« Les Enfants de Sitting Bull» par Edmond Baudoin

Tout le monde n’a pas un grand-père cow-boy, encore moins un grand-père cow-boy ami des Indiens, et vraiment jamais un grand-père ayant rencontré Buffalo Bill et Sitting Bull. C’est pourtant le cas de Baudoin et c’est ce parcours grand-paternel qu’il évoque dans ce nouvel album…

Ce n’est pas la première fois qu’Edmond Baudoin prend la plume et le pinceau pour raconter ses histoires de famille. Avec « Piero », « Couma Aco » ou le cycle « Les Yeux dans le mur » – « Le Chant des baleines » – « Les Essuie-glaces », il a déjà exploré les veines biographique et autobiographique. Mais ce grand-père-là valait bien un monument particulier. Le grand-père Félix, né en 1863, près de Nice, avait un prénom prédestiné puisqu’il vécut, probablement heureux, en tout cas fort longtemps, disparaissant à l’âge vénérable de 96 ans. Le petit Edmond est alors un ado de 17 ans, mais ce n’est qu’à 71 ans, tardivement donc, qu’il se décide à évoquer cette pointure familiale. Car l’homme a sacrément bourlingué ! De mitron chez un boulanger à  marin de carrière, il est passé par des métiers et des étapes incroyables. Tout jeune, il embarque direction l’Amérique – celle du Sud - , travaille sur un baleinier, apprend à dompter les cordages et le vertige du haut de sa vigie. Il connait les naufrages dont un le dépose près de San Francisco, l’autre Amérique ! Venant de Nice, française depuis peu (1860), il connait l’italien, ce qui force les portes des immigrants de la péninsule déjà installés. Mais il a la bougeotte. Alors pourquoi ne pas devenir chercheur d’or ? Le roi des cordages devient ainsi un maître à cheval et rencontre  Buffalo Bill en personne. En 1881, c’est au tour du grand chef Sitting Bull ! De Bill en Bull, Félix s’est accaparé l’histoire américaine, rien de moins, et après moultes aventures, il finira par construire comme les Indiens des gratte-ciel, à New York, pour finalement s’engager dans la marine et naviguer sur toutes les mers.

Baudoin est fasciné par son grand-père, mais il est lucide : l’homme présente des zones d’ombre et il est difficile à suivre à la trace. Les documents manquent, même si l’auteur nous en montre quelques-uns, attestant de l’originalité du bonhomme, soulignant également révélations et contradictions. Reste que, dans les histoires familiales, les légendes construisent la vie des aïeux, légitimant souvent que ceux-ci étaient du côté du Bien, qu’ils respectaient les différences et qu’ils devaient émerveiller les gamins ! Avec ce grand-père, l’homme du Sud a fait sa conquête de l’Ouest, à tel point qu’il a continué le voyage au Canada, ce que soulignent, en fin d’ouvrage, les pages consacrées à ses séjours en pays mohawk.

 

Cette biographie parcellaire, mais riche et enthousiaste, est surtout un extraordinaire travail graphique, Baudoin s’exprimant en une variété époustouflante de styles, de touches, de traits, de coloris. C’est un superbe livre d’images, inventif, surprenant, un des plus beaux peut-être de cet artiste exigent, un livre qui donne à voir et à voyager : douces, impressionnistes, picturales ou dessinées, tout sortes d’images passent sous nos yeux, illustratives ou narratives, mais jamais gratuites : l’émotion sert le dessin qui sert l’émotion. La couverture est ce point de vue exemplaire.

 

Alors, bon voyage…

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).http://bdzoom.com/author/didierqg/

« Les Enfants de Sitting Bull» par Edmond Baudoin

Éditions Gallimard (17 €) – ISBN : 978-2-07-065412-3

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