« Terry et les pirates »

Formidable ! L’intégrale du mythique « Terry and the Pirates » écrit et dessiné par Milton Caniff (Å“uvre essentielle et génitrice du 9e art qui n’a été, jusque-là, que partiellement publiée en France) va enfin être proposée aux lecteurs francophones !

Le premier tome, quatre cents pages au format 285 x 224 cm, sous couverture cartonnée, compilant tous les strips et sunday pages parus de 1934 à 1936 (le tout doté d’une nouvelle traduction due à Michel Pagel), vient de paraître grâce aux efforts de BDartiste : une galerie du neuvième arrondissement de Paris : http://www.bdartiste.com !

Il s’agit, en fait, de la traduction d’une publication en six volumes, allant jusqu’à la fin de l’année 1946, lorsque Caniff abandonne la série aux mains de George Wunder (lequel la poursuivra jusqu’en 1973), due à l’éditeur américain IDW et réalisée en partenariat avec l’université d’Ohio State. Le premier tome, publié en 2007, a d’ailleurs reçu, l’année suivante, l’Eisner Award du patrimoine aux USA ! Rien d’étonnant à cela puisqu’un soin extrême y a été apporté : non seulement les planches en couleurs du dimanche ont été scannées à partir des documents d’époque, mais elles ont été méticuleusement restaurées et réhabilitées.

Et la version française (« Terry et les pirates »), ne se contente pas d’être conforme à la déjà fort belle édition américaine : la typographie de Milton Caniff y a été vectorisée pour permettre de conserver l’esprit graphique de la version originale et l’ajout d’hommages graphiques réalisés par de grands auteurs contemporains (François Boucq, André Juillard, Guy Davis, Floc’h, François Avril, Nicolas de Crécy, Serge Clerc, Charles Berberian…) – expliquant ainsi l’importance du dessin de Caniff sur leur travail -, en renforce encore l’intérêt.

Certes, Milton Caniff ne sera pas le seul, à son époque, à imposer un style graphique aux prémices du 9e art réaliste : Frank Godwin (avec « Connie », dès 1927), Harold Foster (avec « Tarzan » en 1929, puis « Prince Valiant » en 1937), Chester Gould (avec « Dick Tracy » en 1931), Alex Raymond (avec « Flash Gordon » et « Secret Agent X-9 » en 1934) ou encore Fred Harman (« Red Ryder » en 1938), sans parler de Roy Crane (avec « Wash Tubbs », créé en 1924 et rebaptisé « Captain Easy » en 1949,

ou encore « Buz Sawyer » en 1943) dont le trait caricatural et expressif sur de palpitantes aventures exotiques inspira fortement Caniff à ses débuts, contribuèrent également à la maturation des divers esthétismes contemporains sur le plan du réalisme. Cependant, dans « Terry and the Pirates », son auteur réussit aussi à intégrer toutes les techniques de narration de la bande dessinée d’aventure (1) ! Plus encore, il développe, visuellement, une expression esthétique qui servira de base à de nombreux dessinateurs référentiels comme Will Eisner, Frank Robbins et Alex Toth aux USA, Hugo Pratt et Attilio Micheluzzi en Italie, Jijé, Eddy Paape et Victor Hubinon en Belgique, Paul Gillon et Raymond Poïvet en France, Jordi Bernet en Espagne ou même Alberto Breccia et José Muñoz en Argentine. Et son influence est encore bien présente de nos jours !

Si avec « Terry and the Pirates », série distribuée dans de nombreux quotidiens par le Chicago Tribune-New York News Syndicate, à partir du 22 octobre 1934, Caniff va dominer le dessin réaliste américain (il était surnommé « The Rembrandt of the Comic Strip »), il faut cependant préciser que son style doit énormément à celui de son ami Noel Douglas Sickles avec qui il créa un éphémère studio artistique à Colombus, en 1932.

Le strip « Scorchy Smith », créé en 1933 par Sickles, va indubitablement conditionner Caniff, Sickles allant même jusqu’à le dépanner fréquemment sur « Terry and the Pirates », et vice et versa ! Impressionné par la virtuosité de son jeune complice, Caniff va abandonner l’approche cartoon qu’il utilisait alors et commence à employer des procédés de mises en scène et d’éclairage propres au cinéma, modifiant sa technique d’encrage et peaufinant ses noirs pour en accentuer les effets dramatiques.

 C’est aussi Sickles qui crée le nouveau logo de la série, en 1935, ainsi que celui de « Steve Canyon », autre célèbre série d’aviation que Milton Caniff, secondé par de nombreux assistants, dessinera de 1947 jusqu’à son décès, en 1988 (2).

Quoi qu’il en soit, l’important, aujourd’hui, c’est que les nouvelles générations puissent enfin découvrir, grâce à BDartiste, les premières aventures du jeune Terry Lee, de son coéquipier l’aventurier et protecteur Pat Ryan et du fidèle Connie (un drôle de cuisinier chinois) aux prises avec des bandits en tout genre et de séduisantes aventurières.

Si « Terry and the Pirates » commence telle une classique bande d’aventure comme il y en avait tant à l’époque, petit à petit, elle devient très vite, en l’espace de trois années, une version adulte de ces divertissantes tribulations reflétant, de plus en plus, l’état d’esprit qui se profilait aux Etats-Unis ; leur créateur allant même jusqu’à introduire, avec le personnage de Dragon Lady, comme un soupçon de sexe, ce qui était alors complètement honni par les responsables des quotidiens de l’époque.

Pourtant, sur la longueur, la série finit par s’aligner de plus en plus sur la politique prônée par les Américains en Orient et il est d’ailleurs curieux de remarquer que, durant la Deuxième Guerre mondialePourtant, sur la longueur, la série finit par s’aligner de plus en plus sur la politique prônée par les Américains en Orient et il est d’ailleurs curieux de remarquer que, durant la Deuxième Guerre mondiale, Terry obtint le grade de sous-lieutenant de l’Air Force et que l’aviation américaine, avec l’accord des autorités, envoya à Milton Caniff une carte authentique avec son numéro de matricule. (3)

Sachez aussi que, dès 1937, « Terry and the Pirates » fit l’objet d’un feuilleton radiophonique diffusé sur N.B.C., qu’un serial de quinze épisodes, réalisé par James W. Horne avec William Tracy et Granville Owens, Sheila Darcy, Joyce Bryant, Allen Jung ou Dick Curtis, fut produit par la Columbia en 1940 et qu’un feuilleton télévisé de dix-huit épisodes, avec John Baer, Jack Reitzen, Sandra Spence, Gloria Saunders et William Tracy fut tourné sous la direction de Lews Landers et Arthur Pierson, en 1953.

Hélas, comme précisé au début de cet article, « Terry and the Pirates » qui était pourtant lu par trente et un millions de lecteurs, entre 1934 et 1946, fut traduit de façon bien sporadique dans nos contrées, même si les premiers sunday pages et strips furent maintes fois proposés dans des versions parfois surprenantes, comme nous allons vous le signaler.

La première fois que le public francophone découvre cette série, c’est par l’intermédiaire des somptueuses planches hebdomadaires du 24 janvier 1937 au 16 octobre 1938 (qui n’ont encore jamais été reprises en album, mais qui devraient être contenues dans le deuxième tome de l’intégrale éditée par BDartiste). Elles sont alors proposées, dans un format géant assez inhabituel de 55 x 39 cm, dans le magazine Junior de la S.P.E., du n°57 du 29 avril 1937 au n°145 du 5 janvier 1939 (4).

Curieusement, dans ce dernier numéro, les responsables de cet hebdomadaire paraissant le jeudi annoncent le transfert de la série dans L’As, du n°93 du 15 janvier 1939 au n°139 du 26 novembre de la même année ; mais les lecteurs ne connaîtront jamais la fin de l’épisode en cours. L’As était un autre magazine de la SPE (Société parisienne d’édition), lequel avait été créé (en 1937) en réaction à l’apparition de magazines plus attractifs édités par leurs concurrents Paul Winkler ou Cino Del Duca : tels Le Journal de Mickey, Robinson ou Hurrah !.

Il faut aussi préciser, qu’après la perte de « Terry et les pirates », Junior va perdre la presque totalité de son intérêt : d’autant plus que, du fait de la guerre, il va devoir réduire son format et faire disparaître les bandes américaines de son sommaire, à partir de 1939…

Parallèlement, sous le titre « Les Aventures de François », les débuts de la série exotique de Milton Caniff vont aussi être traduits, pour une courte durée, dans L’Aventureux des éditions Mondiales (Del Duca), du n°117 du 12 juin 1938 au n°135 du 16 octobre de la même année ; puis, en 1939, dans un autre périodique intitulé Mon film du samedi ou Le Fim du samedi (?), d’après les découvertes récentes de Louis Cance.

On ne la retrouvera qu’en 1947, cette fois-ci renommée « Barry et le lotus d’or », dans le Donald d’Opera Mundi (appartenant à Paul Winkler), du n° 1 du 23 mars 1947 au n° 27 du 29 septembre de la même année : il s’agissait encore des planches du dimanche datant de 1938 (avec Dragon Lady).

Et il faudra attendre 1970 pour retrouver les strips du 8 avril au 25 juillet 1938 (ainsi que l’épisode précédant, mais incomplet) dans Comics 130, du n° 1 (novembre 1970) au n° 6 (mai 1972) !

Ce fort intéressant magazine pour amateurs avait été lancé, à peu d’exemplaires, par la première équipe de la librairie Futuropolis (c’est-à-dire bien avant la reprise en main par Étienne Robial), sous la direction de Robert Roquemartine, lequel y accueillait les premiers écrits de Christian et Marc Duveau ou de Jean-Pierre Dionnet ! Et dans ce mythique support dans la lignée d’un Charlie mensuel, se côtoyait aussi bien « Dick Tracy » et « Mandrake » que Philippe Druillet, Carlos Gimenez, Magnus et Bunker, Esteban Maroto, Claude Auclair, Greg, Nitika Mandryka, André Joy, Loro, Raymond Poïvet, Guido Buzzelli ou Wally Wood auteur, par ailleurs, d’une très drôle parodie de « Terry and the Pirates » dans Mad, en 1953 !

C’est aussi en 1972 que les lecteurs francophones vont pouvoir découvrir les strips quotidiens du 19 août au 19 décembre 1935, dans les n°6 (mars) à 8 (mai) d’un mythique et éphémère mensuel de la S.P.E. : Pieds Nickelés magazine ! Huit magnifiques numéros dus à l’équipe de Phénix (particulièrement Claude Moliterni et Henri Filippini) où l’on trouvait des grands classiques (comme « Terry and the Pirates », « Les Pieds Nickelés », « Little Nemo » ou « Alley Oop ») et des productions plus contemporaines comme celles d’Hugo Pratt, Jean Tabary, Pierre Le Guen, Robert Gigi, les débuts de Régis Loisel et de Philippe Luguy…, le tout en noir et blanc et dans un grand format à la mise en pages attrayante ! Mais qui fût, à l’époque, un cuisant échec commercial !

Puis, de 1978 à 1979, les éditions grenobloises Focus proposèrent un magazine distribué en librairies spécialisées du nom de Rétrospective BD (Rétro BD) avec la reprise des premiers strips de la série, ceux du 22 octobre 1934 au 18 octobre 1936, auxquels étaient mêlées, à leur juste place, les planches du dimanche (hélas en noir et blanc) ! Voilà encore un support fabuleux qui permettait de découvrir des classiques anglo-saxons pour la plupart inédits en France : « Roméo Brown », « Garth », « Tarzan », « Wash Tubbs » et « Captain Easy », « Twin Earths », « Buck Rogers », « Gun Law », « Charlie Chan », « Abbie & Slats », « Friday Foster », « Kerry Drake », « On Stage », « Steve Roper », « Superman », « Alley Oop », « Ambler », « Judge Wright », « Johnny Hazard », « Secret Agent X-9 », « Buck Ryan », « Matt Marriott », « Vic Flint », « Connie »…, un must vous dis-je !

Au niveau des albums, avant cette formidable réédition de BDartiste, seulement trois éditeurs s’étaient intéressés à « Terry and the Pirates » : Slatkine (de 1980 à 1982), Futuropolis (de 1985 à 1989) et Zenda (en 1990 et 1991).

Bien avant la méritante collection Copyright du Futuropolis de Robial, les éditions genevoises Slatkine, surtout connues pour leurs célèbres reprints  réimpressions de textes, de périodiques, de dictionnaires de la langue française et de grandes études critiques dans les domaines de la littérature française, de la philologie romane, de la linguistique et de l’histoire de France), avaient entrepris l’édition des grands classiques de ce que certains spécialistes et nostalgiques appelaient encore L’âge d’or :

« Flash Gordon », « Jungle Jim », « The Phantom », « Prince Valiant », « Brick Bradford », « The Katzenjammer Kids », « Wash Tubbs », « Red Barry », « Cisco Kid »…, et donc « Terry and the Pirates » ! Il s’agit exclusivement des bandes quotidiennes (sauf dans le tome 1 qui présente aussi quelques pages du dimanche) compilées, dans un ordre surprenant, en quatre volumes au format « à l’italienne » : « Dragon Lady » en 1980 (strips du 25 août 1936 au 16 février 1937), « Rencontre avec Burma » en 1981 (strips du 21 décembre 1935 au 27 août 1936), « La Mine d’or perdue » en 1981 (strips du 22 octobre 1934 au 8 juin 1935) et « Une dangereuse passion» en 1982 (strips du 10 juin au 19 décembre 1935).

Vinrent alors les six beaux recueils (toujours « à l’italienne », mais avec jaquette) de la collection Copyright de Futuropolis, publiés de 1985 à 1989, présentant uniquement les strips quotidiens du 28 août 1936 au 13 novembre 1938, dans un format pas toujours très judicieusement agrandi.

Malgré la qualité générale de l’entreprise, on regrettera aussi l’absence d’outils critiques (préfaces ou dossiers), lesquels étaient un plus non négligeable pour les autres ouvrages de cette formidable collection mythique des éditions Futuropolis !

Enfin, la plus belle version des trois était celle des éditions Zenda qui fut, hélas, interrompue au bout de deux très beaux volumes, en 1990 et 1991. Ces dernières présentaient l’intégralité des strips originaux en noir et blanc et des planches du dimanche en couleurs parues entre le 21 octobre 1934 et le 29 mars 1936. Des articles introductifs, fort bien venus, étaient signés par Jules Feiffer ou Ron Goulart et surtout par Rick Marschall qui était le maître d’Å“uvre de ce premier projet sérieux d’intégrale. Car il s’agissait, en fait, de la traduction des deux ouvrages que ce dernier avait publiés aux USA chez Remco Worldservice Books, à partir de 1990, avant de jeter le gant : « The Complete Color Terry and the Pirates by Milton Caniff ». (5)

Il faut donc espérer que l’opération de la galerie BDartiste arrivera à terme car, comme vous avez pu le constater, les lecteurs francophones ont toujours eu, jusqu’à présent, qu’une vision partielle de cette Å“uvre, quelles que soient les générations !

Gilles RATIER

(1) Certains scénaristes ont d’ailleurs complètement revendiqué l’impact narratif de Caniff, tel Yvan Delporte (dans « Avant la case », l’ouvrage de Gilles Ratier sur les scénaristes aux éditions Sangam) : « Sa construction des histoires était formidable. Il publiait une bande par jour, six jours par semaine et le septième jour, il y avait une planche entière en couleur : il parvenait à faire deux histoires où l’on pouvait ne lire que les bandes quotidiennes ou que les pages hebdomadaires, sans qu’il y ait la moindre redondance. J’ai eu le plaisir de le rencontrer dans son studio à New York. Il travaillait d’ailleurs de façon particulière : il écrivait son histoire et faisait des croquis de ses personnages, puis envoyait ça en Californie, de l’autre côté du continent, parce que son lettreur habitait là-bas ; le lettreur dessinait le ballon et écrivait les textes à l’intérieur puis retournait le tout à Caniff qui finissait son dessin. »

(2) Outre, le n°63 de Hop !, les autres références françaises concernant l’Å“uvre de Milton Caniff sont les ouvrages « La Bande dessinée selon Milton Caniff » de Rick Marshall et John Paul Adams aux éditions Futuropolis (en 1984) et « Images de Chine » de Thierry Smolderen aux éditions Gilou & Schlirf (en 1986), les revues Les Cahiers de la bande dessinée n° 66 (novembre 1985), Phénix n° 1, n° 12 et n° 17, Spot BD n° 23, Le Collectionneur de bandes dessinées n° 57/58, Libération du 6 avril 1988 ou BoDoï n° 73, et les articles de Claude Moliterni sur bdzoom.com : bdzoom/article3161, bdzoom/article2158 et bdzoom/article3435.

(3) Les années passant, Milton Caniff sentit que ses personnages ne lui appartenaient plus : « S’il avait fallu que je continue Terry », déclara-t-il plus tard, « j’aurais perdu ma liberté artistique… J’aurais dû assujettir mon personnage à quelque chose que je ne considérais pas naturel, voilà pourquoi je l’ai abandonné ». En janvier 1947, il change donc d’agence pour créer « Steve Canyon » alors que « Terry and the Pirates » est confié à George Wunder qui portera, à l’extrême, le discours initié par Milton Caniff, accentuant particulièrement son ton anticommuniste.

(4) Détails issus d’un passionnant dossier sur Milton Caniff paru dans le n°63 de Hop ! du deuxième trimestre 1994, lequel propose également la traduction d’un épisode de « Steve Canyon ».

(5) Il faut aussi rendre hommage au site coconino-world.com qui, depuis 1999, propose, sur le Net, quelques traductions de chefs-d’Å“uvre de la bande dessinée, dont « Mission en Indochine », un épisode intégral de « Terry and the Pirates » datant de 1938 et 1939 : http://www.old-coconino.com/sites_auteurs/caniff/index.html.

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9 réponses à « Terry et les pirates »

  1. Anonyme dit :

    J’ai craqué pour ce bouquin samedi au Mans, c’est un bijou. Bravo aux éditeurs : je possédais déjà les Slatkine et les Futuro, mais ceci c’est une merveille. Un travail de fans pour les fans. justice est rendue à l’immense Caniff, le « maître » de Jijé comme de Pratt et de bien d’autres… Arnaud de la Croix

    • Thierry Smolderen dit :

      Je n’ai pas encore vu la version française, mais comme elle paraît identique à la version américaine de cette réédition, ça doit être très, très bien. Je croise les doigts pour que ce projet français n’avorte pas comme tant d’autres autour de Caniff. Vivement les volumes suivants qui reprennent des histoires encore inédites en français, ou qui ont été charcutées ou mal reproduites (par Futuro, notamment, qui sortait ces rééditions au kilomètre avec très peu d’efforts pour le nettoyage et le choix des documents d’origine).

      Au dossier très complet que vous publiez sur BDZoom, je rajouterais que la réédition récente, aux EU, du Capitain Easy de Roy Crane montre une influence très importante de ce dessinateur sur Caniff et Sickles — des solutions graphiques typiquement « caniffiennes » sont évidentes dans la série de Crane, pourtant antérieure à Terry.

      Par rapport à ses concurrents, la grande force de Caniff se situe au niveau du scénario. Les sujets des différents épisodes sont très variés, et deviennent de plus en plus réalistes avec les années. Très « pulp » au début — basé sur les romans d’aventures exotiques à quatre sous, et sur les nombreuses chinoiseries d’Hollywood — l’univers chinois prend de plus en plus de relief et de réalité, jusqu’à devenir extrêmement documenté pendant les années de guerre. Mais c’est le côté feuilleton qui est le plus plaisant, avec l’apparition de personnages fascinants comme Burma, ou la Dragon Lady, qui débarquent toujours sans prévenir dans le récit en cours, puis disparaissent pour quelques mois. Les relations sentimentales, les rivalités entre les personnages évoluent — ça frise parfois le soap, mais dans le meilleur sens du terme.

      Je suis impatient de voir, aussi, comment les dialogues de Caniff ont été traduits en français. Pour m’y être collé sur un épisode de Terry inédit en français (sur le site Coconino World, à l’adresse que vous indiquez), je sais à quel point il est difficile de rendre l’humour et les couleurs du langage de Caniff, qui affecte des tonalités, des accents différents à chaque personnage, joue sur différentes langues vernaculaires (le parler des gangsters, celui de la Dragon Lady, personnages friqués bourgeois, accent français, allemand etc. ). Les rééditions précédentes de Terry ne respectaient absolument pas cette variété de ton (la traduction de Futuro étant particulièrement pâle et incolore – mais le traducteur était sûrement payé sur la cuisse avec l’élastique du lance-pierre).
      J’ai appris beaucoup de choses en traduisant cet épisode de Terry. Il fallait aussi tenir compte du fait que Caniff trouvait systématiquement les mots et les tournures les plus courts pour exprimer ses idées. Les mots de plus de trois syllabes sont rarissimes, la plupart ont une ou deux syllabes (il y a une différence notable entre le français et l’anglais à ce niveau, mais elle n’explique pas tout).
      On retrouve la même qualité d’écriture, de concision, d’expression parfaite, dans les gags de Schulz (Peanuts). Je les lis en anglais, et je ne peux pas m’empêcher de me mettre à la place du traducteur vers le français… Un vrai cauchemar — en tout cas un travail de Titan – que de parvenir à retrouver ce naturel, cette fluidité limpide de l’expression, et de tomber pile-poil comme Schulz, sur le « bon temps » de la mesure, en fin de strip — celui qui donne le maximum d’impact à la chute.)

      Bref, je crois que nous sommes nombreux à saluer cette réédition. Caniff était un vrai raconteur d’histoire — un magicien qui parvenait à vous faire croire à la réalité de ses personnages — et une personnalité éminemment chaleureuse et modeste comme peuvent en témoigner tous ceux qui ont eu la chance de le rencontrer.

      Thierry Smolderen

  2. archie07 dit :

    précision très importante : le format n’est pas de 240 X 165 mais de 285 x 224 ! (l’éditeur lui-même m’a donné cette info par mail, et j’ai pû le constater moi même quand j’ai acheté ce tome 1). Ca change tout, cela donne un ouvrage magnifique !

    • Bdzoom dit :

      Absolument ! C’est bien 285 x 224 ! Je reconnais que c’est une erreur de ma part car j’avais commencé mon article avant d’acheter le livre et donc de pouvoir donner des précisions sur le format (les librairies de Limoges, où j’habite, ayant été livrées presque une semaine après celles de Paris). L’info que l’on m’avait donnée n’était pas bonne ! Désolé !
      Cordialement
      Gilles Ratier

      • jacques dutrey dit :

        TERRY ET LES PIRATES:
        sources françaises : les albums états-uniens

        Il semble que les origines directes des quatre tentatives de publication française d’albums de Terry et les pirates proviennent toutes d ’albums sources nord américains (ou états-uniens pour ne pas vexer nos amis canadiens):

        En 1975 et 1977 Woody Gelman, par sa maison d’édition NOSTALGIA PRESS, a publié quatre volumes brochés noir et blanc fort bien imprimés reprenant, dans un certain désordre chronologique, les premières années du strip (22.10.34 à 16.2.37). 2 strips par page, format 241×68 mm. Matériel fourni par Shelf Dorf, assistant de Caniff. Je les ai. Il a aussi publié un volume cartonné toilé sous jaquette reprenant deux de ces volumes (22.10.34-13.12.35). Je ne l’ai pas. Les premières années de la planche hebdomadaire, racontant des histoires différentes des bandes quotidiennes n’y sont pas repris non plus. L’éditeur suisse Slatkine a repris ces volumes quasiment à l’identique quelques années plus tard.

        En 1984 NBM publie « MILT CANIFF, REMBRANDT OF THE COMIC STRIP », réédition du rarissime petit volume publicitaire mais informatif envoyé en 1946 aux rédacteurs en chef de journaux, et rédigé par John Paul Adams (nom de plume de Clark Kinnaird, publicitaire pour KFS et les journaux Hearst), augmenté d’une introduction de Rick Marschall. Je l’ai. Ce mince album fut repris en français par Futuropolis deux ans plus tard.
        De l’été 1984 à 1988, l’éditeur NBM (= Nantier, Beall, Minoutchine), dans la collection « Flying Buttress Classics Library », a publié la totalité des aventures de Terry en 12 luxueux gros volumes, de 250 à 350 pages chacun environ, 2 strips de format 255×72 mm par page, reliés imitation cuir sous jaquette, en tirages limités à 1200 ou 1400 exemplaires numérotés par volume. Bill Blackbeard de la San Francisco Academy of Comic Art a fourni sa collection de strips et planches tirés des journaux comme source et rédigé les premières introductions savantes, et un tantinet indigestes, parait-il. Je ne possède hélas que le volume n°8 (7.6.41-9.8.42) de la série, avec une introduction de John Bainbridge. Il est très beau et contient la légendaire séquence de la mort de Raven. Les bandes quotidiennes et les planches hebdomadaires y sont reproduites à une échelle légèrement plus grande que dans l’édition NOSTALGIA, et sont donc aussi agréables à lire que plaisantes à regarder. N’oublions pas qu’à l’époque les strips étaient reproduits à une échelle bien plus grande qu’aujourd’hui dans les journaux. Evidemment les planches du dimanche sont imprimées en noir et blanc à partir des journaux couleurs, et donc parfois un peu sombres ou confuses. Il est probable que l’édition Futuropolis soit issue de cette édition.
        En 1986 NBM commence une édition bon marché ($6.95 le fascicule), brochée, 4 strips par page de format 190×55 mm, hélas un peu trop petits pour être lus sans fatigue et admirés pleinement, et la termine en 1992 à son 25e volume, toujours au même prix. Je possède les fascicules 1 à 25, sauf les n°s 6 et 7 (hélas encore), ce qui m’a enfin permis de lire la quasi totalité de la bande.
        En 1990 NBM commence à reprendre la totalité des planches du dimanche en couleurs, à raison de deux bandes par page (soit une demie planche), en douze volumes reliés imitation cuir bleu sombre sous jaquette. Très jolies couleurs d’époque. Les deux premiers ne font pas double emploi avec la série noir et blanc puisque du 9.12.34 au 23.8.36 les planches du dimanche racontaient des histoires différentes de celles des bandes quotidiennes, et n’étaient donc pas incluse dans les volumes en noir et blanc, ce pourquoi j’ ai acheté ces deux volumes, et je ne regrette pas.

        Ensuite viendront les éditions REMCO/Kitchen Sink (1989-90), qui publient deux volumes reprenant à nouveau la bande depuis ses débuts à raison de six strips ou une planche couleurs à la page. Rick Marshall a complètement oublié de me les envoyer, mais je ne lui en veux pas, j’avais déjà deux fois le début. Les sources en sont multiples (originaux, journaux, photocopies, fac-simile, etc). Les couleurs des premières PH sont « restaurées » (lire « accentuées »), ce qui a fait hurler les puristes yankees. La version française des éditions ZENDA en est directement issue(1990-91).

        Enfin les éditions IDW Publishing, en six gros volumes publiés de septembre 2007 à début 2009, reprennent les bandes quotidiennes en noir et blanc et les planches hebdomadaires en couleurs, comme il convient. J’ignore la taille de reproduction des bandes, deux par page je suppose, et leurs sources, mais comme depuis 1998 la totalité de la collection du San Francisco Academy of Comic Art a rejoint les archives de Milton Caniff dans le Billy Ireland Cartoon Library and Museum de l’Ohio State University, je suppose que tout a été scanné là bas à partir des meilleurs documents survivants. Je n’ ai jamais vu cette édition, qui doit être la meilleure, et la source directe de la quatrième tentative d’édition française, à qui je souhaite de fortes ventes afin qu’elle puisse mener à bien une entreprise essentielle pour les Terryphiles non anglophones qui attendent en vain depuis plus d’un demi siècle la suite et fin de cette aventure éditoriale.

        Mes achats à l’époque étaient fonction de mes maigres disponibilités financières à une période économiquement difficile (achat et restauration d’une maison, puis dix ans d’enfants en fac à Bordeaux, Tarbes et Toulouse) et des soldes chez le distributeur Bud Plant, ce qui explique la disparité de cette collection.

        Jacques Dutrey

      • Jacques Dubois, Librairie Gribouille Bayonne dit :

        Jacques Dubois
        Librairie Gribouille, Bayonne
        En consultant Terry et les pirates, j’ai découvert un certain Gilles Ratier. Est-ce que c’est le Gilles Ratier qui était à Rochefort dans les années 67/68?
        Si oui. Qu’il me contacte.
        Merci Cordialement JD

        • Bdzoom dit :

          Hélas non, je n’ai jamais été à Rochefort dans les années 67/68 : j’avais juste 10 ans !

          Désolé

          Gilles Ratier

          • Anonyme dit :

            C’était plus probablement Confolens comme en témoignerait un courrier des lecteurs des Pieds Nickelés magazine de 1972 – à côté d’un courrier de… Bruno Lecigne !
            Cordialement,
            Claude Ecken

          • Bdzoom dit :

            J’étais, en effet, bien à Confolens à cette époque là (et ceci jusqu’au début des années 80) ! Voulez-vous dire que j’aurais écrit à Pieds Nickelés magazine en 1972 ? Ça, je ne m’en souviens pas ! Mais c’est fort possible car j’aimais vraiment beaucoup ce magazine !

            Cordialement

            Gilles Ratier

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