« 30 Jours de nuit » T5 par Ben Templesmith

Après le brillant passage de Bill Sienkiewicz sur la série, nous retrouvons Ben Templesmith pour ce déjà 5ème volume de « 30 Jours de nuits » qu’il mène de main de maître, en solo. Sûrement le meilleur arc de la série après l’histoire initiale?

Charlie Keating est attaché militaire britannique. Nous sommes en 1941, et il doit mener une mission sur le front de l’Est afin d’aider les forces alliées à rejoindre l’armée russe pour combattre les nazis. Mais en chemin, il va rencontrer une menace bien pire que les nazis. Une menace dont les fidèles lecteurs de cette série se douteront tout de suite : eh oui, les fameux vampires nordiques ! Pour ceux qui ne connaîtraient pas encore cette série envoûtante, je rappellerais en une phrase que l’idée de « 30 Jours de nuit » est aussi simple que géniale : sachant que les vampires ne peuvent qu’œuvrer la nuit, que se passerait-il si ces assoiffés d’hémoglobine investissaient en masse une contrée nordique où le soleil peut se coucher un mois entier ? Au départ, Steve Niles – le fameux scénariste participant pleinement au renouveau du comic d’horreur outre-Atlantique et qui créa cette œuvre en 2002 en compagnie de Ben Templesmith – avait situé l’action dans la petite bourgade de Barrow, tout au nord de l’Alaska. Le récit initial ne laissait pas forcément présager que cette œuvre pourrait facilement se déployer telle qu’elle le fait jusqu’à maintenant, d’arc en arc. Et pourtant, au fur et à mesure que l’œuvre se déploie, elle acquiert en puissance et en évidence, démontrant de mieux en mieux tout le potentiel qu’elle contient. C’est assez jouissif, je dois le dire. Après avoir signé le premier opus, Steve Niles a écrit deux récits faisant plus ou moins suite à celui-ci, sans arriver à en retrouver la puissance folle ; c’était chouette, mais même Templesmith semblait déjà un peu s ?essouffler (ce petit bémol n’empêchant en rien que ce soient tout de même de très bons albums, ne pinaillons pas !). Puis arriva Sienkiewicz pour un arc qui bouleversa un peu les choses, élargissant tout à coup le champ du possible avec un bel affront : au-delà des vampires modernes, il y avait des entités vampires antédiluviennes qui pouvaient surgir de terre à tout moment, telles certaines créatures ancestrales lovecraftiennes nous rappelant que la Peur trouve ses racines en des temps dont l’humanité ne peut se souvenir. La contribution exceptionnelle de Sienkiewicz – qui nous offrit alors des visions incroyables, abstraites, violentes, hypnotiques, mêlant folie, sang et neige dans des kaléidoscopes flous – marqua donc un tournant dans l’évolution de la série. Pour lui, Niles avait écrit non pas une suite, mais une déclinaison : désormais « 30 Jours de nuits » n’était plus une série, mais un concept. Un concept semblant tout à coup offrir d’infinies possibilités toutes plus passionnantes les unes que les autres, s’ouvrant à d’autres temporalités, trouvant des ramifications avec d’autres contrées, d’autres personnages. Comme Ben Templesmith est un artiste frondeur et passionné, il a eu envie de se pencher sur cette création qui lui doit beaucoup pour la reprendre à son compte, et raconter son histoire à lui. Le résultat ? Une merveille.

Plutôt qu’une suite aux trois premiers volumes, Templesmith a continué de décliner le concept. Cette fois-ci en n’incluant pas de nouvelles créatures, mais en ramenant l’action dans le passé. Un passé pas si lointain. Une époque tourmentée et meurtrie par le paroxysme de l’horreur : celle de la seconde guerre mondiale et de la déflagration nazie. Templesmith a choisi cette époque non pas pour ajouter à l’horreur en utilisant des ficelles qui ont déjà fait leurs preuves, non : il fait se regarder l’horreur de notre humanité réelle et celle de nos fantasmes d’angoisse. Il nous force à jauger l’horreur vécue, subie, et l’horreur générée par notre imaginaire. Et nous démontre que, lorsque l’on confronte ces deux peurs dans un même espace, une même réalité, la plus horrible n’est pas celle que l’on croit: nos cerveaux sont capables de générer des horreurs totales, absolues, aussi absolues qu’elles ne peuvent exister. Alors, en mélangeant Histoire et imaginaire, Templesmith nous fait nous confronter à nous-mêmes, nous interrogeant sur nos besoins inconscients de terreur et sur notre capacité à admettre l’inacceptable sur cette Terre. Nous nous retrouvons dès lors embarqués dans une aventure très, très, très spéciale… Au niveau de la narration, c’est impeccable : Templesmith démontre à nouveau qu’il n’est pas qu’un dessinateur, mais un auteur complet. Son sens du rythme, son découpage inventif, ses dialogues qui font mouche, ce mélange incisif d’émotion et de grand guignol absurde, tout est là pour nous offrir un récit palpitant, malin, intelligent et pour tout dire assez prenant : difficile d’arrêter de lire avant d’avoir dévoré la dernière page. Au niveau graphique, après des derniers épisodes un peu plus « lâchés », Templesmith revient en grande forme, son dessin se reprend et se laisse aller comme on l’aime. C’est beau, étrange, hallucinant, et, pour reprendre un terme que j’ai à moi tout seul galvaudé sur la place publique : incandescent. Oui. L’incandescence des dessins de Templesmith… Décidément, une vraie révélation. Tout sauf un procédé informatique froid, systématique. Templesmith continue de chercher, d’explorer, de triturer les matières, les ombres, les lumières, pour mettre à nu des visions épileptiques ou saugrenues et terrifiantes. De ce point de vue, « Neige écarlate » est magnifique de bout en bout. Sur le fond comme sur la forme, notre jeune artiste australien fait preuve d’une belle maturité, sachant savamment doser l’émotion, l’action, l’humour et la terreur dans des histoires très particulières. Bien sûr, comme d’habitude je ne vous raconterai rien de plus sur l’histoire, car elle perdrait alors tout son sel, mais faites-moi confiance, chers amateurs de comics vénéneux et indispensables : cette lecture-là vous ravira au plus haut point. Et de toute façon, si vous ne vous jetez pas dessus, ce sont nos « amis » aux longues dents qui risquent de se jeter sur vous la nuit prochaine, alors… choisissez !

Cecil McKINLEY

« 30 Jours de nuit » T5 (« Neige écarlate ») de Ben Templesmith Éditions Delcourt (13,50€)

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