Forget-me-not 1/4

Tout au long de ce mois de décembre, COMIC BOOK HEBDO vous propose un coup d’?il sur des ouvrages parus cette année et qui méritent toute votre attention. Car en cette période d’avalanche de nouveautés pour Noël, n’oublions pas que ? loin des têtes de gondoles ? des pépites se cachent dans les rayons? Première session : une spéciale Warren Ellis (y avait longtemps, tiens?).

« Freak Angels » T1 et T2 par Paul Duffield et Warren Ellis

Si un jour on m’avait dit que Le Lombard publierait des comics, je crois que je m’en serais étranglé de stupéfaction. Et alors si on m’avait dit en plus qu’il s’agirait d’une œuvre de Warren Ellis, alors là je ne m’en serais pas relevé !!! Manque de pot pour vous, je suis toujours debout, avec un album de « Chlorophylle » de Macherot dans la main gauche et les deux volumes déjà parus de « Freak Angels » dans la main droite… Gulp ! Bah qu’est-ce qui s’passe ? Le fait que cet éditeur institutionnel et historique, emblématique de la bande dessinée franco-belge classique et fondatrice, édite du Warren Ellis en dit long sur le phénomène toujours plus prégnant des comics dans notre paysage éditorial, et de leur succès auprès du public. Car le cas du Lombard n’est pas isolé : çà et là, on voit d’autres éditeurs se lancer dans l’aventure alors que leur lignée éditoriale n’avait jusque-là aucune accointance avec ce genre de production. De toutes parts, on semble vouloir tirer son épingle du jeu pour ne pas laisser Panini rafler tous les bénéfices de cette manne en instance… Encore trop souvent stigmatisés et méprisés, mal jugés, les comics s’installent de plus en plus dans nos librairies, laissant sur le carreau ceux qui pensent encore qu’il n’y est question que de gugusses en slip qui se bastonnent dans le ciel. Le fait que l’ACBD ait décerné son Grand Prix de la Critique 2011 à « Asterios Polyp » de David Mazzuchelli est un autre signe de l’évolution du genre et de sa réelle nature artistique. Certes, « Freak Angels » n’est pas la série la plus trash d’Ellis, ni la plus ordurière ou outrancière, mais tout de même… nous ne sommes pas non plus à Disneyland, loin de là. Ce n’est pas non plus la meilleure série d’Ellis, mais tout de même… c’est vraiment pas mal du tout, et c’est une lecture qu’on n’oublie pas facilement. Et puis il y a les dessins et les couleurs de Paul Duffield, un artiste qui ne laisse pas indifférent. « Freak Angels » raconte l’histoire de douze enfants très spéciaux qui naquirent au même moment (le syndrome Sparks/Snow n’est pas loin) et qui déclenchèrent apparemment la fin du monde. Aujourd’hui, dans une Londres inondée et pratiquement déserte, onze de ces « prodiges » montent la garde et défendent la population de White Chapel contre les agressions extérieures. Façon de se racheter ? C’est du Warren Ellis assez bon enfant auquel nous avons affaire ici. Ne boudons pas notre plaisir. Mais ce qui marque avant tout dans « Freak Angels », ce sont les dessins et les couleurs de Paul Duffield. Un style très spécial, proche de Luna et de certains mangas, mais qui – par une sorte de fragilité engendrée par la finesse extrême du trait – s’extirpe des schémas visuels attendus pour aller vers autre chose ; comme une poésie anxieuse… Le style de Duffield est parfois inégal ; on pourra lui reprocher certaines maladresses, des visages qui – alors qu’ils sont dessinés finement – paraissent lourds, patauds et mal fagotés. Mais à côté de cela, il nous offre souvent des images d’une grande beauté, sensibles et même sublimes, renouant avec l’émotion du croquis ou du dessin à main levée, dans une grande précision. Cela se sent surtout dans ses visions de la ville, ses dessins d’architectures et de structures post-apocalyptiques. Son travail informatique de la couleur, assez doux, ajoute à la finesse du trait et nous plonge dans un univers où l’on ressent fortement les températures, les lumières, les éléments, la bise et le silence. Alors que certaines cases maladroites me gênent parfois, je suis littéralement fasciné par d’autres images que je considère comme étant de vraies petites merveilles. Certes, ses dessins urbains sont sublimes, mais il y a aussi des visages qui d’un seul coup prennent une dimension iconique par leur traité plein de grâce fragile, cristallisant la vision dans une volupté quelque peu glacée… Oui, c’est souvent magnifique, et je vous conseille vivement de jeter un coup d’œil sur ces albums, en attendant les quatre autres volumes que publiera Le Lombard pour boucler la série.

« Planetary » T4 : « Énigmes et percussions » par John Cassaday et Warren Ellis

Ah, « Planetary » ! Assurément l’une des meilleures séries d’Ellis avec « Transmetropolitan » et « Desolation Jones ». Le duo Ellis/Cassaday nous offre un spectacle intelligent, beau et passionnant, avec cette œuvre qui rend hommage à tous les grands archétypes de la science-fiction. J’ai déjà dit et redit tout le bien que je pensais de « Planetary » dans cette chronique, je ne vais donc pas vous assommer davantage en vous présentant l’œuvre de manière à démontrer ses qualités et expliquer la nécessité de la lire : si vous aimez la science-fiction, l’étrange et les comics de qualité, aussi bien écrits que dessinés, alors n’hésitez pas, faites-vous la totale, lisez tous les volumes et laissez-vous embarquer dans l’une des créations de SF les plus abouties qui soient. « Planetary » ne cesse de surprendre, et c’est en cela qu’elle ne perd jamais de son aura. Car les dessins de Cassaday et les couleurs de la géniale Laura Martin sont loin d’être les seuls atouts de la série : Ellis y débloque parfois à fond, ne s’interdisant aucune invention pour nous plonger dans le surnaturel. L’histoire en deux volets qui ouvre le présent album en est une preuve vibrante : ce que nous voyons et lisons est aussi dingue que magnifique, Ellis et Cassaday créant des visions extraordinaires qui titillent gravement notre imaginaire. Cette exploration d’une surnature dans notre univers incite à tous les fantasmes, et c’est bien cela que creuse Ellis, pour revenir à nos fondamentaux tout en ouvrant des brèches inexplorées sur certains plans. « Planetary » est l’un des plus beaux hommages qui aient été rendus à la science-fiction, tout simplement. La personnalité du héros principal (l’énigmatique Elijah Snow) est évidemment l’un des points forts de cette œuvre. Ce personnage symbolise une sorte de jalon, de maillon de la chaîne invisible aux côtés de Jenny Sparks – une autre enfant née en 1900. Ses rapports avec ses deux acolytes (le Batteur et Jakita Wagner) font aussi partie des atouts de la série, ne réduisant pas « Planetary » à un simple spectacle du merveilleux mais creusant aussi les méandres de l’humain. Dans ce quatrième volume reprenant les numéros 18 à 23 de la série (il reste donc quatre épisodes à éditer : vite vite vite, qu’attendez-vous nom de d’là !?!), nous suivons notre trio dans plusieurs directions narratives. La première, que j’ai esquissée plus haut, fait partie de ces voyages extraordinaires où notre trio découvre l’inconcevable dans ses recherches archéologiques de l’étrange. Un pur enchantement, juste pour le plaisir du merveilleux, nous faisant accéder à quelques belles émotions, et chamboulant nos méninges. La deuxième est un récit un peu à part, comme en aparté, une sorte de sas de dépressurisation où l’on se détache de l’histoire pour explorer le fonctionnement et la psychologie d’Elijah Snow lors d’une de ses visites à Melanctha, sa « psy magicienne ». L’épisode est intéressant, mais je n’arrive pas à ne pas être déçu par celui-ci, nous faisant un peu penser à du sous-« Promethea ». Oui, je sais, ça semble un peu rude, comme ça, désolé, mais bon… Ce n’est pas ce que je préfère ! On poursuit avec une histoire de Lone Ranger vengeur assez sympathique contrebalancé par un interrogatoire plutôt hardcore et s’inscrivant dans la suite du combat de Planetary contre les Quatre (les méchants pas beaux de la série). L’ouvrage se clôt sur un récit se penchant sur l’histoire du Batteur et enclenchant le processus de destruction totale des trois autres énergumènes des Quatre encore en vie. Vivement que le prochain et dernier volume paraisse, qu’on ait enfin l’intégralité de cette série magnifique entre les mains…

« Red » par Cully Hamner et Warren Ellis

Porté par son adaptation cinématographique récente (avec Willis, Freeman et compagnie…), « Red » est donc publié en France par Panini qui ne perd jamais le Nord. Ce récit en trois volumes est aussi court que simple : le nouveau directeur de la CIA veut éliminer l’un des anciens agents de l’organisation, pourtant rangé des voitures depuis longtemps. Le hic, c’est que Paul Moses (c’est son nom) n’est pas n’importe quel agent : un tueur froid et implacable, qui tue dès qu’il sort de chez lui, comme il le dit lui-même. Une machine à dézinguer, violent et précis, pugnace et increvable. Évidemment, tout ça tourne très vite au vinaigre, et les cadavres s’accumulent. Le principal intérêt de cette œuvre est le dessin de Cully Hamner, et les ambiances engendrées par le découpage nerveux et racé de cet artiste. C’est très efficace, et le plaisir est indubitable, même si l’on aimerait en lire plus : on a plus affaire ici à un prologue qu’à une véritable mini-série. Quoi qu’il en soit, si Ellis remet le couvert, il faudra qu’il évite beaucoup d’écueils prévisibles pour ne pas faire de ce concept un simple thriller violent avec ramifications de magouilles et autres éléments attendus. Mais je pense qu’on peut lui faire confiance… Alors… qui sait ?

Cecil McKINLEY

« Freak Angels » T1 et T2 par Paul Duffield et Warren Ellis Éditions du Lombard (14,95€ chacun)

« Planetary » T4 : « Énigmes et percussions » par John Cassaday et Warren Ellis Éditions Panini Comics (13,00€)

« Red » par Cully Hamner et Warren Ellis Éditions Panini Comics (11,00€)

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