Dix ans après la parution de « Résurrection », la première partie d’un diptyque accouché dans la douleur, voici enfin « Révélations » : conclusion du dernier récit du regretté Philippe Tome, décédé alors qu’il travaillait sur les dernières pages de son scénario. Les éditions Dupuis proposent, enfin, l’intégralité de cette aventure magistralement dessinée par Dan Verlinden, digne successeur de ses deux prédécesseurs : Luc Warnant et Bruno Gazzotti.
Lire la suite...Spécial 75 ans de Spirou : « Spirou et Fantasio » T7 (« Le Dictateur et le Champignon ») par André Franquin et Maurice Rosy
Retour cette semaine sur la couverture de l’un des titres parmi les plus emblématiques de la saga Spirou et Fantasio, « Le Dictateur et le Champignon ». Signé par Franquin sur une idée de Maurice Rosy, ce récit en 53 planches sera prépublié dans le Journal de Spirou entre le 20 août 1953 (n° 801) et le 06 mai 1954 (n° 838). Il constituera en janvier 1956 le 7ème album de la série phare des éditions Dupuis. Nos héros, ayant décidé de ramener le Marsupilami en Palombie, se heurtent aux visées expansionnistes du chef de la nouvelle junte militaire, le général Zantas. Ce dernier, qui n’est autre que l’inquiétant Zantafio, est en effet bien décidé à s’emparer du pays voisin, le Guaracha, pour faire main basse sur ses nombreuses richesses naturelles…
Si le titre adopté par Franquin et Rosy pour cette nouvelle aventure résonne comme celui d’une fable, ce n’est guère un hasard, tant son aspect politique et moraliste est signifiant : voici rapprochés des termes, « Dictateur » et « Champignon » (atomique), qui, annoncés en ce début des années 1950, quelques années à peine après la fin de la Seconde Guerre mondiale, présagent surtout des peurs liées – notamment en Belgique et en France – aux débuts de la Guerre froide. Franquin, qui aura accompagné notamment un Jijé angoissé aux Etats-Unis en 1948, aura alors été informé, dès le 11 mars 1947, de l’annonce par le président Harry S. Truman d’une politique de containment (endiguement) du communisme. Le thème de la « démocratie » contre le « totalitarisme », déjà développé par Hergé dans « Le Sceptre d’Ottokar » (1938) permet ici une critique assez savoureuse : dans la mesure où une invention loufoque du Comte de Champignac (le métomol, un gaz extrait des champignons ayant la particularité de rendre tous les métaux ou engins métalliques… mous) peut rendre inefficace une armée entière constituée de chars et de missiles, la science est enfin mise au service de la paix.
Avant d’évoquer la couverture finalisée de l’album, il nous faut signaler les visuels qui l’auront précédé : soit deux couvertures-annonces du Journal de Spirou (n° 799 et 800, les 06 et 13 août 1953) où le suspense est soigneusement mis en scène (ni le fameux dictateur ni le métomol ne sont révélés). Citons également les quatre couvertures des recueils Spirou (n° 46 (juillet 1953), n° 47 (octobre 1953), n° 48 (janvier 1954) et n° 49 (avril 1954)) sur lesquelles Franquin aura représenté quatre scènes majeures du récit, mais dont une seule illustre directement le thème central : Spirou et Fantasio tentant de manœuvrer (contre) une menaçante armée offensive.
Rappelons une anecdote en rapport avec ces fameux recueils du Journal de Spirou : à l’époque, ils constituaient déjà essentiellement un moyen commode pour l’éditeur de se séparer des stocks d’invendus. C’est peut-être Franquin lui-même qui eut un jour l’idée de rajouter, sur chacun de ses dessins de couverture inédits, une reproduction miniature du Journal. Problème : la réduction à 16% du format originel ne se relevait plus très lisible ni très favorable au dessin initial. Du recueil n° 40 jusqu’au n° 48, Franquin opta donc pour un choix assez étrange : positionner malgré tout un second dessin, une petite esquisse en couleurs, sensée reproduire la première page-planche du magazine… Une « couverture-planche » dans une « couverture-dessin » constituant donc une couverture de recueil !
Le premier plat de l’album paru en janvier 1956 illustre par un mensonge la thèse et l’antithèse du récit : si Spirou et Fantasio, revêtus d’uniformes de hauts gradés, déambulent visiblement satisfaits au beau milieu de cette rue à l’atmosphère latino-américaine, peut-on en tirer la conclusion qu’ils sont favorables au régime dictatorial (cf. titre) en place ? Sont-ils insensibles aux symboles et couleurs fascisantes qui les environnent ? Aux blindés, avions et soldats omniprésents ? Surtout, ne voient-ils pas couver dans l’ombre la résistance ou la menace des attentats, comme en témoigne sur la droite du visuel le mystérieux observateur sous son sombrero, qui les suit des yeux discrètement ? Si, d’emblée, la scène interroge vivement les habitués de la saga, elle semblera à posteriori déconnectée de toute réalité tangible : non seulement la scène n’illustre aucun passage de l’album (les héros, rendus inquiets par les agissements de Zantafio, auront autre chose à faire que jouer aux touristes palombiens) mais il est impossible que le quatuor vedette ne prenne pas en considération la double menace (politique et nucléaire) qui pèse au-dessus de leurs têtes. Si le perroquet palombien a cependant remplacé ironiquement l’aigle fasciste, on en tirera la judicieuse conclusion que Franquin et Rosy jouent sur une matière polysémique : il y a un écart ou un faux jeu de miroir entre la fiction et la réalité, le dessin et le titre, le récit franquinien et la réalité des années 1950. Si l’album annonce « le » noir dictateur (par la couleur de sa typographie), il est de fait invisible sur le principal visuel, où l’atmosphère – insolite – est doublement militarisée et parfaitement détendue (ciel bleu, exotisme coloré, palombienne et personnages relativement souriants, absence de toute affiche de propagande). De même, on ne trouvera nulle trace du rouge « champignon » (naturel ou atomique, mais donc aux couleurs communistes) annoncé, et c’est tout juste si on devinera donc par ce biais le rôle joué par le comte de Champignac dans ce récit…
Cette ironie, ce décalage permanent entre le sujet évoqué et son illustration littérale, nous renvoie à l’œuvre ayant grandement inspiré Franquin : le film de Charlie Chaplin, « Le Dictateur », réalisé en 1940 et sorti en France en 1945. Produit avant le début du conflit, ce film de contre-propagande laisse entendre la possibilité d’une nouvelle guerre en Europe. Adénoid Hynkel (alias Adolf Hitler), joué par Chaplin lui même, s’y exprime dans une langue incompréhensible et agressive, à l’image des discours d’Hitler. Des mots comme Blitzkrieg (guerre éclair) ou le ton antisémite ne laissent toutefois aucun doute sur les intentions du dictateur… Si la gestuelle d’Hitler est directement parodiée dans le film comme dans l’œuvre de Franquin, on y observera que la croix gammée est remplacée dans l’œuvre de Chaplin par une double croix, un symbole de trahison en Angleterre (double cross). Dans « Le Dictateur et le Champignon », c’est la modification de la croix gammée en un cercle noir hérissé de trois flèches (symbole expansionniste) qui attire l’attention (voir ce symbole par exemple sur le blindé figurant à gauche) : c’est aussi la transformation d’un « Z », déjà significatif d’un dédoublement maléfique (Zantafio, cousin mais surtout reflet obscur (brun) du « bon » et blond Fantasio), en une lettrine croisée : la Svastika originelle, ayant inspiré la croix gammée, n’est en effet rien d’autre visuellement qu’un double S ou double Z entrecroisé, venu de la lettre grecque gamma (G).
La couverture de ce 7ème album, adressé aux enfants et adolescents, est à l’image du message de Franquin : par l’imaginaire, l’aventure et la création, tous les totalitarismes peuvent être vaincus. Le visuel se veut donc parfaitement rassurant : les héros sont certains de leurs actes, dans un théâtre qui n’est jamais qu’un décor. Constatons que la fable prendra quelques années plus tard un aspect plus inquiétant à la mesure que les angoisses profondes de Franquin renaitront : sur un sujet très proche, « Le Prisonnier du Bouddha » (1960) ou « Z comme Zorglub » (1961) semblent déjà guider leur auteur vers ses ultimes « Idées noires » (1981)…
Philippe TOMBLAINE
« Spirou et Fantasio » T7 (« Le Dictateur et le Champignon ») par André Franquin et Maurice Rosy
Dupuis, 1ère édition en 1956 (10,60 €) : ISBN : 978-2800100098
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LA COUVERTURE D’ALBUM : TOUT UN ART !
Félicitation pour LA belle étude de cette couverture.J’ai 66 ans et je l’ai découverte pour la première fois à l’âge de dix ans.
Elle m’a toujours fait une grosse impression par son coté militaire.
En 1956 la guerre est encore présente dans tous les esprits et l’uniforme que portent Spirou et Fantasio, n’est pas sans rapeller celui des officiers de la Wermarth
Avec « le prisonnier du Bouddha cet album est mon préféré de Franquin.
Une riche idée que de consacrer une rubrique à une couverture d’album.
J’ai eu souvent l’occasion d’écrire et de réécrire sur ce blog l’impact des couvertures pour la vente dans les années 50/60 et le coté artistique. Sans oublier l’influence des grands maîtres de l’affiche tel que Cassandre ou Capiello.
J’espére que vous allez continuer cette rubrique et je peu vous aider, bien que je sois pris pour des articles à caractéres historiques dans des revues de patrimoine local.
Je me permet de vous soumettre quelques unes de mes couvertures favorites:
LE CHATEAU MAUDIT, FORT RED STONE , LE GENERAL TETE JAUNE , MENACE AU NORD , LES LEGIONS PERDUES, LE GLAIVE DE BRONZE etc…
Cette liste n’est bien sur pas exhaustive, tant il existe de splendides couvertures.
je suis à votre disposition pour des articles et encore bravo
Cordialement
jacques guillerm
Excellente idée, Monsieur Guillerm, je suis impatient de ire sur ce site vos analyses sur des sujets si passionnants. Bien cordialement
LES PLUS BELLES COUVERTURES DE LA BD
LE CHEVAL DE FER
Ce récit de 46 pages est prépublié dans le journal Pilote du N° 370 au N°392, il constitue le 7éme album de la magnifique saga » Blueberry » , au scénario J.M.Charlier et au dessin Gir qui atteint alors tout son génie artistique.
Le dessin de couverture du N° 370 de Pilote annonce cette nouvelle histoire. Il sera repris avec quelques légères modifications pour illustrer la couverture de l’album.
Cet album est le premier d’une série de 4 racontant les guerres indiennes contre l’arrivée du chemin de fer dans les grandes plaines de l’ouest Américain.
4 albums tous plus beaux les uns que les autres.
Cette superbe couverture raconte à elle seule toute cette saga dramatique.
Sur un fond de ciel bleu, sans nuage, une locomative s’avance vers nous.
De son immense cheminée s’echappe un nuage de fumée que l’on devine rempli d’escarbilles et de flammèches. Il ne manque que le bruit assourdissant de ce mostre de fer et d’acier, qui trace sa route à travers la grande prairie.
Un monstre qui ne manque pas d’une certaine beauté avec sa lanterne devant la cheminée et son chasse neige pour se protéger des bisons.
Elle est escortée de chaque coté par des indiens ( Sioux ou Cheyennes).
Mais contrairement à ce que l’image laisse penser, ces cavaliers indiens ne sont pas là pour lui faire une haie d’honneur mais pour tenter de la stopper ou encore de la détruire.
Le contraste est saisissant et comme ils parraissent fragiles et leurs armes bien dérisoirs, des arcs et des lances pour faire face à l’inéluctable progression de la locomotive.
Peut-on arreter la marche du progrés qui va relier les rives de l’Atlantique à celles du Pacifique.
Un progrés qui va permettre à des villes de surgir comme des champignons dans la grande prairie. Mais un progrés qui va detruire irrémédiablement une civilisation (celle des indiens des plaines)
Toute cette histoire est raconté dans les quatre albums « le chval de fer, l’homme au poing d’acier, la piste des sioux et le général tête jaune »
Si on aime la BD, impossible de ne pas lire ou relire ces chefs d’oeuvre dont les planches sont aussi belle que cette couverture qui résume à elle seule en un simple dessin toute cette histoire.
Du grand art et encore merci à Charlier et à Gir
Jacques Guillerm
Merci à Jacques pour ses remarques et avis passionnés.
Si l’ambition de BD Zoom est de mettre l’accent plutôt sur les nouveautés, je ne m’interdirai pas de retraiter certains grands classiques dès le début 2014, cette année – chaque début de mois – étant « réservée » à Spirou. Par ailleurs, et pour diversifier un peu la rubrique « L’Art de… », je proposerai dès la rentrée des analyses complètes de planches (une fois par mois).
Concernant Blueberry, j’ai déjà évoqué deux visuels différents (ici, et sur le blog « C’est en couverture ! ») et je ne peux pas, bien sûr, multiplier les analyses liées à ce personnage, sauf peut-être à traiter plusieurs visuels (correspondant à un cycle) ensemble. Merci donc de nouveau pour ce regard jeté sur « Le Cheval de fer », en n’oubliant pas que le titre a pu être inspiré aux auteurs autant par le film homonyme de John Ford (1924) que par cette série américaine (créée en 1966) alors diffusée en France (dès avril 1969).
L’ART DE : Quand le cheval jouait les stars sur les couvertures.
Le grand JIJE était passé maître dans l’art de faire des belles couvertures d’albums.
Comme Hergé, avant lui, il avait retenu l’exemple des affichistres des années 30.
lesquels avaient compris que pour faire une belle affiche que l’on remarque, il fallait faire sobre, aller à l’essentiel et jouer sur quelques couleurs: pour illustrer un voyage en train , une locomotive en pleine puissance, pour une croisière, la colossale étrave d’un paquebot.
De toute son immense production, Jerry Spring reste l’oeuvre majeure de JIJE.
Il aimait les chevaux et sur les 21 couvertures qu’il a réalisé on remarquera la présence quasi permanante des chevaux (16 fois).
Trés souvent le cheval occupe la place centrale au premier plan et autour de qui s’articule l’action.
Difficile de dire quel est la plus réussit. Mon choix s’est porté sur le neuvième album de la série.
FORT RED STONE
Fort red stone est une histoire de 44 planches qui est prépublié dans Spirou du N° 1069 au
N° 1090 en 1958/59.
Au premier plan, un cavalier indien, il retient son cheval en tirant sur son mors, afin de prendre le temps de stimuler ses guerriers pour le combat.
Le cheval, un appaloosa dresse la tete, l’indien crie ses ordres, le tomahawk à bout de bras, dressé vers le ciel.
Le cheval et l’homme ont revètus leurs peintures et plumes de guerre,des couleurs qui ressortent bien sur la robe auburn du cheval.
Au second plan, devant le personnage principal des cavaliers ont déjà engagé le combat, tandis que d’autres derriére se préparent à attaquer à leur tour.
Tout au fond, le fort, comme il parait petit et fragile face à cette horde d’indiens déchainés, il est entouré de nuages de fumée. Pourtant il resistera et c’est lui qui donnera son nom en lettres rouges à cet album.
Le ciel est jaune, une couleur peu naturel mais qui fait ressortir la violence de l’attaque et qui permet aux couleurs du personnage pricipal de mieux ressortir.
J’aurais pu évoquer d’autres couvertures toutes aussi belles (Lune d’argent, la passe des indiens)
mais il fallait choisir et j’aurais tant de chose à écrire sur JIJE qu’il me faudrait un livre.
A bientôt pour d’autres couvertures
Jacques Guillerm Juin 2013