Le virus de l’horreur continue chez Delcourt

Depuis quelques années, le renouveau de l’horreur aux États-Unis passe essentiellement par un revival zombie. En peu de temps, le phénomène s’est à la fois affirmé et affiné, au point qu’on puisse par exemple dire aujourd’hui que le thème du virus transformant les hommes en morts-vivants dans un futur proche soit devenu un genre à part entière au sein de cette nouvelle vague. Certes, le sujet n’est pas nouveau, mais il semble trouver dans le contexte anxiogène de notre monde post-moderne un terrain propice aux fantasmes les plus terribles? Il en va ainsi des deux albums dont il est question aujourd’hui, suites de sagas en cours d’édition en France.

On commence par le troisième tome du « Fléau », l’adaptation du livre éponyme de Stephen King. Une adaptation fidèle qui n’a pas déçu les fans de l’écrivain et qui redonne un nouveau souffle à cette œuvre qui avait marqué les lecteurs. C’est Roberto Aguirre-Sacasa qui s’est chargé de l’adaptation du texte en scénario de bande dessinée, et force est de constater qu’il a su tirer de ce pavé l’essence même du propos, réussissant à ne pas être dans un flux de narration trop concentré tout en respectant les champs proposés par le texte initial. Les dessins de Mike Perkins, bénéficiant du talent de coloriste de Laura martin, sont à la fois précis et enlevés, ce qui ne gâche rien quant à l’ambiance générale… Dans ce troisième tome, nous suivons à nouveau Frannie Goldsmith, Larry Underwood, Stuart Redman et Nick Andros dans leurs efforts pour s’en sortir et trouver des solutions pour survivre. Stu, enfermé, continue de résister à ses geôliers, Nick a des problèmes de conscience… Mais ces deux solitudes sont contrebalancées par Frannie, qui apprend la promiscuité avec un adolescent au physique ingrat, et Larry Underwood va faire une belle rencontre ; un espoir, peut-être, pour lui, malheureusement malmené par les événements et son foutu caractère de cochon. Il est assez remarquable de constater combien ce renouveau du récit de zombie implique immanquablement – comme par retour de boomerang – des prérogatives affectives et humanistes très fortes, devenant presque le sujet principal du récit : le récit d’horreur comme l’un des seuls révélateurs de l’humanité qui nous restent ? Peut-être… Après une ou deux décennies ayant scellé le caractère inhumain et atroce de notre monde d’après les grands conflits, le ton arrogant et cynique est en train de faire place à un besoin subconscient d’humanité maternelle et rassurante. Vous me direz : « Oui, mais hé ho, arrête ton char, McKinley : King a écrit « Le Fléau » en 1978, et la dimension humaine ou amoureuse, exacerbée par le danger de mort, a toujours traversé ce genre d’œuvres, comme dans le sublimissime « L’Ultimo uomo della Terra » d’Ubaldo Ragona et Sidney Salkow, coscénarisé par Richard Matheson en personne (1964, avec le génial Vincent Price), ou le magnifique The World, the flesh and the devil de Ranald MacDougall (1959). » Je vous dirai déjà que vous avez bon goût et que vous avez raison. Mais justement. De l’eau a coulé sous les ponts, depuis tout ça. Et l’on aurait pu croire que les adaptations d’œuvres telles que celles-ci, après des flots de cinéma aux effets spéciaux cyniques et l’entertainment spectaculaire en réaction à l’horreur actuelle (11 septembre, conflits larvés, peurs écologistes), seraient plus dures ou froides, tendant vers l’horreur plus que vers l’humain. Preuve que le genre « horror » actuel est tombé entre les mains d’auteurs humanistes et inquiets – ce qui est rassurant. Pour autant, ces auteurs et ces artistes ne renoncent pas au spectaculaire du gore, tradition oblige, et ce sont tout sauf des adaptations palotes auxquelles nous avons doit : les frissons sont là, don’t worry. Nous allons le voir tout de suite avec « 28 Jours plus tard ». Mais pour ce qui est du « Fléau », la seule chose que vous pourrez regretter est le format trop court de la bande dessinée : on aimerait en avoir plus !

Drôle de chose, que ce concept de « … plus tard ». Entre les mois, les semaines, les jours, les comics, le cinéma, voilà bien un thème d’auteur qui trouve sans problème des ramifications et des complémentarités pour s’exprimer… Comme il est dit en quatrième de couverture, cette bande dessinée est la suite directe du film « 28 Jours plus tard » de Danny Boyle, et fait le lien avec « 28 Semaines plus tard ». Je vous le rappelle, l’Angleterre a été touchée par un virus inconnu. Pratiquement toute la population est morte, et les personnes contaminées encore debout ne le sont qu’à l’état de morts-vivants, cherchant de la chair fraîche et pure afin de se rassasier. Angoisse. Qui va bien vouloir aller là-bas pour rendre compte au monde extérieur ce qui s’y passe, et où en est la contagion ? Peu de volontaires, mais les bons : Clint et Derrick, deux journalistes américains, et la fameuse Selena, héroïne forte de l’histoire. Après un premier volume introduisant l’action, nous suivons maintenant le trio dans ses efforts pour enfin atteindre Londres. La volonté est une chose, mais la réalité en est une autre, et leur mission s’avère bien moins facile que prévue, les obligeant à passer par l’Écosse et la France. Vous aurez en effet le plaisir, chers lecteurs français, d’admirer notre merveilleuse ville de Berck apparaître au générique de cette œuvre yankee ! Michael Alan Nelson, le scénariste, mène son récit avec une belle efficacité, alternant introspection et horreur pure dans un rythme agréable et efficace. Les personnages sont assez touchants psychologiquement, et l’on a aucun mal à se sentir impliqué par ce qui leur arrive. Cette fameuse « proximité affective » qu’on retrouve aussi dans « Walking Dead » ou « Y the last man ». Dans ce deuxième volume, ils devront encore traverser des moments difficiles qui vont leur demander de puiser énormément dans leur for intérieur afin de ne pas se laisser aller à des réactions premières, mais bien d’exprimer les valeurs qui les lient le plus profondément au sentiment humain « global ». Le seul petit bémol plutôt personnel que j’aurais à faire tient à l’inégalité du dessin, parfois acéré, horrifique, venimeux et entêtant, parfois simpliste et brut, d’où un certain décalage émotionnel et visuel. Sûrement l’alchimie entre les deux dessinateurs (Oleksicki et Shalvey) qui demande encore un peu de rodage… Mais ceci mis à part, c’est une série que je vous conseille si vous aimez toutes les œuvres qui ont été citées dans cet article qui s’achève maintenant – mais qui reste néanmoins debout, l’œil torve et sanglant, prêt à vous mordre les chairs sitôt la fenêtre fermée…

Cecil McKINLEY

« Le Fléau » T3 : « Le Cauchemar américain » par Mike Perkins et Roberto Aguirre-Sacasa Éditions Delcourt (14,95€)

« 28 Jours plus tard » T2 : « Clint » par Marek Oleksicki, Declan Shalvey et Michael Alan Nelson Éditions Delcourt (13,50€)

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