« La Banque T1 : 1ère génération – 1815-1848 » par Julien Maffre, Pierre Boisserie et Philippe Guillaume

Parue depuis le 25 avril et déjà nommée BD RTL du mois, « La Banque » est le premier tome d’une nouvelle saga financière familiale, concoctée par les scénaristes Pierre Boisserie (« La Croix de Cazenac », « Flor de Luna ») et Philippe Guillaume (« Dantès »), en compagnie de Julien Maffre. L’on y retrouve, dans une atmosphère londonienne troublée où chacun est prêt à miser sur la fin ou la survie de l’Empire napoléonien après Waterloo, Charlotte et Christian de Saint-Hubert, deux enfants d’aristocrates français ayant fui la Révolution. Charlotte, devenue courtisane, et Christian, qui travaille pour les Rothschild, vont combiner un plan dangereux pour faire un coup en Bourse…

Planche 1 - © Dargaud 2014

Saga familiale, argent et finance : voici trois ingrédients ayant déjà fait notablement fructifier de grandes séries de bande dessinée, telles « Les Maîtres de l’orge » (Van Hamme et Vallès, 1992 à 1999 chez Glénat) ou le récent « Châteaux Bordeaux » (Corbeyran et Espé, depuis 2011 chez Glénat), ceci sans oublier les plus aventureux « Largo Winch » et « IRS » ou les enquêtes journalistiques comme « L’Affaire des affaires » (Denis Robert, Yann Lindingre et Laurent Astier, 4 tomes parus de 2009 à 2011 chez Dargaud). Pour « La Banque », l’ambition affichée par les auteurs est d’évoquer sur 200 ans d’histoire de la finance (de la Restauration jusqu’à la faillite de Lehman Brothers en 2008)n en revivant les péripéties vécues par 6 ou 7 générations de Saint-Hubert (famille de banquiers imaginaire). Chacune de ces générations sera perçue au travers d’un diptyque d’albums, réalisés – dans un souci de gain de temps – par différents dessinateurs. L’expérience professionnelle et boursière du journaliste scénariste Philippe Guillaume est ici manifeste, pour celui qui fut successivement au lancement du magazine La Tribune, avant de rejoindre Les Échos en 1989, ceci tout en intégrant l’ACBD (Association des critiques et journalistes de bande dessinée).

En couverture, la série indique tout d’abord clairement sa thématique par un titre simple et efficace, « La Banque ». Ce titre aux allures menaçante (en noir et en gros caractères) est brut de décoffrage mais autorise parallèlement tous les fantasmes, qu’ils soient positifs ou négatifs. Lieu de la fortune ou du risque financier, des fébriles activités spéculatives ou de la thésaurisation passive, la banque est aussi connotée que le lieu privilégié ou visé par une faune d’individus jugés peu recommandables : banquier véreux, spéculateurs et cyniques affairistes, escrocs et gangsters, ou encore opérateurs de marché (traders), dont les vols spectaculaires ou les faillites retentissantes auront fait la bonne fortune des médias. Le terme de banque nous renvoie également à son étymologie : soit le terme italien banca, au XVe siècle, signifiant – notamment pour les fameux banquiers lombards installés au Nord de l’Italie – des tables de comptoirs puis des établissements de crédits.

L'ambiance à la Bourse de Londres (Royal Stock Exchange) en 1847. The "Merchant's walk" : gravures publiées dans "Illustrated London News" (23 octobre 1847).

La période historique indiquée en couverture (1815 à 1848) correspond pour la France aux deux périodes conjuguées de la Restauration (jusqu’en 1830) et de la Monarchie de Juillet (abdication de Louis-Philippe en février 1848) et donc à la fin de la royauté. En plein boom de sa révolution industrielle et décidée à se forger un très vaste empire colonial, l’Angleterre georgienne entre après 1815 dans une période de dépression économique accrue et d’incertitude politique, caractérisée par le mécontentement et l’agitation sociale. Le présent album, comme nous l’avons évoqué, prends corps autour d’un événement avéré : selon une affirmation très répandue dès le XIXe siècle, Nathan Mayer Rothschild (1777 – 1836) aurait alors effectué son plus grand coup financier (basé sur un délit d’initié), par le biais de la bataille de Waterloo (20 juin 1815), dont il aurait connu l’issue deux jours avant l’opinion publique anglaise, grâce à son réseau d’informateurs. L’opération, qui rapportera au final 600 millions de livres à Rothschild en 1817, consacrera durablement la maîtrise familiale des finances britanniques.

Rough finalisé et encrage de couverture

Qui dit « Angleterre » et « XIXe siècle » évoque aussitôt un vaste univers de références romanesques que l’on pourra deviner en filigranes de la couverture concoctée par Julien Maffre, dans la mesure où le papier (ici un mixte entre bons au trésor, actions « English Consuls » et actes notariés), l’agent, le sang et les passions des protagonistes s’y expriment à plein. En prenant le lecteur-spectateur à témoin, alors que la foule enfiévrée des spéculateurs ne leur accorde à l’inverse aucune attention, Charlotte et Christian de Saint-Hubert gardent par ailleurs une allure déterminée résolument criminelle (le tisonnier ensanglanté témoigne d’un meurtre récent) et crapuleuse (nombreuses liasses d’argent portées dans la sacoche), au sein d’un lieu clos ainsi partagé – comme en témoigne l’arrière-plan – entre ombres et lumières. Comme le suggère en couverture l’emploi des teintes froides et mortifères, ou comme le souligne Jean Dufaux dans sa préface, le titre nu « La Banque » ne laissera donc aucune équivoque ni échappatoire aux personnages, coincés entre beaux salons et ruelles lugubres…
Précisons que la couverture retenue au final, après discussions entre scénaristes, dessinateurs et éditeur, fut … la première proposition de Julien Maffre, apparue comme étant la plus complète (le frère et la sœur réunis, l’argent et le sang, etc.).

Parmi les sources littératures avérées des auteurs, citons Dickens, Shelley, Balzac (« La Maison Nucingen », Maupassant, Zola (« L’Argent » et « La Curée ») ainsi que William Thackeray, dont la célèbre « Foire aux Vanités » (1846) dépeint de manière mordante toute la société londonienne. Zola, dont nous reprendrons une citation pessimiste, extraite de « L’Argent » (1891), en épilogue de cet article :

« Il faut des années pour que la confiance renaisse, pour que les grandes maisons de banque se reconstruisent, jusqu’au jour où, la passion du jeu ravivée peu à peu, flambant et recommençant l’aventure, amène une nouvelle crise, effondre tout, dans un nouveau désastre. Mais, cette fois, derrière cette fumée rousse de l’horizon, dans les lointains troubles de la ville, il y avait comme un grand craquement sourd, la fin prochaine d’un monde. »

La suite dans le tome 2, prévu dès le mois de septembre 2014…

Projet de couverture pour le tome 2

Philippe TOMBLAINE

« La Banque T1 : 1815-1848 » par Julien Maffre, Pierre Boisserie et Philippe Guillaume
Éditions Dargaud (13,99 €) – ISBN : 978-2-205-07028-6

Galerie

2 réponses à « La Banque T1 : 1ère génération – 1815-1848 » par Julien Maffre, Pierre Boisserie et Philippe Guillaume

  1. Bob dit :

    Vous prétendez analyser cette couverture sans évoquer une seule fois le dessinateur ? Chapeau !

  2. Philippe Tomblaine dit :

    Julien Maffre est évoqué dès le titre de cet article : il n’est pas oublié puisque c’est lui-même (encore merci) qui a fourni les visuels inédits… L’analyse est toutefois personnelle : il n’est pas toujours nécessaire de répéter les noms des auteurs, parfaitement identifiables. L’article a néanmoins été complété par un détail, et donc – aussi – le nom de ce talentueux dessinateur.

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