« Prince Valiant » T2 (1939-1940) par Hal Foster

En attendant fébrilement la réédition intégrale du « Flash Gordon » de Raymond, Soleil continue sa publication de quelques joyaux de l’Âge d’Or dont le célèbrissime « Prince Valiant » qui reste un must absolu…

Ce deuxième tome de l’intégrale de « Prince Valiant » couvre les années 1939 et 1940. Plus d’une centaine de planches, donc, pour un album restituant parfaitement le trait et les couleurs d’origine dans une collection qui propose enfin une édition digne des œuvres qu’elle accueille. Comme pour « Tarzan », le résultat est une réussite qui réclamerait au-delà de tous fantasmes un format encore plus grand ; mais cette taille rend déjà un bel hommage au style de Foster. C’est avec un grand plaisir que nous avions découvert le premier tome de cette intégrale en fin d’année dernière, présageant d’une belle collection consacrée à l’Âge d’Or après que les premiers tomes de « Tarzan » soient parus. De prime abord, « Prince Valiant » est une œuvre qui a vieilli, semblant emprisonnée dans son époque, même si Hal Foster la dessina pendant près de 35 ans et que par conséquent le style de ce dernier ait aussi évolué. Mais « Prince Valiant » reste malgré tout un symbole de cet Âge d’Or, une création qui n’a pas fait que participer à l’aura de cette période si bouillonnante de la moitié-fin des années 30 mais qui a au contraire été l’un de ses fers de lance, l’un des comics qui – avec « Terry et les Pirates » de Caniff ou « Flash Gordon » de Raymond, entre autres – a déclenché quelque chose de primordial dans l’évolution des comics.

 

Certes, l’emploi par Foster d’un texte et de dialogues sans bulles (procédé repris par Hogarth lorsqu’il succèdera à Foster sur « Tarzan ») venant s’insérer dans la case de manière brute et linéaire, sans cartouche, pousse notre inconscient à penser Foster comme un illustrateur faisant de la bande dessinée plutôt que comme un véritable dessinateur de comics (c’est d’ailleurs le sujet qu’aborde Mark Schultz dans la préface de ce deuxième volume). Mais il n’en est rien ; il suffit de regarder, de commencer à lire « Prince Valiant » pour s’apercevoir que nous sommes bien là devant une œuvre de bande dessinée. Pour éteindre toute polémique qui fait pourtant le terreau de certains spécialistes pompeux, on pourrait d’ailleurs dire que certaines bandes dessinées muettes n’en sont pas moins des bandes dessinées même si elles ne contiennent aucune bulle. La manière dont Foster utilise ses textes dans la case et la façon dont il exprime l’action et les dialogues n’enlèvent en rien la spécificité de la nature de la bande dessinée. Un bel écho se fait entre texte et dessin, sans que le dessin soit une illustration du texte ni que le texte soit redondant par rapport au dessin. Il s’agit juste d’une autre manière de raconter – c’est vrai, très attachée à la tradition de l’illustration du 19ème siècle – qui s’ouvre ici à une nouvelle dimension narrative, l’image et le texte faisant un tout, incomplet si l’un ou l’autre manquait. Mais ce qui a tant marqué les esprits – au point que « Prince Valiant » reste encore aujourd’hui un vrai et grand classique – est ce souffle prégnant et cette sensibilité mêlés qui engendrent une œuvre unique, très étrangement intimiste alors qu’elle s’inscrit dans la lignée des grandes sagas épiques. Il règne ici une atmosphère de grandeur et de tendresse qui prend encore plus de contraste avec la présence d’éléments fantastiques au sein d’un univers tendant vers le réalisme. « Prince Valiant » a bel et bien ouvert des voies notables au récit d’aventures en bande dessinée.

 

Début 1939, Prince Valiant (ou Val) a déjà pris ses marques dans la grande épopée envisagée par Foster. Les lecteurs ont découvert un jeune héros fougueux, idéaliste, sensible et frondeur qui rêve de grandeur et de justice. Mais le parcours est long, et dans ce deuxième tome, deux ans après ses débuts, Val devient enfin chevalier de la Table Ronde, adoubé par le roi Arthur après ses exploits lors d’un combat important contre une invasion saxonne. C’est aussi le moment où il aide son père (le roi de Thulé, déchu et en exil) à regagner son pays natal pour y reprendre sa place. C’est enfin une période où le jeune chevalier va devoir combattre à de nombreuses reprises les hordes des Huns qui envahissent l’Europe depuis quelques années. Le style de Foster s’affirme et s’épure souvent pour revenir à l’essentiel de l’expression, sans pour autant se schématiser : nombreuses sont les cases où l’on reste émerveillé devant tant de maestria de trait, d’à-plats, de hachures… De sublimes visions qui enchantent encore aujourd’hui. On retiendra bien sûr les moments fantastiques (qui ne débordent jamais sur l’action réaliste mais l’accompagnent sporadiquement avec bonheur), comme l’épisode du géant ou de la sorcière Morgane… Le dessin de Foster est fascinant de justesse réaliste et de précision dans la composition, et même si parfois certains propos semblent réellement d’un autre temps (pas celui du roi Arthur mais bien celui des États-Unis aux alentours de la seconde guerre mondiale), je défie quiconque en duel et à cheval de ne pas être séduit par cette œuvre forte et charmante qui constitue un spectacle enchanteur de chaque moment. Même si Val peut agacer, on le suit avec passion, et le style de Foster laisse béat d’admiration…

Cecil McKINLEY

« Prince Valiant » T2 (1939-1940) par Hal Foster Éditions Soleil (24,95€) – ISBN : 978-2-3020-2785-5

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12 réponses à « Prince Valiant » T2 (1939-1940) par Hal Foster

  1. dutrey jacques dit :

    Excellent commentaire didactique qui replace si besoin était Prince Valiant à sa place dans la bande dessinée. La dialectique texte-image est fort pédagogiquement développée, sans jargon ni pédanterie. Bel article.

    • Cecil McKinley dit :

      Merci, cher Jacques!
      Flatté je suis, soucieux d’écrire de toujours meilleurs articles je reste…
      Bien à vous,
      Cecil

  2. BARRE pascal dit :

    Une bande dessinée fascinante, en noir et blanc, le graphisme vous happe littéralement mais en couleurs c’est tout aussi formidable et je m’en vais de ce pas rejoindre mon fidèle destrier pour… Bon on a le droit de rêver non?
    En tout cas bravo encore aux éditions Soleil pour leurs rééditions en intégrale de toutes ces petites merveilles!

    • Cecil McKinley dit :

      Bonjour Pascal, merci de votre commentaire enflammé.
      En noir et blanc ou en couleurs, « Prince Valiant » est bel et bien une merveille, oui.
      Vivement la réédition chez Soleil de « Flash Gordon »…
      Bien à vous,

      Cecil

  3. dutrey jacques dit :

    Je me demande si elles sont semblables aux rééditions Fantagraphics…

    • Cecil McKinley dit :

      Re, Jacques.
      Oui, apparemment c’est bien l’adaptation française de l’édition de Fantagraphics.
      Bien à vous,
      Cecil

      • Gilles Ratier dit :

        Mes chers Jacques et Cecil,
        vous devriez lire mes articles sur un célèbre site (rires !!!) ! En effet, mon récent « Coin du patrimoine » sur Les grands classiques d’un certain « âge d’or » de la bande dessinée américaine… précise que : « Signalons, toutefois, qu’il s’agit là d’une édition véritablement chronologique, complètement retraduite, nettoyée au niveau des couleurs et agrémentée d’un dossier bien illustré réalisé par Brian M. Kane et d’une interview du dessinateur par Fred Schreiber : un habile mix de l’essentiel de l’édition américaine de Fantagraphics Books et du travail de reproduction d’un éditeur allemand, ceci afin de mettre encore mieux en valeur cette fabuleuse saga historique… » ; je tiens l’info de Jean Wacquet, le directeur de collection, lui-même, comme il en est également fait mention dans l’article ! Et voilà, il suffit de lire bdzoom.com et on a les réponses à toutes ses questions (re-rires) !!!
        La bise et l’amitié
        Gilles

        • Cecil McKinley dit :

          Hum… Je l’avais lu, ton article, en plus… Je dois être en état de démence précoce…
          Bise,
          Cecil

          • dutrey jacques dit :

            On cherche toujours la référence précise de cette mystérieuse « édition allemande » que je soupçonne d’être autrichienne…
            il y a eu aussi une belle édition portugaise en noir et blanc en 1999. La plus belle fut certainement celle de Manuscript Press, les trois premiers volumes reprenant les trois premières années, quasi en format de parution d’origine, en 1982-1993,hélas hors de prix.

          • Jean Wacquet dit :

            Hello Gilles,
            Désolé de cette réponse tardive mais j’ai enchainé vacances et déplacements. Concernant notre édition de Prince Valiant, c’est à la fois complexe et simple.
            Notre accord avec la King Features préconise que nous nous procurions le matériel de reproduction auprès de leur principal partenaire européen, un éditeur allemand qui a fait un très bon travail avec son intégrale de PV et qui poursuit actuellement avec le Tarzan de Foster. C’est un passionné qui a sourcé, scanné et nettoyé les fichiers du strip de Foster.
            Le travail de Fantagraphics est fabuleux et le rendu en effet différent, plus lumineux ; le tout étant rendu plus spectaculaire encore par le grand format pour lequel ils ont opté.
            Mais Fantasgraphics ne possédait pas toutes les pages et ont dû également se servir d’un certain nombre de scanners de l’éditeur allemand.
            Au final, pour des questions pratiques comme de coût, nous avons opté pour l’achat du matériel chez l’éditeur allemand.
            Voilà, tu sais tout !

            Bien à toi.
            Jean

  4. dutrey jacques dit :

    J’ai enfin trouvé le nom de ce mystérieux éditeur allemand : ACHIM WESSLER et sa maison d’édition est BOCOLA VERLAG.
    Si Bocola Verlag part des scans des pages imprimées originales, Fantagraphics part des bromures couleurs de l’imprimeur dont Harold Foster avait gardé une collection quasi complète et qu’il légua à l’université de Syracuse, qui envoya gentiment les scans à Fantagraphics.
    Tous ces renseignements proviennent d’un article précis et documenté du regretté Kim Thompson qui a supervisé le projet.

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