Rencontre avec Aurore et Jean-Luc Sala au sujet de « Lady Liberty »…

À l’occasion de leur nouvelle et trépidante série commune « Lady Liberty », dont le premier album sort cette semaine chez Soleil, BDzoom.com vous propose une interview de la dessinatrice Aurore (« Kookaburra Universe et « Elinor Jones ») et du scénariste Jean-Luc Sala (« Cross Fire », « Questor », « Spynest » ou « Ploneïs l’incertain »)…

Comment a commencé l’aventure de « Lady Liberty » ?

Aurore : Après « Elinor Jones » et « Kookabura Universe », j’ai eu envie de me tourner vers d’autres genres et c’est le récit d’aventures/action qui m’attirait le plus. Mon ami Pierre-Mony Chan (dessinateur de « Cross Fire ») m’a mise en contact avec Jean-Luc Sala. Pour la petite histoire, au départ, nous étions partis pour réaliser une série de fantasy, mais le projet n’a pas convaincu. Nous avons étudié plusieurs pistes, toujours dans l’idée d’une série « aventure », et on s’est arrêté sur cette période de la guerre de Sept Ans et des prémices de la Révolution. Cette idée me plaisait beaucoup, car j’ai toujours aimé travailler les costumes d’époque. À la base, la série était écrite pour mettre en scène un héros, mais une héroïne collait plus avec mon dessin. Jean-Luc a alors fait quelques modifications dans l’histoire pour que cela fonctionne avec mon graphisme et mes couleurs. En retravaillant le scénario, on s’est rendu compte que l’histoire fonctionnait encore mieux avec une femme !

Jean-Luc Sala : En fait, je ne voulais pas écrire « Lady Liberty » si tôt… J’entrevoyais toute la difficulté de faire un récit qui soit à la fois « rock n’ roll » et « classique » : une comédie d’action et d’espionnage dans l’esprit de ma série phare « Cross Fire », mais avec des dialogues ciselés dans le respect de la langue du XVIIIe siècle. Je voulais me réserver ce projet pour quand j’aurais plus de bouteille. La rencontre avec Aurore, les circonstances éditoriales et une sorte de climat ambiant prérévolutionnaire, ont fait que je m’y suis mis plus tôt que prévu. Je ne le regrette pas. Je crois même que cet album sort à un moment où nous devons nous rappeler d’où viennent ces trois mots sur les frontons de nos bâtiments d’État… et ce qu’ils ont signifié pour ceux qui les ont prononcés pour la première fois… Liberté, Égalité, Fraternité.

Comment avez-vous effectué le travail préparatoire de « Lady Liberty » ?

J.-L. S. : Mon travail préparatoire a d’abord été d’ordre documentaire : j’ai travaillé en parallèle sur cette histoire et sur un « biopic » autour de l’indépendance américaine que j’aimerais concrétiser un jour. J’ai réuni des essais historiques, des biographies, des documents d’époques et quelques fac-similés. Pour moi, cette phase documentaire est le carburant dont j’ai besoin pour esquisser le contexte, les personnages et les enjeux.

Aurore : En réalité je ne fais pas de dossier préparatoire en amont, mais j’organise mes recherches en fonction des séquences que je vais dessiner. Jean-Luc m’a fourni beaucoup de documents que je complétais avec des recherches supplémentaires selon mes besoins. Le but était de donner à voir ce contexte historique sans non plus se limiter au niveau créatif. Mes recherches ont servi de base à mon inspiration, mais il fallait me laisser aussi une ouverture pour prendre plaisir à créer. J’ai donc pris le parti de retranscrire les décors, les vêtements et l’architecture de ce siècle, de façon non pas « encyclopédique », mais de façon plus personnelle. Je n’ai pas voulu m’enfermer dans un traitement graphique trop précis, où j’aurais peut-être eu moins de plaisir à dessiner. Si l’on se penche sur les costumes de l’époque, on peut vite perdre le fil : les uniformes des militaires changeaient tous les dix ans à cette période !

Comment vous êtes-vous approprié la grammaire et le lexique utilisés au XVIIIe siècle ?

J.-L.S. : Lorsque les personnages se sont précisés, Beaumarchais s’est révélé être un antagoniste de choix. Alors s’est posé le problème des dialogues… Impossible de le faire parler de façon trop actuelle sans trahir le génie qu’il était dans l’audace et l’art de la réplique qui tue. Pour écrire ces phrases assassines, j’ai relu et décortiqué les classiques : Choderlos de Laclos, Sade, Beaumarchais. Un dictionnaire d’argot et un précis de rhétorique à portée de main. J’ai noté les constructions de phrases en ne retenant que ce qui restait compréhensible pour un dialogue de BD, tout en sonnant classique… Et j’ai recyclé quelques citations et bons mots d’époque. Ces bons mots sont des respirations entre des séquences moins légères comme l’évocation de la bataille de Lexington ou même franchement dures comme la scène de viol de Lady Gage. La séquence du duel avec Beaumarchais, où les deux personnages ne font finalement que parler de sexe, est assez représentative de l’effet que je recherchais. Mais le vrai secret, c’est d’écrire en écoutant de la musique du XVIIIe siècle et du rock (une playlist qui pousse mon entourage au désespoir) : ça m’aide à la fois à changer totalement d’époque et à garder en tête la modernité que je voulais y mettre.

L’histoire, comme base de narration, vous fascine-t-elle ?

J.-L. S. : J’adore les récits historiques, les biographies et encore plus quand ils ont des résonances avec notre époque, ce qui est le cas avec la série « Lady Liberty »… Tous les enjeux sur la liberté, le contexte économique, l’aveuglement des élites, l’incompréhension, les privilèges. Ce crépuscule d’un monde me semble extrêmement d’actualité. Mais il est vrai que « Lady Liberty » sera ma première véritable incursion dans le genre historique. C’est enthousiasmant, chaque scène soulève des problèmes : combien de jours étaient nécessaires à un navire en 1775 pour relier Boston à Londres ? Combien de jours de chevauchée entre Boston et Philadelphie ? À quoi ressemblait le château de Versailles en 1775 ? Quand je ne trouve pas les réponses, je sollicite des aides amicales d’historiens. Ceci fait, je prends mes marques dans les données recueillies et j’utilise ce qui va m’arranger pour soutenir ma trame scénaristique. 

Comment les traits de Lady Liberty sont-ils nés ?

Aurore : J’ai un grand besoin de l’histoire et de l’action pour pouvoir construire mes personnages. Je trouve difficile de façonner un personnage sans avoir le scénario complet en main, car il est appelé à évoluer, à gagner en épaisseur. C’est pour cela que mes personnages ne sont pas définitifs quand j’entreprends mes crayonnés. Ils sont appelés à évoluer à mesure que j’avance dans le récit. Lorsque j’ai fini, je retourne toujours aux premières planches pour faire les dernières modifications. Les personnages, entre le début et la fin, ont souvent gagné en caractère, il faut que cela se voie ! En fait, j’ai besoin de les faire vivre durant la phase de dessin, pour arriver à un design définitif.

Le personnage du chevalier d’Éon est un personnage très intrigant et mystérieux. Est-ce une figure historique qui vous a toujours intéressé ?

J.-L. S. : Je n’avais pas de fascination particulière pour le personnage au départ… Il s’est imposé dans le récit, car, avec Aurore, nous désirions des personnages féminins forts. D’Éon est une figure centrale de tout l’espionnage de l’époque et elle a fasciné Beaumarchais. Comme tout le monde, j’avais les mêmes préjugés et clichés que l’histoire a laissés du personnage : « mi-travelo, mi-James Bond ». Finalement, en me documentant, je dois avouer que c’est un des personnages les plus étonnants de notre Histoire… Mais, pour mieux répondre à cette question, je dois dévoiler le début du tome 2. Pendant quarante-neuf ans, d’Éon s’est fait passer pour un homme, puis pendant trente-trois ans pour une femme. Dans « Lady Liberty », j’écorne le mystère du chevalier d’Éon en apportant une nouvelle piste de réflexion. Le personnage tel que nous le traitons dans la série est une véritable femme. Fille d’un noble qui voulait un garçon et élevée comme telle, elle a obtenu le grade de capitaine des Dragons et a combattu pendant la guerre de Sept Ans, avant de se tourner vers une carrière d’espionne pour laquelle elle recevra les plus grandes distinctions. Jusqu’en 1775, elle est considérée, à la cour de Versailles, comme une femme qui a menti sur son identité pour suivre une carrière militaire. Il est également établi historiquement que Beaumarchais va la connaître « intimement » et il témoignera par la suite qu’elle est bien une femme (et il s’y connaissait sur le sujet). Dans notre histoire, au lieu de mourir dans le Londres de 1810, je la fais disparaître en 1775. Nous verrons plus tard que Beaumarchais, pour raisons d’espionnage, aura besoin de maintenir vivant « le personnage d’Éon » et qu’il le fera remplacer par un homme travesti. Cette même personne, qui sera inspectée sur son lit de mort par le chirurgien légiste Thomas Copeland, est déclarée comme un homme « parfaitement formé sous tous les rapports ». Mais je n’en dévoile pas plus, car je réserve aux lecteurs d’autres rebondissements autour de ce personnage. La chevalière d’Éon (puisque nous parlons d’une femme) s’efface dès le deuxième tome, après avoir été la figure tutélaire de l’héroïne Lya de Beaumont. Ensuite, tout le reste de la série s’ancrera autour du personnage de George Washington, qui n’est pas encore apparu dans le premier volume. La Révolution commencera véritablement dans « 13 Colonies », le tome 2 de « Lady Liberty »…

 

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