N’hésitez pas à revenir régulièrement sur cet article, puisque nous l’alimenterons, jour après jour, avec tout que nous envoient nos amis dessinateurs, scénaristes, coloristes, libraires, organisateurs de festivals et éditeurs pour vous souhaiter de joyeuses fêtes : et ceci jusqu’à la fin du mois de janvier 2025 !
Lire la suite...« The Lone Ranger », c’est aussi une bande dessinée…
Icône de la culture populaire américaine, le western « The Lone Ranger » apparaît pour la première fois le 30 janvier 1933, dans un feuilleton radiophonique écrit par Francis H. Striker ; ce sera la plus longue émission de radio de l’histoire, puisqu’elle se poursuivra jusqu’en 1954. Entre-temps, et par la suite, « The Lone Ranger » connaît de nombreuses adaptations : livres pour la jeunesse ou fascicules romancés, pièces de théâtre, séries télévisées, comics, jeux vidéo ou films longs-métrages. En ce domaine, la dernière création en date, produite par la Walt Disney Pictures et Jerry Bruckheimer (réalisée par Gore Verbinski, avec Johnny Depp comme acteur principal) déboule sur tous les grands écrans francophones, en ce début du mois d’août. Cet ancien Texas ranger masqué, qui se bat contre l’injustice, avec des balles d’argent et l’aide de son fidèle ami l’Indien Tonto ou de son trépidant cheval blanc Silver (Cyclone dans certaines traductions en français), reste pourtant un inconnu dans nos contrées ; sauf, peut-être, pour certains lecteurs de bandes dessinées qui se souviennent encore d’un certain « Roi de la prairie »…
Ce curieux mélange de Robin des bois et de Zorro, qui trouve également son inspiration dans les romans de Zane Grey (notamment The Lone Star Ranger) ou de Karl May (avec la série mettant en scène Old Shatterhand et le chef apache Winnetou), est donc aussi une bande dessinée qui parut aux États-Unis, pratiquement sans interruption, de 1938 à 2011.
Grâce à la popularité du personnage, un accord est vite trouvé avec l’agence King Features Syndicate pour produire « The Lone Ranger » sous forme de strips quotidiens et d’une sunday page hebdomadaire, à partir du 11 septembre 1938. L’artiste choisi pour illustrer la série, par l’intermédiaire d’une agence publicitaire de Manhattan (Fred A. Wish Inc.), est Edmund Kressy : un ancien du bureau de dessins de l’Associated Press de New York, né le 5 décembre 1901, et illustrateur d’un strip didactique intitulé « Bud’n Bub », entre 1932 et 1936 ; et si la première histoire devait être écrite, à l’origine, par Francis H. Striker, elle le fut, en réalité, par Maryland Kressy, l’épouse du dessinateur ; les suivants seront effectivement dus à Fran Striker, mais aussi à Bob Green, puis enfin à Paul S. Newman.
Les contraintes liées à l’attente systématique de l’approbation du dessin et du scénario, que subit alors n’importe quel personnage sous licence, par les détenteurs des droits (George Trendle et Fran Striker, entre autres), ont très vite lassé Ed Kressy qui abandonne la bande en février 1939.
D’autant plus que, parallèlement, il assume aussi le dessin de « Tim Tyler’s Luck », la bande de Lyman Young (« Raoul et Gaston » ou « Richard le téméraire » pour les francophones).
Il dessinera ensuite quelques récits complets dans divers comic books, avant de décéder le 5 octobre 1986 (1).
En ce qui concerne « The Lone Ranger », c’est le talentueux Charles Flanders qui reprend le graphisme des aventures quotidiennes, jusqu’à la fin de la série (en décembre 1971), alors que Jon L. Blummer s’occupe des pages du dimanche.
Après un premier strip placé dans le magazine Funen 1932, Charles Flanders (né le 26 juin 1907) a d’abord assisté George McManus sur « Bringing Up Father » (« La Famille Illico » chez nous).
Entre 1932 et 1934, il dépanne, puis remplace carrément, l’assistant de Lyman Young sur « Tim Tyler’s Luck » : un certain Alex Raymond parti créer ses propres séries (« Flash Gordon » ou « Jungle Jim ») et illustrer une commande (« Secret Agent X-9 »).
À noter que Charles Flanders remplacera aussi Alex Raymond et ses assistants (dont Allen Dean), de 1936 à 1938, sur les enquêtes de Phil Corrigan scénarisées par Leslie Charteris, puis par Robert Storm, et reviendra occasionnellement sur la bande d’aventure exotique « Tim Tyler’s Luck », entre 1940 et 1942.
Flanders travaille également sur des adaptations d’Ivanhoé et de The Treasure Island, ainsi que sur une série d’espionnage (« Sandra of the Secret Service »), pour le premier comic book de la National DC (New Fun Comics), avant de créer, en 1935, sa propre page du dimanche en couleurs : un « Robin Hodd » qui restera finalement inachevé. Officiellement promu assistant d’Allen Dean sur « Secret Agent X-9 », mais aussi sur les sunday pages de « King of the Royal Mounted » (« Le Roi de la police montée ») à partir de mars 1936, il se fait lui-même aider par Fred Harman (dessinateur de « Red Ryder ») ou par Jim Gary, lequel lui succédera lorsqu’il abandonnera ce western au profit de « The Lone Ranger ».
Même si on l’a longtemps surnommé « l’éternel second », sa reprise des aventures du justicier masqué va lui permettre de gagner ses galons de vedette des comics. Efficacement secondé, les dernières années, par son assistant Tom Gill, il prendra sa retraite en 1971, à la fin de la série, pour se retirer en Espagne, à Palma de Majorque, où il décédera le 10 janvier 1973 (2).
Cette première série, dessinée par Ed Kressy puis par Charles Flanders, dont les scénarios sont quand même un peu répétitifs, est traduite en France de 1938 à 1940 dans Hop-Là ! (sous le titre de « L’Homme masqué ») et dans Jumbo, en prenant le nom de « Roi de la prairie », de 1939 à 1941. Après-guerre, toujours titrée « Le Roi de la prairie », on la retrouve dans les publications de la Sage comme l’hebdomadaire Paris-Jeunes (à partir de 1946) qui deviendra Aventures (jusqu’en 1949) ou comme quatre récits complets publiés en 1946, mais aussi comme la collection Aventures et Mystères (entre 1947 et 1952). Parallèlement, les bandes de Flanders sont publiées dans Story en Belgique (de 1945 à 1951) et dans le Donald de Paul Winkler (responsable d’Opera Mundi), entre 1948 et 1950, sous la dénomination de « Le Cow-boy masqué ». Outre une présence régulière dans la presse quotidienne (dans Le Populaire du Centre, La Libre Belgique, Le Maine libre, Centre Presse, La Voix du Nord, etc.), « Le Roi de la prairie » sera présent dans les cinq numéros de l’éphémère Johnny en 1970, dans le n° 12 de Carrousel des Comics en janvier 1980 et dans un album édité par l’A.N.A.F. (Association Neuvième Art France) qui contient des bandes publiées entre 1941 et 1942 : « The Lone Ranger », en 2012 (voir http://anafbd.free.fr/sauvegarde.htm).
Fin 1938 — début 1939, le téméraire ancien Ranger est la vedette d’un premier et très rare comic book publicitaire commandité par les glaces Lone Ranger Cream Cones, édité par Lone Ranger Inc., et illustré par un certain Henry Vallely, qui respecte le style d’Ed Kressy. Après une présence dans divers titres comme Magic Comics, King Comics ou Future Comics, il faudra attendre 1948 pour que la Dell Publishing lance une nouvelle série de comic books avec « The Lone Ranger », laquelle va connaître pas moins de cent quarante-cinq publications, jusqu’en 1962.
Si les six premiers numéros ne sont que des rééditions des comic strips, les suivants contiennent des histoires originales principalement élaborées graphiquement par Tom Gill, l’assistant de Charles Flanders, et narrativement par Paul S. Neuman, puis par le romancier Gaylord DuBois. À noter que Tonto et Silver the Horse ont eut leur propre titre, spin-off de la série mère, respectivement en 1951 (pendant trente et un numéros) et en 1952 (pendant trente-quatre numéros), sans compter trois épais Lone Ranger Annualset une adaptation du film de 1956.
Suite au décès de Fran Striker en 1962, c’est la Gold Key qui reprend la licence à partir de 1964.
Là encore, leurs premiers comic books ne sont que des reprises, mais des histoires originales apparaissent quand même dans les huit derniers opus (du n° 21 de 1975 au n° 28 de 1977).
C’est encore les éditions Sage, devenues Sagedition, qui vont traduire en français ces comic books sous le titre « Le Roi de la prairie » : vingt numéros, au format 18 X 26 cm, étant proposés d’août 1966 à juin 1971.
Ce n’est que grâce au tapage médiatique entourant la diffusion du téléfilm The Legend of the Lone Ranger sur les chaînes américaines, en 1981, que notre vengeur solitaire refait un galop d’essai en bandes dessinées : et dans la grande presse, comme du temps d’Ed Kressy et de Charles Flanders.
Cette nouvelle mouture, réalisée par l’intermédiaire du New York Times Special Features Syndicate, est publiée du 13 septembre 1981 au 1er avril 1984.
Due aux vétérans Cary Bates (l’un des scénaristes de « Superman ») et Russ Heath (dessinateur aguerri de comics de guerre), cette bande aux évidentes qualités a, malheureusement, été souvent médiocrement imprimée.
Évidemment, ceci ne l’a pas aidée à conquérir le grand public ; elle est d’ailleurs, sauf erreur de notre part, inédite en français.
Pourtant, Russel Heath n’est pas le dernier dessinateur venu !
Né le 29 septembre 1926 à New York, il commence à travailler sur « Hammerhead Hawley » dans Holyhoke, à l’âge de seize ans (en 1942). En 1946, il est employé par la Timely pour dessiner plusieurs comic books : son meilleur travail se révèle être celui qu’il réalise pour les westerns Arizona Kid, Two-Gun Kid et Kid Colt Outlaw. Par la suite, il va travailler aussi pour diverses autres maisons d’édition comme Avon (des récits de science-fiction), Lev Gleason Publications (des histoires d’amour) et Quality Comics où il reprend les aventures de Plastic Man, à la suite de Jack Cole.
Au début des années 1950, il est surtout présent dans les titres EC comme Mad et Frontline Combat, aux côtés d’Harvey Kurtzman avec lequel il a également travaillé pour Mag Mag et Trump. À la même époque, il dessine aussi pour la National DC (« Golden Gladiator » ou « Robin Hood » dans Brave and the Bold), où il se fait surtout connaître avec des comic books de guerre comme Sea Devils, Our Army at War (avec « Sgt. Rock ») et GI Combat (avec « The Haunted Tank ») ; sans oublier les Blazing Combat chez Warren (voir « Blazing Combat » par Archie Goodwin & co). En dehors de son propre travail, Russ Heath a souvent aidé d’autres artistes tels que George Wunder sur « Terry and the Pirates », Dan Barry sur « Flash Gordon », Stan Lynde sur « Latigo » ou Harvey Kurtzman et Bill Elder sur « Little Annie Fanny » (entre 1963 et 1967). Après la version renouvelée de « The Lone Ranger », Russ Heath va passer la plupart de son temps à travailler sur les dessins animés de la Marvel, en dehors de contributions occasionnelles en bande dessinée sur « The Shadow » ou « The Nam ».
Notons ensuite, en 1994, une minisérie de quatre numéros (« It Crawls : The Lone Ranger and Tonto ») produite par Joe R. Landsdale et Timothy Truman, en association avec Topps Comics, qui réexamine la relation entre le Lone Ranger et Tonto ; elle n’aura pas beaucoup plus de succès.
Enfin, le 6 septembre 2006, sort le premier numéro d’une nouvelle série plutôt réussie de comic books avec le Lone Ranger, publiée par Dynamite Entertainment.
Le scénario est écrit par Brett Matthews et les dessins sont réalisés par Sergio Cariello (dessinateur de séries de superhéros produites par la DC comme « Wonder Woman », « Green Lantern », « The Flash », « Young Heroes in Love », « Blue Beetle », « Azrael » ou « Batman »), le tout sous de belles couvertures dues à John Cassaday.
Cet illustrateur est principalement connu pour son travail sur « Planetary » avec Warren Ellis, « Astonishing X-Men » avec Joss Whedon et « Captain America » avec John Ney Rieber, ou encore sur « Je suis légion » avec le scénariste français Fabien Nury.
Cette nouvelle série reprend les origines du Lone Ranger, dans un style moderne et sombre, tant dans l’écriture que dans le dessin, jusqu’en janvier 2011, le temps de vingt-six numéros. Si l’accueil du film avec Johnny Depp est bon sur le territoire francophone européen, peut-être y aura-t-il un éditeur pour traduire ce beau comic, ainsi que les strips dessinés par Russ Heath, ou même pour rééditer les pages d’Ed Kressy ou de Charles Flanders ?
Il ne faut cependant pas trop y compter, car pour le moment, les critiques sont plutôt mitigées, pour ne pas dire catastrophiques : mais attendons la sanction du public, il paraît que c’est la seule qui compte vraiment…
Gilles RATIER
(1) Pour en savoir plus sur Ed Kressy, lire l’excellent dossier consacré à « Tim Tyler’s Luck », par Mar-André Dumonteil et Louis Cance, dans le n° 133 de Hop !, au premier trimestre 2012.
(2) Sur Charles Flanders, voir les très complets dossiers de Hop ! sur « King of the Royal Mounted » (n° 73 du quatrième trimestre 1996) et sur « Secret Agent X-9 » (n° 89 du premier trimestre 2001).
Encore un excellent article de votre part. Felicitations, Gilles.
Merci Maurice !
Bien cordialement
Gilles Ratier