R.I.P. « Daring » Dick Ayers (1924-2014), le dessinateur dans l’ombre de Jack Kirby

La carrière de Dick Ayers n’est pas celle qu’elle aurait dû être… Sa contribution importante aux Marvel Comics des années 1960, en tant qu’encreur de Kirby ou en tant que dessinateur, a donné à la maison d’édition de formidables pages de BD. Pourtant, malgré sa prolificité et la qualité indéniable de son travail, Ayers, tel Don Heck, est toujours resté un second couteau, dans l’ombre des géants Kirby et Ditko.

Dick Ayers naît à Ossining, New York en 1924. Dès 1942, alors qu’il est engagé dans l’armée de l’air, il réalise le comic strip « Radio Ray », dont nous ne savons pas grand-chose, pour le journal militaire Radio Post.

Après quelques essais chez Dell, Ayers étudie auprès du grand Burne Hogarth à la New York City’s Cartoonists and Illustrators School (rebaptisée par la suite, en 1956, School of Visual Arts).

En 1948, il est remarqué par Joe Shuster, le dessinateur de « Superman », qui l’engage dans son studio pour travailler sur Funnyman chez Magazine Enterprises.

Pour le même éditeur la même année, il dessine la série « Jimmy Durante », mettant en scène le véritable musicien-acteur new-yorkais.

Puis, dans la revue Tim Holtn° 11 (Magazine Enterprises, 1949), il invente le mémorable personnage western « Ghost Rider ».

La splash de « Ghost Rider » de Tim Holt n° 11.

En 1952, Il devient free-lance chez Atlas, où il réalise pour Stan Lee des petites histoires d’horreur pour Amazing Adventures, Adventures into Weird Worlds,

Adventures into Weird Worlds n°5.

Astonishing Worlds, Mystic, Menace, Mystery Tales, Strange Tales, Uncanny Tales, Adventures Into Terror, Journey into the Unknown et Journey into Mystery.

Adventures into Terror n°21.

En 1953, toujours pour Atlas, il collabore au relaunch de courte durée des super-héros Timely, réalisant des épisodes de « Human Torch » pour Young Men n° 25-28.

Chez Magazine Enterprises, avec le scénariste Gardner Fox, il invente dans la foulée le super-héros The Avenger, un autre pourfendeur de communistes.

En 1956, Atlas perd son distributeur (American News Co.) et « l’implosion Atlas » met en difficulté Ayers : les commandes de Stan baissent et, en 1958, le dessinateur est contraint de trouver un petit boulot complémentaire à la poste.

Avenger n° 9.

En 1959, Stan Lee le rappelle pour lui confier des westerns (les histoires avec Wyatt Earp) et des travaux d’encrage sur Jack Kirby.

« Fin Fang Foom » dans Strange Tales n° 89.

La première collaboration Kirby-Ayers (la couverture de Wyatt Earp n° 25) sera suivie de nombreuses autres, lorsque Atlas devient Marvel : des histoires de monstres géants (Tales of Suspense, Strange Tales, Journey into Mystery, Tales to Astonish, Amazing Adventures…), des récits de guerre (Battle), des westerns.

En septembre 1959, toujours pour Kirby, il reprend l’encrage des Daily Strips et des pages du dimanche de « Sky Masters » pour le George Matthew Adams Syndicate, après le départ de Wallace Wood.

Ayers signe « Kirby — Wood » (eu égard aux scénaristes « fantômes » de la série, les frères Dave et Dick Wood), sans être lui-même crédité.

La page du dimanche de « Sky Masters » du 27/9/59 encrée par Ayers.

En janvier 1960, Ayers arrête brusquement les Sunday Pages de « Sky Masters », suite à une brouille avec Jack Kirby.

Celui-ci a fait du lobbying auprès de Stan Lee pour récupérer le poste de dessinateur de la nouvelle revue Rawhide Kid, remplaçant Wyatt Earp… sa revue.

Pour couronner le tout, Ayers est assigné à y faire les encrages de Kirby !

Sur cette série, Ayers s’ennuie. Pourtant l’association Kirby/Ayers est toujours aussi fantastique. Dick corrige parfois les dessins de Kirby, notamment les crosses des colts et les cartouchières, dessinés à la va-vite.

La magnifique splash page de Rawhide Kid n° 28.

Malgré tout, il suit Kirby chez Gilberton pour quelques histoires dans Classics Illustrated et World Around Us.

L'adaptation de « Last Days of Pompei » dans Classics Illustrated n°35.

Il abandonne ensuite l’encrage des bandes quotidiennes de « Sky Masters », le George Matthew Adams Syndicate le payant trop peu.

Un daily strip de « Sky Masters » encré par Ayers.

Chez Marvel, il encre encore Kirby, cette fois sur les nouveaux super-héros lancés par l’éditeur :

Iron Man (Tales of Suspense n° 41), Ant-Man (Tales to Astonish n° 35), Thor (Journey into Mystery n°84), Sgt. Fury n°1, Fantastic Four n° 12, Avengers n° 1.

« Iron Man » dans Tales of Suspense, « Ant-Man » puis « Giant-Man » dans Tales to Astonish, quelques « Thor » dans Journey into Mystery, « S.H.I.E.L.D. » dans Strange Tales, le western Two-Gun Kid, les extraordinaires n° 6-20 de Fantastic Four, sans oublier les n° 1 de Avengers et Sgt. Fury.

S.H.I.E.L.D (Strange Tales n° 135).

Toujours dans le sillage de Kirby, Ayers remplace rapidement le « King of Comics » sur les super-héros Marvel de second plan (« Ant-Man », « Giant-Man », « Human Torch »), les westerns et les récits de guerre, notamment « Sgt. Fury » sur lequel il excellera pendant 10 ans (du n° 8 au 120, à quelques exceptions près).

Stan Lee lui donne comme instruction de copier Kirby et le surnomme affectueusement « Daring » Dick Ayers.

Illustrations ci-contre et ci-dessous : une pin-up page de « Giant-Man » (Tales to Astonish n° 63) et « Sgt. Fury » n° 22, l’excellent épisode écrit par Roy Thomas en référence à « Casablanca », le chef-d’œuvre de Michael Curtiz (1942).Ayers est pressenti pour reprendre « Daredevil » après le départ mouvementé de Wallace Wood de Marvel, mais ses essais ne plaisent pas à Stan Lee qui lui préfère Romita (sur layouts de Kirby).

Planche d’essais de Daredevil n° 12.

En 1967, Ayers (assisté des scénaristes Roy Thomas et Gary Friedrich) a enfin l’occasion de se démarquer de son mentor en reprenant sa vieille série western « Ghost Rider » chez Marvel, quand le nom du personnage tombe dans le domaine public (1). En 1968, toujours avec Friedrich, Ayers démarre une autre revue de guerre : Captain Savage and the Leatherneck Raiders.

En 1970, Stan Lee cherche un dessinateur peu coûteux pour « Conan », dont la licence BD vient d’être achetée par Marvel.

Le rédacteur en chef préférera finalement Barry Smith à Dick Ayers.

Les commandes d’Ayers baissent à Marvel, l’obligeant à un petit boulot de gardien de nuit. Grâce à l’aide de Neal Adams, il passe chez DC où il poursuit les histoires de guerre pour le directeur de publications Joe Orlando. Il dessine également les onze derniers numéros de « Kamandi », l’ancienne série de Kirby.

Unknown Soldier n° 255.

La page 25 (encrée par Alfredo Alcala) de Kamandi n° 48.

Dans les années 1980, Ayers dessine des comics publicitaires pour les ordinateurs TRS-80, The Tandy Computer Whiz Kids, en partenariat avec Archie Comics.

The Tandy Computer Whiz Kids.

Il collabore à nouveau avec Kirby pour Topps en 1993 : « Bombast » par Friedrich, Ayers & Severin.

Il encre une dernière fois Kirby juste avant sa mort (ou bien s’agit-il de l’un de ses assistants ?), sur des recréations des couvertures Marvel les plus célèbres : Fantastic Four 1, 5, 48, 49, 50, 72, X-Men 1, Journey into Mystery 83, Strange Tales 89, Strange Tales Annual 2, Avengers 1, Hulk 2.

Il dessine ensuite quelques Femforce pour Bill Black (A.C. Comics) dans les années 2000.

 Illustrations ci-dessous : les recréations de Fantastic Four 1 et X-Men 1 encrées par Ayers. 

Recherche pour « DasheCat » de FemForce.

Ayers est admis au Will Eisner Hall of Fame à la Convention de San Diego de 2007.

Le 28 juillet 2011, il défend les héritiers Kirby en témoignant en leur faveur dans le procès qui les oppose à la Marvel pour la récupération des droits des personnages (voir : http://bdzoom.com/65477/patrimoine/des-nouvelles-sur-le-front-jack-kirby/).

Ayers est mort le 4 mai 2014, vraisemblablement de complications dues à la maladie de Parkinson, dans sa maison à White Plains, New York. Il venait d’avoir 90 ans.

Son autobiographie illustrée « The Dick Ayers Story » en trois tomes (Mecca Comics) décrit sa carrière remarquable, malheureusement restée dans l’ombre de celle de Jack Kirby.

Ayers était un gentleman, un professionnel d’une simplicité et d’une gentillesse admirable, comme a pu s’en rendre compte l’auteur de ces lignes au cours du festival d’Angoulême 1992.

Jean DEPELLEY

(1) En 1972, Roy Thomas, Garry Friedrich et Mike Ploog revamperont « Ghost Rider » pour en faire un super-héros démoniaque intégré à l’univers Marvel.

Galerie

2 réponses à R.I.P. « Daring » Dick Ayers (1924-2014), le dessinateur dans l’ombre de Jack Kirby

  1. Félicitations pour ce bel article qui permet d’en apprendre beaucoup sur la carrière de ce dessinateur dont il n’existe à ce jour aucun album disponible en français. Les éditeurs éditent des blogs bâclés, alors qu’il reste tant de matière inédite?? J’ai du mal à comprendre, mais j’ai parfois l’impression que notre époque recherche la médiocrité,… pas étonnant que notre beau pays soit en récession ou en dépression selon les maux ou les mots.

  2. Jean Depelley dit :

    Merci pour votre commentaire ! Effectivement, des rééditions des Sgt. Fury de Roy Thomas, Ayers & John Severin, et tant qu’à faire des histoires de Kirby, seraient les bienvenues (elles ont seulement été éditées en France dans Choc chez Arédit dans les années 70). J’approuve également complètement votre avis sur la  » nouvelle bande dessinée « , mais c’est une autre histoire…

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