« Garfield » et Jim Davis

On n’arrête pas de vous rabattre les oreilles avec ça (voir mon rapport annuel 2009 et nos derniers « Zoom sur les meilleures ventes de BD et de mangas »), le « média-mix » (c’est-à-dire un concept qui consiste à développer des titres sur plusieurs médias) serait la solution à tous les problèmes de la bande dessinée d’aujourd’hui ? ! ?!?!

En tout cas, la plupart des éditeurs tentent désormais de s’aventurer sur ce terrain, pourtant très balisé, avec des fortunes diverses… Et l’une des plus belles réussites récentes en ce domaine (outre celle des célèbres « Simpson ») est certainement celle qui tourne autour de l’univers de « Garfield » : une bande dessinée créée, en 1978, par l’Américain Jim Davis. Preuve en est la très bonne réaction des ventes d’albums à son intense actualité audiovisuelle !

En effet, ces dernières ont fait un bond de 31%, suite aux sorties des deux films produits par la Fox (le premier ayant été réalisé par Peter Hewitt en 2004 et l’autre par Tim Hill en 2006)(1), des DVD qui en ont suivi et surtout de la diffusion du dessin animé « Garfield & Cie » (« The Garfield Show » en version anglaise), depuis décembre 2008 : une véritable création française due à la société audiovisuelle Dargaud Media, laquelle a obtenu le droit d’adapter le strip de Jim Davis, dont l’équipe revoit quand même les scénarios, en une série de 52 épisodes en 3D de 11 minutes chacun, avec France 3… « Qu’un auteur américain et sa société choisissent un producteur français, et lui confient le développement de son personnage, c’est plutôt rare ! », dixit Claude de Saint Vincent, directeur général du groupe Media Participations dont Dargaud Media est une filiale.

L’éditeur français vient même, aujourd’hui, de sortir les 22 épisodes de la première saison dans 2 DVD de 2 heures remplis de bonus ; mais aussi les 2 premiers albums (de 30 pages chacun) d’une nouvelle série qui reprend, sous forme de bande dessinée, les images de la série télévisée développée par Philippe Vidal, Robert Réa et Stève Balissat ; ceci d’après des histoires de Mark Evanier, Peter Berts, Julien Magnat, Mathilde Maraninchi, Antonin Poirée, Christophe Poujol, Baptiste Heidrich et Julien Monthiel, le tout adapté par Cédric Michiels… Bref, toute une équipe a donc été mobilisée pour mettre en cases l’anime, lui-même inspiré de ce strip mondialement connu : puisque publié, désormais, dans plus de 2 600 magazines, dans 110 pays et en 63 langues ! D’ailleurs, on estime aujourd’hui à plus de 263 millions le nombre de lecteurs de « Garfield » (dont 6 millions de lecteurs francophones)…

En France, les éditions Dargaud en ont d’abord publié un premier album dans leur petite collection « 16/22 » (en 1983), lequel sera suivi de trois autres, et achèteront finalement la licence en 1984 ; et, si le succès n’a peut-être pas été aussi instantané qu’aux USA, il s’écoule quand même, annuellement, 300 000 albums du drôle de gros chat orange : soit 5 millions vendus depuis l’arrivée du matou sur notre territoire, à partir d’un tirage de 60 000 exemplaires pour chaque nouveau tome, et il y en a 2 par an !(2)

Toutefois, il faut préciser que le strip « Garfield » est apparu en France, dès 1979, dans l’hebdomadaire féminin Nous Deux, juste avant d’être également proposé dans Le Parisien libéré (les bandes quotidiennes) et dans l’hebdomadaire Fripounet (les pages du dimanche) puis, aujourd’hui, dans Télé Poche, I Love English ou Metro (depuis 2002). Cette « pré-publication » intensive (sans parler de la récente promotion dans les stations essence(3) et les fast-foods) est certainement pour beaucoup dans le fait que, désormais, le chat égocentrique amateur de lasagne est le troisième personnage préféré des enfants, juste après « Astérix » et « Titeuf » (note de 3,52/4 des 6-10 ans d’après un sondage Ifop de 2008) ! Et « chat » ne va certainement pas s’arrêter là puisque Dargaud annonce, pour le mois de juin, la parution du 50ème recueil des bandes dessinées (intitulé « Au poil », il sera inclus dans une feutrine orange, sorte de moumoute rappelant les poils du gros chat rayé), la sortie simultanée de 2 autres DVD et de bien d’autres actions promotionnelles dans le courant de l’année !

Au sujet de la création de « Garfield », dans la superbe et toute récente nouvelle version de l’indispensable « Dictionnaire de la BD » de Patrick Gaumer, chez Larousse, on peut lire que « Si on en croit la petite histoire, Jim Davis passa sa jeunesse dans une petite ferme de l’Indiana, entouré de vingt-cinq chats. Quoi de plus naturel, donc, qu’il ait su en quelques traits, quelques lignes essentielles, décrire les mille et une facettes de la gent féline… ». Et voilà comment serait née l’idée de ce matou cynique n’aspirant qu’au repos ou qu’à se repaître de savoureuses lasagnes, et dont le nom lui viendrait du grand-père revêche de l’auteur : James A. Garfield Davis.

Cependant, même si « Garfield » est apparu dans 41 journaux dès sa naissance (le 19 juin 1978), qui aurait cru qu’il allait devenir, en si peu de temps, l’un des plus importants phénomènes de la bande dessinée américaine ? Ayant fait l’objet, dès 1982, d’un premier feuilleton animé diffusé sur CBS (« Here Comes Garfield », écrit et réalisé par Jim Davis lui-même, et produit par Lee Mendelson et Bill Melendez) puis de la série télévisée (« Garfield and Friends » (dont 121 épisodes ont été produits par Film Roman, de 1988 à 1994), le chat le plus fainéant du monde est aujourd’hui décliné sous toutes les formes, anticipant peut-être un déclin prévisible du support papier… Dans le n°82 de Bo Doï (février 2005), Jim Davis n’était d’ailleurs guère optimiste : « La santé du comic-strip dépend surtout de celle des journaux et de la presse écrite… Or, les jeunes lisent de moins en moins les journaux. J’ai bien peur que la génération future n’aille de plus en plus chercher ses informations sur Internet ; et je pense que, dans l’ensemble, nous allons assister à une translation des comic-strips vers l’ordinateur. Je donne encore dix à vingt ans à la presse écrite… ». D’ailleurs, aujourd’hui, « Garfield » a son propre site web remis à jour quotidiennement : http://www.garfield.com.
Mais qui est donc ce Jim Davis qui a mis en cases les amusantes mésaventures de ce gros paresseux de félin ? Né le 28 juillet 1945 à Marion (Indiana), Robert James dit « Jim » Davis passe donc son enfance dans une ferme de Fairmount en compagnie de ses parents et de son plus jeune frère : et c’est d’eux qu’il s’inspirera pour créer les personnages de la famille du maître de « Garfield ». Cependant, il serait certainement devenu fermier sans ses sérieuses crises d’asthme qui l’« obligent » à passer son temps à dessiner, s’éloignant ainsi des corvées régulières que doivent exécuter les autres membres de sa famille campagnarde.

Il fait ensuite ses études à la Ball-State University de Muncie avant de passer deux ans dans une agence de publicité locale puis de devenir, de 1969 à 1978, l’assistant du dessinateur de Tom K. Ryan, sur la parodie de western « Tumbleweeds », bande publiée de 1965 à 2007. Il pourra ainsi se former à l’art du daily strip, se nourrissant de la lecture de bandes dessinées humoristiques comme « The Peanuts » de Charles Monroe Schulz, « Blondie » de Chic Young ou de son fils Dean qui prit sa suite, « Beetle Bailey » de Mort Walker, « Marmaduke » de Brad Anderson et « B. C. » de Johnny Hart :

des séries qui resteront pour lui, au fil des ans, des exemples à suivre(4). D’ailleurs, Snoopy ou Dagwood, et bien d’autres célèbres héros des comic-strips, apparaissent régulièrement dans la série « Garfield ».


Pendant cette période d’apprentissage, il tente toutefois de s’émanciper en décidant de créer et produire sa propre bande dessinée, à l’humour corrosif, qui mettait en scène des insectes (et un moucheron, en particulier): « Gnorm Gnat ». Bien que cette dernière fût publiée, pendant cinq ans, dans The Times Pendleton (un journal de l’Indiana), Jim Davis a essayé, sans aucun succès, de vendre ce strip à une agence (un syndicat, aux USA), afin de la faire distribuer nationalement. Il s’attelle alors à un autre projet ayant comme protagonistes un jeune dessinateur de bande dessinée célibataire (Jon Arbuckle) et un chat. Se rendant compte que les préférences des directeurs de journaux, à qui il présentait ses ébauches, allaient au matou, il change judicieusement d’approche et fait du félin le personnage principal : son maître devenant une victime consentante toujours prête à contenter sa bestiole affamée, grasse et indolente, qui vient systématiquement lui casser les pieds(5).

Le 24 janvier 1978, le contrat est signé avec l’United Features Syndicate(6), l’une des plus importantes chaînes de distribution des comics dans les quotidiens aux USA. : moins de dix années plus tard, en étant distribué désormais par l’Universal Press Syndicate, le daily strip (la bande quotidienne) et sa sunday page (page du dimanche) figureront, déjà, dans plus de 2 000 journaux et magazines, l’édition en recueils étant assurée par Ballantine Books depuis1980. La légende était donc en marche… Á tel point que, lorsque le Chicago Sun-Times a décidé de suspendre la parution de « Garfield », 1 300 lecteurs habitués de ce journal se sont insurgés et la bande a été aussitôt rétablie quotidiennement…
En 1981, Jim Davis rachète les droits de son gros matou paresseux à United Media (groupe de gestion de personnages célèbres, dont Snoopy) et crée, sur ses terres natales de Muncie, Paws, Inc., un studio (dont le siège est bâti selon des normes écologiques) pour gérer les licences de « Garfield ». Paws, Inc est managé fermement par l’auteur, lequel tient à ce que la qualité graphique de son personnage soit maintenue et emploie plus de cinquante artistes, ainsi que des administrateurs de licence ; ces derniers travaillent avec de nombreux agents, à travers le vaste monde, pour la bonne marche de cet empire du divertissement qui génère tant et tant de produits dérivés !(7)

D’ailleurs, depuis 1996, accaparé par la gestion de son entreprise de plus en plus gigantesque, Jim Davis se contente de concevoir les histoires et d’écrire les dialogues de sa création, déléguant toute la partie graphique à ses assistants Gart Barker et Valette Greene.

Cependant, il faut aussi faire remarquer que Jim Davis n’est pas « que » l’auteur de « Garfield » puisqu’il a également réalisé (avec l’aide de Brett Koth, un autre de ses assistants qui collaborait avec lui, sur « Garfield », depuis 1986) « US Acres », entre 1986 et 1989. Cette bande, qui mettait en cases les gags du cochon Orson enlevé à sa mère peu après sa naissance et qui vit au milieu de drôles d’animaux de basse-cour, est plus connue, en dehors des États-Unis, sous l’appellation d’« Orson’s Farm ». Son adaptation animée a été incluse dans « Garfield and Friends » et a continué à l’être pendant plusieurs années après la fin de la bande dessinée.

Sinon, pour finir, sachez aussi que, toujours en association avec Brett Koth, Jim Davis a également créé un strip sur la base du personnage de « Mr. Potato Head » (le célèbre jouet Monsieur Patate), de 2001 à 2003 !


GILLES RATIER, avec Christophe Léchopier (dit « Bichop ») à la technique

(1) Jim Davis est, lui-même, le producteur exécutif de ces longs métrages (qui ont fait 1,2 et 1,4 millions d’entrées en France et qui devraient être suivis d’un troisième)
, comme il est aussi celui de la nouvelle série télévisée animée « The Garfield Show » (ou « Garfiel & Cie » en France).

(2) Outre chez Dargaud (50 titres différents dans sa propre collection depuis 1984, un hors-série intitulé « Garfield Story : une vie de chat » paru pour le 25ème anniversaire en novembre 2003 et un best-of en 2006), il y a eu des reprises en poche chez Presses Pocket (12 recueils, publiés de 1992 à 1994), un album édité par Bagheera en 1991, un chez Maxi-Livres en 2000, un chez Panini dans la collection « Le Monde de la BD » offerte exclusivement à l’achat de quelques quotidiens en 2004 et deux autres chez Viamedias en 2007. Enfin, les Canadiens francophones ont pu, eux aussi, découvrir la série à travers 28 recueils oblongs parus chez Presses Aventures (dont certains ont aussi été diffusés en France).

(3) Il y eu, en fait, dès 1999, une première tentative dans les stations ESSO où l’on pouvait déjà obtenir une compilation publiée par Dargaud et intitulée « Garfield se jette à l’eau » : une opération qui sera renouvelée, en 2009, avec l’album « Lasagnes, repos, dodo ! »…

(4) Dans le très intéressant ouvrage « Garfield Story : une vie de chat » (supervisé par Jim Davis en personne), à la question « Quelles sont vos BD préférées ? », en plus des bandes déjà citées, le créateur de « Garfield » cite de nombreux autres strips humoristiques classiques comme « Pogo » de Walt Kelly ou « Krazy Kat » de George Herriman (dont on attend toujours une édition respectueuse en France), ainsi que d’autres séries un peu plus récentes comme « Calvin et Hobbes » de Bill Watterson (intégrale traduite chez Hors Collection) et « Grimmy » de Mike Peters (17 albums publiés par Dargaud, de 1991 à 2007), mais aussi d’excellents comic-strips pratiquement inconnus chez nous (et c’est bien dommage !) comme « Zits » de Jim Borgman et Jerry Scott (1 seul recueil chez Rackham, en 2001, hélas !), « For Better or For Worse » de la Canadienne Lynn Johnston (3 albums sous le titre « Family Life » chez Vents d’Ouest, de 1999 à 2000), ou encore « Cathy » de Cathy Guisewite et le pourtant réputé « Doonesbury » de Garry Trudeau qui n’ont pas encore eu l’honneur d’être compilés en version française : établissant, mine de rien, d’une liste idéale des meilleurs comic-strips « made in USA » !

(5) Sur la version anglophone de Wikipedia, l’encyclopédie collective établie sur Internet, on peut découvrir un détail amusant et un peu paradoxal sur Jim Davis (compte tenu de sa renommée en tant que dessinateur spécialisé dans les chats) : sa première femme, Carolyn, était allergique à ces animaux : d’ailleurs, ils possédaient un chien nommé Molly. Ils eurent un fils, James Alexander Davis, et, le 16 Juillet 2000, Jim Davis a épousé sa femme actuelle : Jill. Résidant depuis 2007 à Albany (toujours dans l’Indiana), ils ont trois enfants: James, Ashley, et Christopher…, mais les rédacteurs de cette anecdote ne précisent pas si ces derniers ont, eux aussi, des problèmes pour supporter la compagnie des matous !

(6) Pour l’anecdote, sachez que la série, à l’origine, devait s’intituler « Garfield and Friends » (« Garfield et ses amis »), titre qui sera repris, plus tard, pour les séries télévisées.

(7) Dans un autre ordre d’idée, signalons, quand même, que Jim Davis a également fondé The Professor Garfield Fondation, dont le but est de soutenir l’alphabétisation des enfants.

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2 réponses à « Garfield » et Jim Davis

  1. j.etienne dit :

    le dessin original est savoureux;on ne peut pas en dire autant de la version 3D.

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