« Y, le dernier homme » T2 par Pia Guerra, Goran Parlov et Brian K. Vaughan

Ce deuxième volume de la série « Y, le dernier homme » enfonce assez le clou de l’intensité et de l’approfondissement de son univers pour mériter amplement que j’y revienne au sein de cette chronique… Un vrai grand plaisir de lecture, intelligent et malin.

Quand il le veut (c’est-à-dire quand il s’éloigne des super-héros, mis à part quelques-uns comme Les Fugitifs), Brian K. Vaughan a le don de nous épater par sa grande humanité s’exprimant dans l’alliance de l’humour, du sentiment et d’un regard assez froid sur les choses, engendrant de grandes et belles œuvres poussant à la réflexion. C’est bien sûr le cas avec « Y, le dernier homme », sa première grande série, celle qui l’a hissé au rang des scénaristes contemporains qui comptent réellement dans le paysage éditorial des comics. Il faut dire que Vaughan, même s’il n’est pas le premier ni le seul à avoir créé une œuvre autour du concept de dernier représentant de l’humanité survivant dans un monde post-apocalyptique, a réussi à donner une belle dimension à ce contexte d’anticipation en s’éloignant du côté SF pour mieux développer une réflexion sur notre monde actuel, notre humanité qui perdure dans l’erreur. Donc, ici, Yorick se retrouve être – inexplicablement – le dernier homme vivant sur Terre après qu’un fléau ait décimé tous les mâles de la planète en une fraction de seconde. Après les premiers épisodes qui nous présentait ce postulat et mettait en scène les différents protagonistes de l’histoire, après les premiers problèmes inhérents à cette situation, Vaughan amplifie un peu son propos en l’élargissant et en trouvant des ramifications qui bâtissent – mine de rien – tout un univers et surtout un état d’esprit. Celui d’une série se penchant à la fois avec gravité et légèreté sur la nature et la persistance de notre espèce, avec tout ce que cela implique de valeurs morales et philosophiques quant à notre place dans le monde, au sens que nous donnons à la vie. Souvent caustique, cette série se révèle souvent âpre et désenchantée, dans un contraste salvateur qui ne nous fait ni plonger dans le désespoir ni ne nous emmène dans la pure fiction sans attaches avec le réel. Dans ce deuxième volume, les différents cycles du récit sont autant de facettes d’une même réflexion de laquelle l’auteur tire des hypothèses et des constats devant nous faire réagir sur ce qui régit notre humanité présente.

Ainsi, certaines idées typiquement SF ne sont employées que pour aller ailleurs, vers le fond du sujet, Vaughan se servant de l’intrigue pour mieux disséquer ce que nous sommes par le caractère et les choix faits par les personnages. Ainsi, la découverte d’une station spatiale russe ayant pour équipage une femme et deux hommes constitue un excellent rebondissement à ce stade de l’histoire, remettant en perspective le titre même de l’œuvre et engendrant un espoir pouvant tout faire basculer. Mais au lieu de s’attarder sur ce coup de théâtre, de l’exploiter frontalement, Vaughan se sert de celui-ci pour se pencher sur ce qu’il implique en termes de pouvoirs, de violence et de morale extrémiste sur Terre. On en vient à observer comment certaines décisions sont prises par certaines personnes ayant des responsabilités pour maintenir un ordre, sauvegarder une position de pouvoir, exprimer sa puissance… des décisions qui peuvent parfois aller à l’encontre du bon sens commun et de l’éthique humaniste. En d’autres termes, comment faire la guerre pour éviter la guerre au nom d’idéaux nationalistes, politiques ou religieux, sans parler de cet ego qui dévore tout jusqu’à la mort. On retrouve là les préoccupations de Vaughan sur les violences ancestrales qui continuent d’enflammer le Moyen-Orient (clairement exprimées aussi dans son fameux « Pride of Bagdad »)… Dans un autre cycle semblant très digressif tout en faisant écho au sujet du récit (une troupe de comédiennes montant une pièce de théâtre sur le dernier homme sur Terre), le scénariste nous parle de l’acceptation ou non des choses, et de notre capacité à créer ce qui doit faire sens, profitant de cet effet miroir pour prendre du recul avec ce qu’il était en train de créer lui-même, dévoilant au lecteur quelques-unes de ses inspirations. Après une séance faussement sado-maso très bien faite car très troublante pour le lecteur et très déstabilisante pour le héros, Vaughan fait entrer en scène un groupe de femmes extrémistes et armées, compliquant encore plus le périple de Yorick (et son singe Éperluette), de l’agent 355 et du Dr Mann… On pourrait encore dire beaucoup de choses sur « Y, le dernier homme », mais je préfère vous laisser découvrir maintenant cet album par vous-même puisque j’y reviendrai lors de la sortie des prochains tomes. Comme toutes les œuvres de qualité, ce comic fleuve se lit avec appétit, sans jamais lasser, accrochant le lecteur qui ne pourra alors qu’en redemander…

Cecil McKINLEY

« Y, le dernier homme » T2 par Pia Guerra, Goran Parlov et Brian K. Vaughan

Éditions Urban Comics (28,00€) – ISBN : 978-2-3657-7199-3

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7 réponses à « Y, le dernier homme » T2 par Pia Guerra, Goran Parlov et Brian K. Vaughan

  1. Pierre Gabus dit :

    Je confirme votre avis. Il s’agit vraiment d’une excellente série. Et puisqu’elle est déjà sorti jadis chez Panini, on peut (sans rien déflorer) rassurer les lecteurs potentiels sur la suite en leur disant tout de suite que la fin est très réussie (ce qui n’est pas forcément évident avec ce genre de postulat de départ). Pas de truc démesuré et ridicule … juste une belle fin qui reste en mémoire.

    • Cecil McKinley dit :

      Bonjour Pierre,

      Merci de votre commentaire: je confirme votre confirmation!
      Bien à vous,

      Cecil McKinley

      • JC LEBOURDAIS dit :

        Je suis un de ceux qui ne comprends pas pourquoi on encense Vaughan pour cette série. Il es très doué pour faire monter la mayonnaise pendant 50 numéros, pour terminer en queue de poisson et laisser le lecteur se disant « Tout ça… pour ca ? »

        • Cecil McKinley dit :

          Bonjour JC,

          Merci de votre commentaire, et de votre ressenti que je peux bien sûr comprendre…
          Personnellement, je n’encense pas Vaughan pour la fin qui serait géniale ou pour son talent à faire monter la mayonnaise: plutôt que la bonne mayonnaise, c’est bien ce que met Vaughan dans son intrigue qui m’intéresse et que j’admire. Quand je lis « Y », en fait je m’en fous de savoir comment ça va finir, et si le héros va se sortir du prochain écueil; pour moi, ce qui est intéressant ce sont les différents thèmes abordés, et ce qu’il en est dit, que ce soit politique, éthique, moral, philosophique, intime, social, ou encore d’autres sujets qui nous parlent à tous, comme l’équilibre précaire de la paix en notre monde… Je trouve qu’ « Y » est plus intéressant verticalement qu’horizontalement, car l’intrigue, finalement, reste classique malgré une bonne réappropriation du postulat de base. Ce que j »aime, in fine, c’est la préoccupation humaniste de Vaughan… Je trouve qu’il se gâche dans les séries super-héroïques, il est bien meilleur quand il fait du « Vertigo ».
          Après, chacun vibre ou non selon ce qu’il attend de l’œuvre, sans pour autant être en désaccord…

          Bien à vous,

          Cecil McKinley

          • JC LEBOURDAIS dit :

            Je comprends, vous avez dû adorer Lost et BSG ;-)
            De mon point de vue, si je veux de la philosophie, j’ouvre Kant ou Hegel; si je veux du social et de l’humanisme je lis Tocqueville ou Rousseau. Quand j’ouvre un comic book c’est pour lire une bonne histoire, distrayante, prenante, avec un début, un milieu et une fin qui ne me prends pas pour un crétin qui dépense 50x$2.99 pour me laisser sur ma faim. J’ai la nostalgie de l’époque d’avant la décompression désespérante des scénarios et la photo-référence des dessins qui supprime tout dynamisme.
            Je dois sans doute être un vieux con de me dire que c’était mieux avant :-)

  2. Ping : InRete! Nel weekend si è scritto di tutto!…

  3. Cecil McKinley dit :

    Bonsoir JC,

    Eh non, je n’aime pas (mais alors pas du tout) « Lost », « BSG » et toutes ces séries… Je suis resté bloqué à « Chapeau Melon et Bottes de Cuir » et au « Prisonnier »…
    Encore une fois, je comprends que la trame d’ « Y » ne vous plaise pas, que vous vous soyez senti floué par une fin qui vous a déçu après avoir acheté tous les numéros, c’est tout à fait légitime, mais par contre je ne vous suis pas du tout sur votre point de vue où la bande dessinée ne pourrait pas être philosophique, sociale ou humaniste, n’étant là que pour distraire les lecteurs… Je trouve même ça terrible, car cela met à mal toutes ces décennies où la bande dessinée a dû justement s’imposer comme étant autre chose qu’un simple divertissement avec des personnages rigolos à gros nez pour enfants ou adultes déficients, capable tout comme le cinéma ou les autres arts de traiter de thèmes « sérieux ».
    Une bande dessinée ne remplacera jamais un traité de philosophie écrit, mais elle pourra être philosophique – et plaire à certains pour cela. Il faut de toutes les bandes dessinées pour faire le 9ème art… Et on ne peut déplorer qu’une bande dessinée veuille aussi faire réfléchir, voyons!
    Quant aux scénarios et aux dessins, il y a toujours eu des chefs-d’œuvre et des merdes absolues, de tout temps… Vous n’êtes pas un vieux con en pensant que c’était mieux avant, mais ce n’est pas très objectif… Donc, pour la philosophie et l’humanisme, je vous conseille Nietzsche et Thoreau, plutôt que Kant et Rousseau… Vous verrez, ça ira mieux!

    Bien à vous,

    Cecil McKinley

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