« Super-héros : l’éternel combat » par Michael Kantor

En France, les DVD consacrés aux comics sont rarissimes, donc il convient de ne pas passer à côté lorsqu’il en sort un, qui plus est si ledit DVD propose un programme de qualité. C’est le cas avec ce documentaire de Michael Kantor qui retrace 75 ans d’histoire des super-héros (et donc d’une part importante des comics) à travers des archives et des interviews remarquables, dressant un portrait très pertinent du phénomène en lien étroit avec l’histoire des États-Unis. À voir absolument !

Ce documentaire en trois parties a été réalisé par Michael Kantor, co-écrit avec Lawrence Maslon (avec qui il avait déjà travaillé sur deux documentaires consacrés à la comédie et à la comédie musicale américaines). Diffusé aux USA sur PBS en octobre dernier et plus récemment chez nous sur l’excellente chaîne Arte, il est désormais disponible en DVD. L’une des grandes qualités de ce documentaire est qu’il est apte à passionner les novices tout autant que les aficionados du genre. En effet, ceux qui ne connaissent pas les comics de super-héros et qui souhaiteraient découvrir leur histoire et leur univers pourront appréhender la chose grâce à une chronologie mettant en exergue ce qu’il y a de primordial à savoir pour comprendre le phénomène, et feront connaissance avec les principaux acteurs et personnages de ce genre à part entière à travers des interviews et des images emblématiques. Ceux qui connaissent les super-héros par cœur ne seront pas en reste puisque Michael Kantor a exhumé des images d’archives et des films de tout premier ordre, d’une grande rareté ou totalement inédits, sur les comics eux-mêmes ou sur la société américaine. Ainsi, on assistera à un extrait filmé de la fameuse plaidoirie anti-comics de Frederic Wertham au Sénat dans les années 50, à des réunions éditoriales des années 70 avec par exemple Neal Adams et Denny O’Neil, et nous verrons Jack Kirby qui parle de Captain America ou qui travaille à sa table à dessin… Des documents historiques et passionnants, tout simplement patrimoniaux.

Michael Kantor et Lawrence Maslon

Mais ce n’est pas tout : l’un des intérêts majeurs de ce documentaire est qu’il bénéficie de l’intervention de plusieurs générations de scénaristes et de dessinateurs de comics qui font partie intégrante de l’histoire éditoriale des super-héros et qui témoignent devant la caméra. Vous pourrez donc voir et écouter (entre autres !) Joe Simon, Stan Lee, Jerry Robinson, Carmine Infantino, Joe Kubert, Neal Adams, Jim Steranko, Len Wein, Marv Wolfman, Walt et Louise Simonson, Denny O’Neil, Gerry Conway, Alan Moore, Chris Claremont, Joe Quesada, Phil Jimenez, Mark Waid, Grant Morrison, Larry Hama, Jeph Loeb, J. M. Straczynski, Geoff Johns, Frank Miller, Paul Dini, Jim Lee, Todd McFarlane, etc. Toute la fine fleur des comics de super-héros est donc là, et c’est absolument génial de pouvoir entendre parler ces créateurs et artistes mythiques de leur passion et de leur métier, de leur regard sur ce medium auquel ils ont souvent consacré toute leur existence… Mais il y a aussi le témoignage d’historiens des comics, comme Trina Robbins ou Bradford Wright, et même d’acteurs ayant incarné des super-héros dans des séries TV cultes, avec notamment Lynda Carter (Wonder Woman) ou Adam West (Batman). L’ensemble de ces témoignages constitue donc une véritable mémoire du genre, un trésor inestimable (pouvoir écouter Jerry Robinson ou Joe Simon, c’est tout de même quelque chose, nom de nom !). De même, les bonus du DVD proposent des interviews annexes de Stan Lee qui nous parle de Jack Kirby et de la création de Spider-Man, de Jerry Robinson qui revient sur la création du Joker et de Robin, de Lynda Carter et d’Adam West qui témoignent sur leur vision des super-héros, d’Eddy Friedfeld qui aborde les super-pouvoirs de Superman, et de Michael Uslan qui nous gratifie d’un témoignage tout à fait savoureux sur l’origine des conventions de comics aux États-Unis dans les années 60… Tout ça est réjouissant et excitant au possible !

Stan Lee : Excelsior, bien sûr !

Kantor a voulu faire une synthèse de plusieurs paramètres afin de dresser ce portrait des comics de super-héros : histoire des créateurs, des personnages, de l’industrie des comics et de l’Amérique afin de ne pas présenter le sujet par une seule facette qui aurait été réductrice et n’aurait pas donné une vision d’ensemble représentative de la chose. Ce faisant, il a réussi à structurer un documentaire où l’on comprend exactement les interactions entre création de comics et évolution de la société américaine, que ce soit par les mœurs ou les événements politiques, sociétaux et même technologiques des États-Unis. Les passerelles entre les destins individuels des artistes, l’industrie des comics et la marche de la société américaine engendrent une remarquable synthèse du phénomène, de sa nature, de ses évolutions et des directions qu’il a prises. Entre la recherche de documents rares et significatifs devant illustrer leur projet et les interviews réalisées depuis 2009, le processus de création de ce documentaire a demandé pratiquement cinq ans de travail à Michael Kantor et Lawrence Maslon. C’est donc un travail de longue haleine que les auteurs ont abordé avec passion et sérieux, et le résultat est à la hauteur de leurs efforts (à noter qu’aux États-Unis, un livre tiré de ce documentaire a été édité afin d’accompagner celui-ci : on espère que ce livre sera un jour édité en France !). Bien sûr, trois heures pour raconter l’histoire des comics de super-héros des années 30 à aujourd’hui, c’est peu, et le rythme du documentaire est donc assez intense, mais c’est un bien petit défaut au vu de ce qu’il offre comme trésors et connaissances sur le sujet… Un grand bravo à Arte pour avoir diffusé ce documentaire et le proposer maintenant en DVD !

Wonder Lynda Carter...

Cecil McKINLEY

« Super-héros : l’éternel combat » par Michael Kantor

Arte Éditions (19,99€) – ISBN : 345-3-2700-8446-6

Galerie

7 réponses à « Super-héros : l’éternel combat » par Michael Kantor

  1. Michel Dartay (de ZOO le mag) dit :

    Bonsoir cher Cecil!
    J’ai évidemment regardé ces émissions sur Arte. Un beau travail qui permet à la fois d’intéresser les néophytes, et de compléter les connaissances des initiés, qui ne met ni Marvel, ni DC à l’honneur, puisqu’ils sont les deux acteurs importants de ces dernières décennies, même si de nombreux autres éditeurs ont également participé à l’émergence du genre. Quel plaisir de voir des cases agrandies sur l’écran de sa télévision, et aussi quel plaisir de voir et entendre les acteurs importants de cette épopée! Editeurs, scénaristes, dessinateurs et encreurs se relaient pour témoigner et livrer l’histoire réelle et vécue des comics, parfois des dizaines d’années après leur impression.
    Longtemps ignoré ou méprisé par chez nous (on peut se souvenir que le zine Scarce fut dés 1983 la seule revue spécialisée dans l’étude de cet univers prolifique), le comics en version française semble susciter de plus en plus d’attentions de la part des medias généralistes. Cette reconnaissance tardive est sans doute lièè aux importants succès en salles de cinéma.

    • Cecil McKinley dit :

      Bonsoir Michel,
      Merci de votre commentaire sur lequel je n’ai pas grand-chose à apporter, puisque je suis d’accord avec tout ce que vous dites!
      Mais cela me permet de vous réitérer mes sincères amitiés!
      Bien à vous,
      Cecil

  2. Lefeuvre dit :

    Bonjour Cecil,
    comme énormément de monde, j’ai pu voir (et même revoir au gré de rediffusions) ce doc en trois parties avec grand plaisir, et ai appris une tonne de choses et anecdotes.

    J’en retire trois sentiments, un par volet. Je mettrai un bon 19/20 pour le premier consacré aux pionniers.
    Un 15/20 pour le second (Silver Age), où c’est un goût de trop peu qui me frustre (expériences à la marge des super-héros stricto-sensu de Marvel DC, comme le Conan de Roy et Thomas Barry W Smith, le Swamp Thing, la vague horrifique (Dracula de Wolfman/Colan, Deadman de Adams…). L’accent fut mis sur la représentation des « minorités » (Black, uniquement en fait) et de l’apparition du féminisme. Très agréable néanmoins, et en une heure, on ne peut évidemment pas prétendre à l’exhaustivité.

    Pour le dernier en revanche, les choses se gâtent. 10/20. Pas sur la qualité du doc (à la hauteur des autres), mais sur le fond, et l’absence de sens critique du doc d’ABC.
    Question « d’idéologie », sans doute. Je m’explique.

    Il y a dans le discours de la nouvelle génération, un contentement bien éloigné de l’esprit bon enfant qui animait Joe Simon (aaah : ses délicieuses explications sur l’intérêt de faire des grands dessins dynamiques parce qu’ils étaient payés à la page ! Et son aveu malicieux de réutilisation d’une bonne idée, comme le breuvage de Super-Soldat de Captain America utilisé auparavant) !

    La jeune génération voit dans l’avènement du Geek (sorte de consommateur dépolitisé, « décitoyennisé ») une victoire. « Leur » victoire, puisque cette nouvelle génération parfois aux plus hautes fonctions de Marvel et DC dit « NOUS avons gagné », et s’inscrivant de fait dans la continuité de leurs aînés. Bien présomptueux pour moi.

    Mais gagné quoi ? Que des étudiants mettent un T-shirt de Captain America pour passer une thèse ? Que les mauvais films de super-héros trustent les écrans (quitte à rabaisser leur personnage vedette à marche-pied pour produits dérivés insipides et nouvelle coqueluche d’Hollywood ?).

    Le bon vieil impérialisme à l’Américaine remporte sa plus belle victoire aujourd’hui : Ôter toute conscience à ses admirateurs par une culture de moins en moins décidée par des auteurs/personnalités/sensibilités que par des campagnes de développement de franchise. Le pire, c’est que tout les fans sont au courant !
    Ce troisième volet est la négation des bases que posent le volet deux (processus d’incarnation de héros dans une société).
    On peut dire que c’est la nostalgie qui s’exprime dans mon discours, j’ai la sensation que c’est le recul de 25 années de lecture et de passion. Un signe ? Le magazine SCARCE cité plus haut par Michel, revient, et Scarce choisit sciemment de ne pas traiter du phénomène super-héros au cinéma. Ca va pourtant être de plus en plus compliqué de tenir cette posture, tant les décisions des comics sont prises suivant les plans de Warner et Disney (respectivement proprios de DC et Marvel).

    Naguère, avec leur costume flashy, les super-héros étaient des hommes déguisés en gosses. Auourd’hui, avec la mode crétine du costume paramilitaire post 9/11 et de l’attitude bad-ass sans discours autour, c’est l’inverse : Des gosses habillés en hommes.

    • Cecil McKinley dit :

      Bonjour Laurent,

      Merci pour ton commentaire. Je comprends tout à fait ta réaction et tes arguments, que malheureusement je partage majoritairement… Je l’ai moins pris mal que toi parce que je trouve que ces excellents documentaires font plus preuve de témoignage que d’analyse, et je les ai reçus ainsi. Mais c’est vrai que les comics – et le monde – ont bien changé, évoluant selon la même mouvance moderne (mais que je trouve tout sauf moderne, carrément ringarde, comme tout ce qui se veut « trop top ») où bien trop souvent c’est le nivellement des esprits par le bas qui agit. Qu’on parle aujourd’hui de « produits culturels » et de « consommation » en dit long sur l’état des stocks, et le pire c’est qu’on nous vend ça pour ce qu’il y a de plus progressiste et inventif et que s’il on émet la moindre critique réclamant du sens et de la vraie passion, on se fait traiter de réac, d’utopiste, de rabat-joie ou d’intello… Le gai savoir est bien loin (mais pas mort). Il y avait eu un beau sursaut de Marvel dans les années 2000, je trouve, avec par exemple le « Daredevil » de Bendis et Maleev ou « Civil War », mais depuis c’est la cata; je ne suis même plus les publications Marvel depuis « Dark Reign », car on est reparti dans ce que les comics de super-héros ont de plus primaire, et sans doute, tu as raison, en grande partie à cause des films de super-héros qui – s’ils sont parfois réussis, parfois désastreux malgré l’effervescence d’effets spéciaux tout à fait épatants – ont une influence très regrettable sur les héros originels de papier et la ligne éditoriale qui les meut. Ainsi, Iron Man a perdu à l’écran tout ce qui commençait à devenir intéressant chez lui en terme d’éthique douteuse durant « Civil War », et cela se répercute sur les comics… Tout ça pour faire éructer les ados américains et leur faire acheter un merchandising en plein essor… Mais on le sait, Disney et Warner comptent beaucoup sur les films pour redonner un coup de fouet aux comics papier et augmenter leurs ventes, nous sommes donc dans une situation inversée qui fait beaucoup de mal à la création éditoriale… Je pourrais continuer longtemps ainsi, mais je pense que tu as autre chose à faire que de lire ce qui ne fait que confirmer tes dires.
      Quoi qu’il en soit, je te salue bien bas, cher ami.
      Bien à toi,

      Cecil

  3. Francois Pincemi dit :

    Cher Monsieur Lafeuvre, j’aime bien la fin de votre commentaire où vous résumez très bien (je n’y aurai jamais pensé, mais vous avez tout à fait raison, votre formulation est exacte) la nouvelle tendance du cinéma US d’action super-héroique.
    Sans être un spécialiste du comics, je dirai que ceux d’antan avaient une naïveté, une candeur authentique. Maintenant tout est professionnalisé, des services entiers de marketingue planchent sur les costumes qui vont faire mouche, des évènements qui vont modifier la vie des héros (mort d’un ami, nouveau costume, identité révélée à la télé, nouvelle maîtresse identifiée par un paparazzi, même si cela ne concerne vraiment pas un héros), sans compter le fameux ‘On reprend tout au premier numéro ». Il me semble que Prince Vaillan, Flash Gordon ou même Mandrake le magicien montraient à la fois talent et authenticité, sans faire de chichis, de manières ou d’études marketingue préalables. Il y avait des hommes seuls, devant une feuille de papier et un encrier. Et combien de chef s’oeuvre sont parus de cette façon!

    • Cecil McKinley dit :

      Bonjour François,

      Merci de votre commentaire. Oui, le commentaire de Mr Lefeuvre suscite quelques réflexions bienvenues. C’est vrai qu’on a changé d’époque, et qu’on est en droit de regretter tout ce chambardement un peu vain. Malgré tout, il y avait aussi à l’époque des œuvres que vous citez quelques « faiseurs » qui ne faisaient que copier les mouvances à des fins mercantiles, et aujourd’hui subsistent toujours de vrais auteurs qui ont l’amour des comics au ventre, comme Terry Moore ou Eric Powell (mais c’est vrai qu’on est là plus dans les auteurs indépendants que dans le processus des majors encapées). Tout ça pour dire qu’il y a encore de l’espoir, malgré des bulldozers inquiétants…
      Bien à vous,

      Cecil McKinley

  4. Michel Dartay dit :

    Bonsoir cher Lefeuvre.
    Votre post est argumenté, clair et intelligent, donc j’y réponds avec plaisir. Vous devez savoir puisque vous avez lu ce magazine à tirage limité que j’ai longtemps collaboré à Scarce (1990 à 2000, environ). Mais Scarce est un collectif édité par une association (SAGA). Les responsables de publication changent au fil des années (car la passion des comics peut s’émousser, et participer à Scarce représente un sacré boulot, bénévole évidemment…).
    A notre époque, nous avons accompagné (avec Yvan Marie, Franck Fickinger et de nombreux autres) les grosses sorties ciné: le Special Batman, puis des numéros avec les X-Men en couverture, Spider-Man ou Hulk. Nous n’étions pas invités aux avant-premières, simplement la sortie annoncée de gros films nous semblait un bon prétexte à des dossiers consistants sur telle ou telle série.
    La direction actuelle de Scarce préfère faire l’impasse sur le sujet. C’est son choix, et cela permet de se différencier d’autres supports comme Comix-Box, ou autres revues magazines, qui tout à coup mettent des super-héros en couverture, comme s’ils venaient de découvrir le genre.
    Personnellement, j’aurai sans doute parlé un peu plus des films Marvel Ou DC dans Scarce, mais bon, je n’y participe plus.
    Voilà!

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