COMIC BOOK HEBDO n°128 (03/07/2010)

Cette semaine, de l’adrénaline avec NO HERO de WARREN ELLIS et JUAN JOSE RYP…

NO HERO (Milady Graphics)

Ceux qui ont aimé Black Summer (sorti l’automne dernier chez le même éditeur) vont être aux anges, puisque le duo de dingue Ellis/Ryp est de retour avec cette nouvelle œuvre qui n’y va pas par quatre chemins. Il faut dire qu’elle est également issue de la production d’Avatar Press, une maison d’édition américaine créée en 1996 par William A. Christensen et qui propose à ses auteurs un espace de liberté où ils peuvent aller aussi loin qu’ils le veulent. Et quand ces auteurs s’appellent Warren Ellis, Alan Moore ou Garth Ennis, il ne faut pas s’étonner que les comics Avatar soient plutôt… costauds ! En ces temps plutôt consensuels et commerciaux, il faut donc encore une fois remercier les excellentes éditions Milady d’avoir pris l’initiative de publier des œuvres de cet éditeur, démontrant une fois de plus que ce sont bien les « petits » éditeurs qui publient aujourd’hui en France les œuvres les plus personnelles et intéressantes des auteurs anglophones : Strangers in Paradise de Terry Moore chez Kymera, Nextmen de John Byrne chez Dante, Violent Cases de Gaiman et McKean chez Au Diable Vauvert, Grandville de Bryan Talbot chez Milady, Blazing Combat d’Archie Goodwin chez Akileos, sans parler de Vertige Graphic qui tente d’éditer l’impubliable et génial Cerebus de Dave Sim, ou d’Organic/Univers Comics qui rééditent des perles de l’Âge d’Or… Quand on voit ce à quoi s’attèlent les grosses structures, ça fait réfléchir ! Mais bref, revenons à No Hero.

Depuis l’énorme brèche qu’a instauré Watchmen, on ne cesse de crier au génie dès qu’un suiveur explore le terrain sulfureux, séduisant et lucratif de la remise en perspective de l’éthique et de la nature des super-héros. Mais n’est pas Alan Moore qui veut, et c’est justement là où Ellis brille par son efficacité : il ne se contente pas de reprendre et de décliner cette prérogative, il se réapproprie la chose pour la fondre, la tordre, la disséquer et la transcender par un esprit résolument contemporain – et même ouvert sur l’avenir – qui pose des questions cyniques sur un monde cynique, transformant la réflexion en pamphlet. Les échos à notre monde actuel sont nombreux et explicites, et encore une fois le Nine Eleven est passé par là… Black Summer et No Hero sont complémentaires, deux facettes d’un regard sans concession sur ce qui se passe autour de nous depuis une petite dizaine d’années. Warren Ellis regarde, oui ; et ça le fait gerber. Même les « gentils » ferment leur gueule face au meurtre, au viol, à la guerre… Et tout continue. Alors Ellis fait de plus en plus s’interpénétrer le réel et la fiction, son travail devenant de plus en plus politique, et c’est non seulement passionnant, mais salutaire… Véritables appels à une révolte sensée des consciences face à l’abomination qui nous tient lieu de réalité, ses œuvres nous demandent les yeux dans les yeux où nous sommes, de notre humanité. Pas en général, non. Notre humanité en nous, là, tout au fond, et ce qu’on dit, et ce qu’on fait. Et ce qui se passe. Qui continue de se passer. Et nous sommes toujours là. Oui, mais pour quoi ? Qui sont les « gentils » et les « méchants », qu’est-ce que c’est que d’être bon, et c’est quoi, au juste, un « héros » ? Et qui sont nos héros actuels ? Comme je l’avais déjà souligné en parlant de Black Summer, Ellis est bien plus proche de lui-même et de Nietzsche que d’Alan Moore ou Garth Ennis… Ellis écrit des comics avec un marteau. Ce n’est pas un scénariste, c’est de la dynamite. Alors, pour bien enfoncer le clou, il insère dans No Hero des textes officiels sur le sens de la loi, de la justice et de la Constitution des États-Unis d’Amérique. L’évidence se fait tout de suite jour : c’est édifiant. Ellis, loin de se perdre dans la notoriété (il le fait néanmoins un peu parfois chez Marvel), reste un auteur nécessaire. Son immense succès fait que son œuvre est presque déjà galvaudée : « Ah oui, Ellis, le trash, la révolte, les gros mots et la grosse rigolade ! » Cette propension qu’a la conscience collective à définir pour ne pas lire… Car Ellis c’est bien autre chose que de la violence et de la révolte. Ellis, c’est avant tout une blessure qui ne se refermera jamais.

Je ne vous dévoilerai point trop l’intrigue de ce comic, comme à mon habitude. Sachez seulement qu’il est question ici d’une organisation appelée Front Line qui combat le crime avec ses membres super-héroïques. Des hommes et des femmes à qui on a fait ingérer une drogue révolutionnaire, le FX7, qui leur donne des pouvoirs extraordinaires. Mais le prix à payer pour faire partie de ces héros peut s’avérer plus lourd que prévu… Carrick Masterson, le big boss de la Front Line, a besoin de sang neuf dans ses rangs suite à l’élimination de plusieurs de ses héros justiciers. Il va tomber sur Joshua Carver, un jeune homme qui veut combattre le crime au péril de sa vie, qui veut être un super-héros pour être enfin en accord avec sa révolte et son refus du fascisme quotidien. Et c’est là, de cette rencontre entre ces deux hommes, que l’enfer va commencer… Le scénario d’Ellis est bon et son découpage sacrément bien rythmé, et les dessins de Ryp sont toujours aussi incroyables, disséquant les formes dans leur moindre détail, de manière médicale. C’est assez fascinant, et ferait presque passer Darrow pour Copi… On admirera notamment les sublimes doubles planches où les visions folles de Carver prennent vie. Le seul défaut de ce comic est d’être trop court, car on en redemande encore et encore. Ne nous reste donc plus qu’à attendre que les éditions Milady nous proposent tout bientôt d’autres œuvres issues d’Avatar… Bonne lecture, fans insoumis.

Cecil McKINLEY

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