Je suppose que c’est Philippe Gillain qui vous a fait parvenir les scans des six pages que je lui ai transmis. Jim Vadeboncoeur Junior m’a confirmé que c’est bien François San Millan qui a redécouvert l’auteur de ces planches, et il aura droit je l’espère à une belle mention en tant qu’ « inventeur » (découvreur) si vous décidez de les inclure dans une préface à l’intégrale : un proto-Jerry Spring qui épouse la fille d’un proto-’Oncle Paul quatre ans et un an, respectivement, avant l’apparition de ceux-ci dans Spirou, ça ne peut être passé sous silence!

          • sredni vashtar dit :

            Cher FSM agent,

            ce n’est pas un an mais onze mois avant l’apparition de l’Oncle Paul que parut sous le pinceau de Jijé avant celui de son disciple Eddy Paape le proto-Oncle Paul.

            Cher Philippe Capart,

            Le trait de Toth n’a rien à voir avec celui de Jijé, quant à Caniff, c’est celui de Steve Canyon et non celui de Terry qui emballa Jijé : en effet lorsque Jijé fit enfin la connaissance du trait de Caniff, celui-ci avait cessé de dessiner Terry, passé entre les mains de George Wunder, et entamé Steve Canyon que Jijé pouvait suivre dans les journaux américains. Il le reconnait dans l’interview accordée à « Il Fumetto » en 1976 : « D’un point de vue graphique, j’apprécie beaucoup le Steve Canyon de Milton Caniff. » Il ne parle pas de Terry. De même s’il a vu des bandes de Caniff dans les journaux GI que lui passaient Morris et Franquin, c’étaient les strips de « Male Call » toujours de Caniff, certes, mais toujours pas de Terry, qui ne passait pas dans les journaux GI.

            Un peu de sérieux, jeunes gens!

          • Anonyme dit :

            Le trait d’Alex Toth fin des années 40, comme celui du repreneur de Terry, George Wunder, est empreint de l’influence de Caniff, et de par cette filiation il y a liens. Regarder la tête de « Terry » et la tête de notre ami « Jerry » dans les premiers albums de Spring et vous ferez vous même l’addition. Ce pinaillage est vraiment stérile.
            Philippe Capart

          • sredni vashtar dit :

            Joseph Gillain a adopté la technique de Milton Caniff vers la moitié de son « Baden Powell » après avoir découvert « Steve Canyon ». Le lien se situe dans la technique (grandes masses noires esquissées au pinceau, détails rajoutés à la plume), pas dans l’anatomie.

            Il faudrait être bien myope pour voir une quelconque ressemblance entre le blond Terry Lee aux cheveux ondulés, le brun Johnny Thunder aux cheveux frisés et au nez aquilin et le brun Jerry Spring.

            Ce n’est pas du « pinaillage » que de rectifier des jugements aussi approximatifs qu’erronés. C’est juste une gentille tentative pour nuancer des lieux communs mal assimilés, et une incitation à mieux observer. L’oeil doit guider la main, même dans les jugements esthétiques.

          • Anonyme dit :

            Allez jeter un oeil sur la couverture d’Alex Toth de l’All American Western n°104 de décembre 48, regarder l’extrait de Terry (années 40) inséré dans le Tome 1 de l’intégrale Jerry Spring et enfin jeter un oeil sur le Spring de Golden Creek. On est clairement dans une même famille. Quant aux apports de Caniff, bien qu’importants, ils complètent déjà une pratique en gravure, bas-relief et sculpture que Jijé maniait déjà avec brio. Le serti, les variations d’épaisseurs du trait de Jijé, est beaucoup plus chaleureux et organique que celui mécanique et plus uniforme de Caniff (que l’on va retrouver chez Wunder/Paape/Hubinon).
            Philippe Capart

          • Anonyme dit :

            Quand je parle de la ressemblance en « Jerry Spring » et « Terry and the Pirates » je pense au héros Pat Ryan pas au jeune Terry.
            Philippe Capart

          • sredni vashtar dit :

            Si vous dites « Terry » quand vous pensez « Pat », êtes-vous certain de ne pas penser « Terry » en disant « Pat »?
            Lorsque je parlais de confusion de pensée et d’expression, je ne croyais pas que c’était aussi grave.
            De toutes façons :
            1) Comment Jijé en 1949 aurait-il pu faire connaissance de Pat Ryan que George Wunder abandonna en 1948?
            2) Pat Ryan ne ressemble pas du tout à Jerry Spring, ni dans le physique, ni dans la physionomie, ni dans les expressions, ni dans la pipe.
            Achetez des lunettes et une bonne histoire trés illustrée de la bande dessinée américaine. Vous y verrez plus clair, et cesserez peut-être de tenter de justifier l’injustifiable.

          • Anonyme dit :

            Je ne parle nulle part de Wunder concernant Pat Ryan mais de celui Milton Caniff dans les aventures de « Terry and the Pirates » (voir extrait dans intégrale Jerry Spring Tome 1)…Et les influence des auteurs de bandes dessinées, hier comme aujourd’hui, ne se limitent pas à ce qui sort dans les journaux en parallèle de leurs créations. Vous êtes obnubilés par les détails et manquez de recul. Votre ton m’exaspère, ne comptez pas sur moi pour continuer à alimenter cette discussion ridicule.
            Philippe Capart

          • sredni vashtar dit :

            Le problème avec trop de recul c’est qu’on ne distingue plus rien.

          • Leautaud dit :

            J’envie François San Millan ! Quelle belle découverte !
            C’est l’honneur des chineurs de fonds et autres arpenteurs de magazines oubliés que de ressortir en pleine lumière ces histoires émouvantes .
            Dans le cas présent ,à l’émotion s’adjoint une dimension historique : rien moins que la genèse graphique de Jerry Spring ! Extraordinaire !

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