INTERVIEW D’HERMANN (2ème partie)

Voici la suite de l’interview d’Hermann réalisée par Jean-Michel Lemaire (le 1er mai 2008) et qui a été publiée dans le n°17 (en octobre 2008) d’On a marché sur la bulle : numéro complètement épuisé aujourd’hui !(1)

Par ailleurs, si vous habitez ou si vous passez par le Limousin, n’hésitez pas à aller admirer la somptueuse exposition « Traits pour traits » consacrée à cet immense auteur, à la bibliothèque francophone multimédia de Limoges : près de 140 planches originales, dont plus de la moitié en couleurs directes, sont mises en scène par la très compétente association belge Sur la pointe du pinceau, jusqu’au 25 avril 2010… Á ne pas manquer !!!

JML – Si on prend les cinq ou six derniers tomes de « Jérémiah », on se rend compte que vos histoires sont devenues encore plus noires qu’avant… Pourtant, les seconds rôles sont de plus en plus émouvants, on a l’impression que vous les aimez plus…

H – Je ne sais pas. Ce sont des personnages qui m’intéressent mais je n’ai pas de sympathie profonde pour eux. J’aime les mettre en scène, mais j’ai un regard sur le bipède (j’appelle ça comme ça) qui est de plus en plus catastrophique. Je n’arrête pas de dire que je ne sais pas ce que je fais sur cette route. Pourquoi est ce que mon père m’a fait ? Pourquoi est ce qu’il n’a pas baisé une taupinière plutôt que ma mère ? Je le crois sincèrement… Pourtant, je ne suis pas quelqu’un qui a une mine de cadavre ambulant et qui est triste, non, non, je peux rigoler, mais il y a toujours cette angoisse… Je suis totalement incroyant et, chaque jour qui passe, je le suis de plus en plus… En gros, je ne saisis pas la raison d’être, je ne comprends pas le pourquoi de tout cela. Pourtant je ne suis pas totalement asocial : j’ai des amis vous savez… Enfin, quelques-uns… On n’est jamais très sûr. Je ne suis pas quelqu’un de cloîtré, qui donne des coups de pied au cul de qui vient sonner chez moi… Non, je reçois des gens…

JML – En lisant vos bandes dessinées, je trouve d’ailleurs que vous êtes très loin de l’image que l’on donne de vous.

H – Il y a même des gens qui me traitent de fasciste… Excusez-moi mais, lisez mes albums, et trouvez-moi ce qu’il y a de fasciste là-dedans ! Vous savez quand j’ai entendu le premier mot « fasciste » à mon égard ? On parlait de « La Cage » tout à l’heure ( voir la première partie de cette interview ), et bien, dans le même recueil(2), il y a une histoire très courte qui raconte l’assassinat de Sharon Tate (« Le Massacre »). Et bien, à cause de ce récit où j’exprimais ma rage, ma haine, vis-à-vis de cette presse qui a plus de sympathie pour les assassins que pour Sharon Tate, on m’a traité de fasciste : vous vous rendez compte sur quoi on se base ?

JML – Vous avez aussi tendance à partir dans des digressions où vous prêchez le mal pour amener le bien, non ?

H – Oui, il y a un peu de ça. Et puis, parfois, je suis pris d’une rage. J’ai envie de dire des choses pour que ceux que je n’aime pas (ou qui ne m’aiment pas) puissent me détester davantage. J’ai envie de leur pisser sur la jambe et de leur demander si c’est chaud. Il y a chez moi une forme d’agressivité, c’est exact ; mais il y a des gens qui me téléphonent et qui me disent « Tu as dit ceci, cela, tu ne peux pas t’imaginer comme on est content que tu aies osé dire des choses que nous ne pouvons pas dire ». Je veux bien alors leur servir de porte-bannière, mais bon…

JML – En tant que simple lecteur, vous me laissez plutôt l’image de quelqu’un qui a une vision très noire du monde mais qui aime quand même profondément les gens…

H – Il y a, en effet, une ambiguïté chez moi ; par moments, malgré tout, sentimentalement parlant, je me laisse quand même attraper ! Vous voyez ce que je veux dire ? Et en même temps, globalement, je continue à penser que notre monde est épouvantable.

JML – Oui, et ce qui fait agir les gens est terrible…

H – J’ai plutôt l’impression qu’il y a une espèce de désarroi. Les gens sont mal. Actuellement, l’humanité est mal dans sa peau… Alors que la qualité de l’existence pourrait s’affirmer à travers le respect, certes, mais aussi par ce qu’on peut faire éventuellement pour son voisin.

JML – Le plaisir de la vie ce sont les gens qui sont autour de nous…

H – Tu sais ce que Kennedy disait « Ne vous dites pas ce que le pays peut faire pour vous, pensez à ce que vous pouvez faire pour le pays ». Quand il dit le pays : c’est les gens. Mais malheureusement, actuellement, c’est le contraire qui se passe et c’est désolant, désolant…

JML – Dans vos histoires, on est à l’opposé de tout cela parce que les personnages croient aux autres : même quand ils sont bourrés de défauts, il y a malgré tout une croyance et des moments de lumière…

H – Probablement, mais cela doit être un peu inconscient parce que c’est plutôt un tas de solitudes qui se télescopent, qui se croisent et qui se bousculent…

JML – Et qui se font confiance ?

H – D’accord, mais ce sont des confiances qui ne durent pas ; c’est uniquement occasionnel parce que c’est nécessaire de se mettre ensemble.

JML – Le plus bel exemple dans votre œuvre, est quand même Jérémiah et Kurdy : ils n’ont rien à faire ensemble et, pourtant, ils sont inséparables.

H – Oui, mais c’est leur côté raisonnablement mauvais. Si Kurdy est un voyou, je ne lui fais pas faire des choses insupportables… Et Jérémiah n’est pas non plus le boy-scout de ses débuts.

JML – Cela a beaucoup changé.

H – Je sais, mais ce n’est pas qu’ils se rejoignent. Vous savez, quand on parle de mes personnages, on ouvre parfois des portes auxquelles je n’ai pas pensé du tout. Un peu comme les vieux couples qui n’auraient jamais dû se marier ; ils sont restés quand même pour des raisons quelconques, respect du contrat, un tas de choses… Et au fil des années, et bien, ce n’est pas qu’ils se supportent davantage, mais ils se sentent presque indispensables et l’un commence un peu à ressembler à l’autre.

JML – Dans le monde de « Jérémiah », la seule personne à qui ce dernier peut faire confiance, parce qu’il connaît ses défauts, c’est Kurdy.

H – Là où j’ai ma maison de vacances, en France, c’est un lieu-dit : il n’y a que deux autres maisons occupées par des célibataires. Et bien, dans cette espèce de microcosme, je suis quand même le mieux nanti sur le plan économique : et cela ne me gêne absolument pas de couvrir des dépenses qu’ils ne peuvent absolument pas se permettre, au bénéfice des troupes. Pourquoi je ne le ferai pas ? Dans le fond je suis pour une certaine forme de communisme ! Mais attention, je n’aime pas le terme… Il faut que chacun soit concerné et fasse le maximum pour simplifier l’existence du petit groupe dont il fait partie, pour un esprit de communauté, sans obligation rigide ou non librement consentie : du moins, c’est comme ça que je le conçois. En fait, je ne suis pas capitaliste : je déteste le capitalisme sauvage, je trouve ça ignoble. Mais je ne suis pas non plus pour le communisme : je n’y crois absolument pas, du moins de la manière dont il a été pratiqué jusqu’à présent ; c’est un fiasco et les derniers qui restent encore ce sont des dictatures comme la Chine, par exemple…

JML – Pourtant, l’idée est belle, non ?

H – J’ai fait partie des gens qui penchaient pour le communisme lorsque j’avais 20 ans ; j’étais plein d’idéal. Mais au fur et à mesure du temps qui passe, on découvre des choses dans ce milieu qui sont aussi dégueulasses que de l’autre côté : alors on ne sait plus où on est, on flotte un peu… Mais dans la mesure où je me retrouve, ici, au milieu d’un petit groupe de personnes, c’est normal d’avoir cet esprit de solidarité.

JML – L’esprit de vivre ensemble ?

H – Oui, de vivre ensemble. Mais est ce que c’est réalisable pour des milliers de personnes ?

JML – Cela devient très compliqué…

H – Á partir de là, il y a des tricheries ; et dès que l’on commence à tricher, c’est foutu. Car ceux qui voulaient être honnêtes ne le resteront pas. Je veux bien collaborer et participer aux efforts, mais il y en a toujours qui, en catimini, tirent tous les avantages au détriment des autres.

JML – Qui essaient d’en profiter ?

H – C’est ce qui me dégoûte : alors, moi, je recule. Je me contente des gens que je connais parfaitement, dont certains que j’éjecte et d’autres avec qui j’espère encore. Remarquez, il y a quelques années, j’ai été entubé par un ami de Carcassonne, de ceux qui vous serrent sur leur cœur, et par un brésilien qui m’a aidé sur la documentation de l’album « Caatinga », moyennant finances : il voulait en plus que je mentionne son nom… Et c’était deux personnes qui, dans le fond, m’adoraient : vous voyez ?

JML – On retrouve ces différents cris du cœur dans vos histoires et quand ça donne « Afrika », par exemple, c’est génial. « Afrika », c’est un hymne à l’Afrique…

H – Oui cela montre la beauté de la nature. Mais pas d’une manière molle, non, l’Afrique c’est une jungle…

JML – Et l’être humain, dans ces conditions assez dures et dans des paysages magnifiques, il se comporte…

H – De manière dure.

JML – De manière très, très dure…

H – C’est Jean Van Hamme qui m’a téléphoné, il y a quelque temps, et qui m’a dit : « Tu sais, si il y a un récit qui correspond bien à ton caractère. Je crois que c’est « Afrika » ; je crois que c’est le personnage le plus proche de toi que tu aies jamais dessiné ». Lors d’une émission de télévision, quelqu’un m’a dit : « Vous ne trouvez pas que ce type est une crapule ? ». J’ai fait remarquer que « ce type est peut-être une crapule à cause du métier qu’il faisait avant, mais les gens qu’il a liquidés sont combien plus crapuleux que lui ? ». Ce type, vu le genre d’existence qu’il a eue, n’est pas dans une situation propice à la tendresse ; même vis-à-vis de la femme avec laquelle il vit : ce n’est pas qu’il ne l’aime pas, mais c’est un homme un peu cassé en raison de toutes les vilenies de la société. Et puis, il a travaillé, il a été dans l’armée et ça l’a marqué. Mais il y a quand même quelque chose chez lui qui est valable. Il est révolté, d’une manière très égoïste, contre le fait qu’on massacre ce merveilleux jardin qui est le monde animal.

JML – Il utilise les armes qui sont les siennes pour défendre ce qu’il aime…

H – Et moi, je ne suis pas du genre à croire qu’une espèce de croisade ou un type qui va prêcher, faire du prêchi-prêcha, peut changer les choses. Si vous n’avez pas une armée, si vous n’avez pas beaucoup de fric, vous n’arriverez à rien du tout. Non, il s’est dit, qu’après tout, il ne sauverait peut-être pas ma vie. De toute façon, il est condamné là-bas. Là, vous voyez à quel point j’exprime mon dégoût de l’hyper capitalisme dans sa brutalité et son irrespect vis-à-vis de la nature.

JML – Complètement.

H – Et c’est moi qui l’ai inventé. Je n’ai pas été poussé. Ce n’est pas un autre scénariste. Mon fils, par exemple, n’aurait jamais osé m’écrire ce scénario. Moi, par contre, je suis allé jusque-là, et ça ne me gêne pas. Je ne crois pas que ce soit dégueulasse. Mais autoriser le massacre écologique d’un continent l’est encore plus. Vous savez, je ne suis pas un gars habillé en vert. Il faut quand même accepter certaines choses, mais quand ça dépasse les bornes à ce point, je dis non… Et la nature peut difficilement se révolter toute seule… Tiens, il y a deux jours, qu’est ce que je vois grimper entre le tuyau et le mur ? Une espèce de mulot ! Je l’attrape. C’était un loir. Tu as déjà pris en mains un loir ? Et bien, ça mord ! Il m’a fait un petit trou dans le doigt… Ma femme a pris une photo du loir parce que je n’en avais jamais vu. Oh si ! Il y a trois ans ! J’en avais trouvé un tout petit qui dormait… Je suis sorti sur le seuil de la porte et j’ai vu une espèce de bestiole qui traînait. Je l’ai attrapé et puis il a aussi essayé de me mordre ; mais ensuite, il s’est endormi, comme ça, dans ma main. C’est merveilleux ça !!! Non ?


(A suivre…)

Propos recueillis par Jean-Michel Lemaire

(1) Par contre, si ce numéro n’est plus disponible (c’est aussi le cas des n°1 à 4, 7 à 9 et 16), les autres sont à commander chez Yannick Bonnant : « Les Petits Sapristains » – La Chênaie Longue, 35500 Saint Aubin-des-landes (mail : yannick.bonnant@aliceadsl.fr).

(2) Il s’agit de l’album « Abominable », paru chez Glénat en 1988 et réédité chez ce même éditeur en 1997. Cet ouvrage contient quatre histoires courtes :
- « Le Massacre » : 10 planches dont les 5 premières (signées Hair Mann) ont été publiées pour la première fois, en noir et blanc, en 1975 (et non en 1976 comme indiqué sur la page de titre de l’album) dans le n°32 de la revue belge Ran Tan Plan, sous le titre « L’aimez-vous saignant ou bien cuit ? ». Elles seront reprises sous le même titre, accompagnées des 5 dernières, dans le n°34 de cette même revue spécialisée, en 1977.
- « Pas de panique ! » : 5 planches, datant de 1978, qui ont été publiées pour la première fois, en noir et blanc, dans le n°1 (janvier 1980) de Aïe.
- « La Cage » : 15 planches publiées pour la première fois dans l’album « Hermann » (entretiens avec Thierry Groensteen) aux éditions Alain Littaye, en 1982. La même année, elle fera également l’objet d’un portfolio, chez le même éditeur, tiré à 600 exemplaires numérotés et signés.
La Vengeance » : 13 planches (plus une illustration pleine page) publiées pour la première fois dans le n°2581 (du 29 septembre 1987) de l’hebdomadaire Spirou.

Galerie

4 réponses à INTERVIEW D’HERMANN (2ème partie)

  1. j.etienne dit :

    bon dessinateur,assez complaisant dans la représentation de la violence.

  2. nim70 dit :

    Bonjour, j’étais parti à la recherche des planches publiées en N&B, dessinées par Hermann, dans différentes publications. Mais, en voulant voir de plus près l’histoire  » L’aimez-vous saignant ou bien cuit ? « , je ne l’ai pas trouvée dans le n°2 (de mars 1980) du magazine Aïe.
    Elle est bien présente dans les magazines Ran Tan Plan, dans une belle impression, d’ailleurs.
    Bonne journée.
    Cordialement

    • Gilles Ratier dit :

      Bonjour
      Merci de cette précision, en effet, après vérification, il n’y a pas de BD d’Hermann dans le n° 2 du magazine Aïe. Seules les cinq pages de « Pas de panique ! » ont été publiées pour la première fois, en noir et blanc, dans le n°1 (janvier 1980). Désolé pour cette coquille…
      Bien cordialement
      Gilles Ratier

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