« Hellboy en enfer T1 : Secrets de famille » par Mike Mignola et Dave Stewart

Avec le 13ème tome d’« Hellboy » (« L’Ultime Tempête ») sorti l’année dernière chez Delcourt, le premier grand cycle des aventures d’Hellboy se terminait, menant son héros de vie à trépas… Depuis quelque temps déjà, Mike Mignola ne dessinait plus la série régulière, celle-ci ayant été reprise par plusieurs artistes dont Corben ou Fegredo. Le nouveau cycle qu’inaugure l’album « Hellboy en enfer » T1 marque aussi le grand retour de Mignola en tant que dessinateur sur sa propre série, et ça c’est formidable, car on n’est pas déçus d’avoir attendu : transcendé par un Dave Stewart très inspiré, le dessin de Mignola est toujours aussi fascinant, tendant de plus en plus à l’épure… De toute beauté !

C’est vrai qu’on l’attendait au tournant, le Mignola. Bien sûr, il aurait vraiment fallu faire la fine bouche pour ne pas apprécier les belles et récentes contributions de Corben sur la série, et être de mauvaise foi pour ne pas reconnaître que Duncan Fegredo a offert une très belle continuité visuelle à « Hellboy », réussissant à insuffler un caractère graphique légitime à l’œuvre sans jamais singer le maître. Mais on attendait néanmoins que Mignola reprenne les pinceaux, se replonge dans son emblématique création et la fasse vivre graphiquement, sur le long cours ; et, évidemment, que le retour soit flamboyant, qu’il nous en mette plein la vue, que ce ne soit pas un retour tiède ou un rendez-vous raté. Eh bien rassurez-vous, la déception sera pour une autre fois, car le résultat est indubitablement une réussite totale. C’est du Mignola pur jus du début à la fin, sans être automatique ou redondant. En effet, même si l’on retrouve tout ce qu’on aime dans Mignola et que tous les archétypes sont là, de subtiles évolutions se nichent dans le trait et la narration de l’auteur. Et cette évolution est belle, ne tendant pas vers la facilité. Le style et la narration de Mignola tendent vers l’épure, la schématisation, jusqu’à flirter avec l’abstraction. Il n’y a pas que le sujet qui fasse qu’on ait ce ressenti prodigieusement archaïque, quand on lit « Hellboy » : le trait de Mignola rejoint le thème pour exprimer ce qui aurait pu être vu dans une bande dessinée si celle-ci avait paru à l’époque romane. Le sujet d’« Hellboy » a des airs de gothique, mais il faut encore la creuser un peu pour voir à quelle point cette œuvre est bien une œuvre d’art roman, celui où les figures démoniaques des bas-reliefs et des frontons des églises premières ressemblaient à ce que dessine Mignola… D’une simplicité effrayante, d’un effroi archaïque bien plus glaçant que celui engendré par les méticulosités gothiques à venir… Simplicité expressionniste de la forme.

 

Avec le temps, le trait de Mignola rejoint de plus en plus ces images premières, réussissant formidablement à en restituer la forme, certes, mais aussi l’esprit, un esprit qui ne peut que toucher puissamment notre fantasme collectif de surnaturel caché en-deçà de l’histoire humaine, et rappeler notre trouble face à tel bas-relief ancien et inquiétant, telle figure sculptée grimaçante, figée dans la pierre et traversant les siècles sous nos regards équivoques. Le style graphique et la narration de Mignola passent de la sobriété à l’ascèse inventive, de manière très subtile. Bien sûr, çà et là on tombe sur un dessin plus touffu, avec des effets de traits, mais dans la très grande majorité de ce « Hellboy en enfer » T1, c’est bien l’expérimentation de l’ascèse et de la représentation graphique qui s’exprime avec force. Recherchant dans le trait des évidences de simplicité, une portée symbolique et une distorsion intéressante de la forme, Mignola met en scène des masses et des creux qui frôlent parfois le seuil de la représentation lors de séquences spécifiques au sein de l’action, s’échappant du signifiant pour aller au signifié avant de revenir au réel. Pour autant, la chose n’est pas aride, et c’est même un fantastique théâtre que cet enfer de Mignola, ses planches étant souvent traversées de visions incroyables et impressionnantes, flirtant entre le Moyen Âge et Jack Kirby. Ses insectes géants des profondeurs, par exemple, sont extraordinaires. Quant au découpage et à la narration, ils sont d’une rare sobriété tout en restant inventifs, avec des cadrages et des compositions pétris d’une rigueur qui n’exclue pas la fantaisie sombre… Enfin, le talentueux Dave Stewart offre à « Hellboy en enfer » une mise en couleurs extrêmement bien sentie, sublime écrin qui rend le spectacle macabre somptueux, excellant dans les alternances et les mariages de tons rompus et de couleurs franches…

 

Hellboy est mort, vive Hellboy ! Après avoir sauvé le monde et l’Angleterre, il a perdu son combat face au dragon, son cœur lui a été littéralement arraché, et il est donc envoyé en enfer… J’ai beaucoup parlé de la forme jusqu’ici, mais sur le fond aussi nous avons affaire à du Mignola pur jus : au lieu de l’embarquer tout de go dans des aventures démoniaques plus extraordinaires les unes que les autres, le créateur mène sa créature dans un périple où le silence, le questionnement et le dialogue au second degré prennent une belle place entre deux dangers, permettant au héros de continuer à être ce qu’il est, et à la série de poursuivre sa reconstitution progressive des événements qui constituent son univers global. En arrivant en enfer, Hellboy va donc se retrouver confronté non seulement à des êtres belliqueux ou inquiétants, mais aussi devoir faire face aux fantômes de sa propre existence, et rencontrer des figures plus ou moins connues, comme Jules Eugène Dulot ou Edward Grey (chasseur de sorcières employé par la reine Victoria, héros du récent spin-of « Witchfinder » dont le premier tome est paru cet hiver chez le même éditeur). Ce premier album du nouveau cycle d’« Hellboy » est donc une introduction contextuelle dudit cycle, plus en atmosphère qu’en action, et c’est un régal que de suivre Hellboy au sein même de l’enfer, de découvrir avec lui les recoins et vérités tapis dans l’ombre et les braises, comprenant que les décisions qu’il va devoir prendre ne pourront de toute façon pas satisfaire ce qu’il souhaite intimement ni ce qu’on attend de lui… De grands dilemmes sont donc à prévoir, et c’est avec une très vive impatience que nous attendons de lire la suite de ce nouveau cycle. À noter que l’album se clôt sur un sketchbook assez foisonnant, et que Delcourt avait récemment sorti une édition spéciale de ce « Hellboy en enfer » T1, en grand format et en noir et blanc. Oui, le mythe continue…

 

Cecil McKINLEY

« Hellboy en enfer T1 : Secrets de famille » par Mike Mignola et Dave Stewart

Delcourt (15,95€) – ISBN : 978-2-7560-4816-1

Galerie

2 réponses à « Hellboy en enfer T1 : Secrets de famille » par Mike Mignola et Dave Stewart

  1. JC Lebourdais dit :

    oui je suis d’accord, le dessin est toujours aussi bon, mais au fil du temps les scenarios de Mignola s’etiolent et tirent en longueur sur cette serie, comme sur BPRD, et lorsqu’on lit le courrier des lecteurs des fascicules US, on se rend compte que meme les fans de la premiere heure (dont je faisais partie) finissent par se lasser. et le rapport contenu/prix n’arrange rien. c’est dommage.

    • Dédé dit :

      Merci pour cette critique et ces mots, qui même aussi bien trouvés qu’ils soient, ne pourront jamais résumer le plaisir de découvrir ces deux derniers tomes (en enfer). Pour les pseudos fans de la « première heure » qui se lassent, il me semble, et c’est bien triste pour eux, qu’ils passent vraiment à côté. La subtilité, la finesse, l’élégance, la culture et toutes les références que l’on y retrouve sont certainement à un niveau trop élevé pour eux. Je leur conseille donc une série formidable, à leur niveau. Moins chère, compréhensible, avec de multiples rebondissements et de l’action : Tchoupi.
      R.

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