« Blazing Combat » par Archie Goodwin & co

Les éditions Akileos ont publié cette année « Blazing Combat », un ouvrage tout à fait indispensable et historique puisqu’il reprend l’intégralité des quatre seuls et uniques numéros de la revue éponyme signée par le grand Archie Goodwin au milieu des années 60. Une édition très fidèle à celle – impeccable – publiée par Fantagraphic Books l’année dernière aux États-Unis : bravo !

Après la seconde guerre mondiale, la paix ne sembla pas pouvoir se rétablir réellement, puisqu’il y eut l’Indochine dès 1946, la guerre froide qui engendra la guerre de Corée en 1950, puis ce fut le Vietnam, de 1959 à… 1975. Octobre 1965 : Blazing Combat n°1 paraît. Sur la couverture, une peinture de Frank Frazetta montre un soldat les dents serrées, torse nu, en train de mitrailler l’ennemi tout en protégeant l’un des siens. L’image est forte, virile, intense, et le commentaire qui l’accompagne (« Exciting battle and adventure ! ») laisse présager que la revue va ravir les amateurs de récits de combats et d’aventures guerrières pleins de rebondissements et d’action meurtrière. James Warren et Archie Goodwin, les créateurs de la revue, profitèrent-ils d’un contexte où la guerre revint en force dans les esprits pour surfer sur cette vague et proposer de bons vieux récits glorifiant l’effort de guerre ? Que nenni. C’est tout le contraire. Une fois la couverture tournée, l’ « exciting » et l’ « adventure » se révèlent vite être dramatiques, absurdes, écœurants, horribles, vains, aussi violents qu’injustes, en un mot : dégueulasses. Et au fur et à mesure que l’on tourne les pages, le propos de Goodwin se réitère. Ce n’est pas une charge violente et directe contre la guerre, mais plutôt une suite de chroniques réalistes et humanistes tentant de rendre compte de ce que la guerre implique comme dévastation de l’être humain, sur tous les plans. Des civils aux soldats, pas une personne n’est finalement épargnée par l’horreur absurde de la guerre, et Goodwin se penche avec une vraie humanité sur les hommes et les femmes qui finissent par se retrouver dans le sillage des conflits meurtriers. Le constat est toujours le même : l’aberration d’un tel processus de destruction, aveugle et sourd, dont personne ne retire rien. Rien de frontal dans la dénonciation, pourtant, pas de réel message antimilitariste explicite signé par un auteur se revendiquant engagé : Goodwin a l’intelligence de signer des histoires où la seule manière dont il raconte les faits suffit à démontrer l’horreur de la chose et ce qu’il y a à en ressentir de dégoût et de tristesse. Pas besoin de dénoncer : la description de Goodwin est en soi une dénonciation, une révolte. C’est peut-être bien cela, finalement, qui s’avéra pour certains plus dangereux qu’un discours de hippie engagé…

Car malgré ce fait certain que Blazing Combat était tout sauf une antenne du mouvement communiste ou anti-guerre, il fut assez vite dans le collimateur de certaines personnes qui n’apprécièrent pas vraiment la teneur de ses récits. Ce fut l’histoire intitulée « Paysage » (parue dans Blazing Combat n°2 de janvier 1966) qui mit apparemment le feu aux poudres. Goodwin y décrit la condition d’un agriculteur vietnamien qui n’a rien demandé à personne et qui est abattu froidement par des soldats américains qui auront également passé ses rizières au lance-flamme. Autrement dit, Goodwin sous-entend que les soldats de l’Amérique se défoulent en décimant des civils innocents et en dévastant des terres fertiles. Alors on commença à trouver que cette revue était anti-américaine, antipatriotique, procommuniste, et qu’il fallait faire quelque chose. La Légion américaine traita Warren et Goodwin – mais aussi tous les dessinateurs de la revue – de traîtres. Alors, petit à petit, entre les pressions de l’armée et celles plus silencieuses de certaines ramifications du gouvernement, certains rouages de la chaîne de diffusion et de distribution commencèrent très bizarrement à se gripper, de sorte que Blazing Combat, après avoir été retiré des magasins militaires, eut de plus en plus de mal à arriver jusqu’au bout de la chaîne, de moins en moins disponible à la vente, jusqu’à être totalement étouffé, ne laissant pas d’autre choix à Warren et Goodwin d’arrêter le titre au numéro 4, en juillet 1966. Un exemple édifiant de censure qui fait froid dans le dos, quand on y repense bien, vu la finalité de la chose : faisons taire ceux qui nous empêchent de tuer, bien des moyens existent pour cela, sans avoir l’air d’y toucher.

Mais revenons au travail de Goodwin. L’intérêt de la revue fut qu’elle ne s’attacha pas aux seuls conflits contemporains, ce qui aurait été réducteur par rapport à l’intention de notre homme. Celui-ci entendait bien parler de la guerre presque en tant que notion, peu importe l’époque et le contexte. Ainsi, en quatre numéros et une trentaine de récits, Goodwin explore toutes les époques et toutes les géographies, faisant un portrait global du phénomène en démontrant qu’il est plus ancré en l’homme que symptomatique d’un contexte précis, de l’Antiquité aux guerres napoléoniennes, du Vietnam à 14-18, de la guerre de Sécession en passant par la seconde guerre mondiale… Pour ce faire, pourtant, il emploie un format assez court, six pages en moyenne par histoire. Peut-être le moyen d’aller à l’essentiel sans se perdre dans les méandres de l’action guerrière en elle-même… À part une seule histoire écrite et dessinée par Wallace Wood, Goodwin a écrit la totalité des récits de Blazing Combat, choisissant de travailler avec des dessinateurs de très haute qualité. Outre le génial Frank Frazetta qui réalisa toutes les couvertures, on remarquera les noms prestigieux de Gene Colan, Alex Toth, Joe Orlando, John Severin, Al Williamson ou Wood, mais aussi Reed Crandall, George Evans, Angelo Torres, Gray Morrow, ou le très talentueux Russ Heath… Goodwin sut donc s’entourer d’excellents dessinateurs pour mettre ses récits en images, ce qui ajouta encore à la qualité de l’ensemble et à la force du propos, rendant d’autant plus crédible et sérieuse l’intention du rédacteur-scénariste.

En 1993, un certain Michael Catron (cofondateur de Fantagraphic Books avec Gary Groth en 1976, qu’il dirigea jusqu’en 1985) racheta les droits de Blazing Combat. C’est donc vers leur ancien boss que se sont tournés Fantagraphic Books pour éditer en 2009 un recueil de l’intégralité des fameux quatre numéros. L’album se termine par deux entretiens que Michael Catron eut avec James Warren et Archie Goodwin, nous révélant les dessous de l’histoire de la revue, de sa naissance à sa disparition prématurée. On y apprend par exemple combien Goodwin a été influencé par le travail d’Harvey Kurtzman chez EC (Two-Fisted Tales et Frontline Combat) pour créer le titre, ou par quels biais la censure s’est installée puis a gagné le combat, pas blasée. Un dossier très intéressant qui complète à merveille cette intégrale que je vous conseille très, très vivement. Les éditions Akileos ont eu l’intelligence de reprendre l’édition américaine de cet album à l’identique, faisant bénéficier les lecteurs français qui ne connaîtraient pas Fantagraphic Books du travail impeccable de cette maison d’édition qui – en termes de ligne éditoriale et de maquette – pourrait parfois donner des leçons au vieux continent (de même, l’édition française récente de l’intégrale des « Peanuts » est semblable à la maquette américaine de Fantagraphic). En conclusion, que vous n’aimiez pas la guerre ou que vous soyez des vrais fans de comics américains, passionnés par l’histoire éditoriale de ce medium, amateurs de grands dessinateurs mythiques ou tout simplement amateurs de bonne bande dessinée, alors vous ne pouvez pas passer à côté de cet album d’un intérêt historique et artistique de tout premier ordre.

Cecil McKINLEY

« Blazing Combat » par Archie Goodwin Éditions Akileos (27,00€)

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