« Betty Boop »

Icône mondiale des années 1930, « Betty Boop » fut certainement la première femme dessinée à franchir les barrières de la pudibonderie ambiante et à afficher clairement sa sexualité !

Elle connut une carrière internationale dans le dessin animé, mais elle fut aussi l’héroïne de strips quotidiens et de sunday pages publiés dans les quotidiens américains, entre 1934 et 1936 (1) . Les éditions Vents d’Ouest nous propose, aujourd’hui, de découvrir (ou redécouvrir) cette bande, grâce à une intégrale de ses planches dominicales : un bel ouvrage matelassé, tout en couleurs, initiative éditoriale bien documentée préfacée par Alain David.

Joyeuse et malicieuse, avec ses grands yeux rêveurs et sa jarretelle bien en vue, la célèbre « Betty Boop » est d’abord apparue, le 9 août 1930, comme personnage secondaire anonyme dans « Dizzy Dishes » : un dessin animé qui faisait partie des « Talkartoon » réalisés par les studios américains des frères Dave et Max Fleisher. Cet épisode mettait surtout en vedette le chien Bimbo (Betty en était la petite amie et le faire-valoir), dont la renommée sera bien plus modeste. Donc, à ses débuts, alors qu’elle est dotée de longues oreilles tombantes mais qu’elle est déjà très féminine, celle que l’on nomme Nancy Lee ou Nan McGrew hésite entre une identité de chienne anthropomorphe et de jeune femme cabotine et délurée.

C’est seulement à partir du 12 août 1932 que Max Fleisher, que l’on considère aujourd’hui comme l’un des pères du dessin animé américain (pour avoir inventé une machine révolutionnaire : le rotoscope), la finalise humainement, avec l’aide des animateurs Grim Natwick et Ted Bear, dans une série à part entière, sous le nom de « Betty Boop ». Ces créateurs s’inspirent des longues jambes d’actrices célèbres à l’époque (comme Clara Bow ou Mae West) et du visage de la chanteuse Helen Kane (très populaire à la fin des années 1920) ; d’ailleurs, cette dernière fit un procès à la Paramount Pictures, le studio distributeur des cartoons des Fleisher, pour concurrence déloyale : elle demandait pas moins de 250 000 dollars de dédommagement, affirmant que « Betty Boop » lui avait volé ses fans ! Il est vrai qu’avec ses oreilles de caniche devenues des boucles d’oreilles cerceau, notre petite femme brune aguicheuse en jupe courte, et à la tête plus grosse que le corps, obtient un succès de plus en plus grand ; d’autant plus qu’on va bientôt la comparer régulièrement à l’actrice Marilyn Monroe, laquelle popularisera son fameux gloussement « poo-poo-pee-doo» avec la chanson « I wanna be loved by you » (dans le film « Certains l’aiment chaud ») : une reprise du « boop-boop-a-doop », leitmotiv d’un tube de la même Helen Kane précédemment évoquée.

C’est ainsi que « Betty Boop », reine du glamour sur celluloïd concédant son cœur à un homme différent à chaque aventure, devint un véritable sex-symbol et l’objet d’un important merchandising. Notre héroïne fit également beaucoup pour la célébrité du marin « Popeye » dans les années 1930 : car ce dernier avait fait une apparition dans l’un des dessins animés dont Betty était la vedette et où elle dansait seins nus, vêtue seulement d’un lei et d’une jupe en paille. Pour l’anecdote, sachez aussi que la principale voix de « Betty Boop » était celle de Mae Questal, qui fut également celle d’Olive Oyl dans le dessin animé « Popeye ».

Hélas, le code moral du bureau du sénateur Hays demande alors aux frères Fleisher de revoir l’image de « Betty Boop », qu’il juge trop sexy ; et le studio se voit obligé de donner un aspect plus sobre à la charmante starlette à l’air faussement innocente, en lui rallongeant ses robes ! C’est peut-être ce qui décida, finalement, Max Fleisher à suspendre la production des dessins animés de « Betty Boop » (en 1939), alors que son héroïne était devenue moins impertinente et, de cause à effet, moins populaire ; d’ailleurs, dans son dernier épisode, « Betty Boop », fagotée avec un habit informe, était complètement méconnaissable.

Comme c’était souvent le cas à l’époque (et même encore maintenant : il suffit de voir le succès des albums des « Simpson » pour se rendre compte que c’est toujours rentable), une bande dessinée a prolongé ses aventures animées : elle y devient carrément comédienne, nous montrant ainsi l’envers des décors Hollywoodiens. Cependant, ce strip quotidien, pourtant crédité abusivement à Max Fleisher, ne rencontra pas le succès escompté : il parut seulement du 23 juillet 1934 au 23 mars1935, alors que les pages dominicales furent publiées du 24 novembre 1935 au 29 novembre 1936. Signalons qu’outre les sunday pages, l’album qui vient de sortir chez Vents d’Ouest contient également quatre pages de gags signées Max Fleisher et qui mettent en scène « Koko the Klown », le premier héros (surgissant d’un encrier) des dessins animés de ce studio, et deux pages intitulées « The Original Boop-Boop-a-Doop Girl » où apparaît, non pas « Betty Boop », mais la chanteuse et actrice Helen Kane !!!

Ainsi que le précisait le regretté Jean-Claude Glasser dans sa préface très érudite à la première édition française en album de cette sympathique bande (dans la mythique collection « Copyright » chez Futuropolis, en janvier1983) : « Betty Boop by Max Fleisher ! La formule peut en évoquer d’autres, antérieures comme Felix the Cat by Pat Sullivan, Mickey Mouse by Walt Disney ou postérieures comme Bugs Bunny by Leon Schlesinger. À chaque fois, un responsable de studios d’animation était censé être l’auteur de comic strips adaptant un personnage issu des dessins animés. À chaque fois, bien entendu, une telle attribution était pour le moins abusive. S’agissant de « Betty Boop », son vrai « père » fut, aux studios Fleisher, l’animateur Grim Natwick, mais celui qui, au King Features Syndicate, en fit une éphémère « actrice » de la page des comics s’appelait Bud Counihan. »

Ce grand spécialiste des premières années des comics (voir son inégalé « Funnies » chez Futuropolis, ouvrage de référence devenu hélas introuvable aujourd’hui) nous apprend ensuite que David Francis Counihan(dit Bud) était originaire de Saint-Louis dans le Missouri, qu’il s’installa à New York dans les années 1910 et qu’il fut un collaborateur du New York World : journal pour lequel il créa la série « Little Napoleon » qui prit fin au début des années 1930.

Mais la spécialité de cet Irlandais d’origine (2), un bon vivant aussi affable qu’impulsif, était d’exercer le métier de « ghost artist », c’est-à-dire de nègre (littéralement « artiste fantôme ») pour les dessinateurs du King Features Syndicate ! Ainsi, faillit-il devenir le dessinateur de « Little Annie Rooney » d’après le film avec Mary Pickford, ceci bien avant la série au titre analogue mais sans rapport avec le long-métrage en question, et devint-il l’assistant de Chic Young (le dessinateur de « Blondie »), en 1930, sur le strip « Dumb Dora » (1924-1935), dessinant décors et personnages secondaires de cette bande dont le personnage principal, une jeune femme émancipée, était une préfiguration de « Betty Boop ».

Qu’il fut choisi par le King Features Syndicate pour illustrer la bande dessinée mettant en scène notre jeune starlette capricieuse jouant les vamps n’a, alors, rien d’étonnant ! Á noter toutefois, et cela se sait peu, que Bud Counihan était régulièrement assisté par Hal Seeger, l’un des membres du staff Fleischer… En France, le strip de « Betty Boop » parut d’abord en 1936 dans Les Belles Images (sous le titre « Betty Star ») puis, bien plus tard (en 1971), dans Charlie Mensuel (treize pages piochées, ça et là, dans les strips et dans les sunday pages) et, bien sûr, dans l’album Futuropolis (qui proposait les pages du dimanche en noir et blanc).

Signalons aussi que, comme toutes les vedettes des Funnies, « Betty Boop » fut l’une des cibles des « Tijuana Bibles » (ou « Dirty Comics », ou encore, du fait de leur pagination, « Eight Pagers ») qui parodiaient les héros et les acteurs de l’époque dans des bandes franchement pornographiques, comme on peut le constater avec l’extrait (qui doit dater de la fin des années 1930) que nous a retrouvé l’historien Patrick Gaumer. Ces pages étaient réunies dans des petits livres souvent très mal réalisés et imprimés, et qui étaient distribués dans la clandestinité. Dans le même genre, le spécialiste Henri Filippini signale également (dans son « Dictionnaire encyclopédique des héros et auteurs de BD » en trois volumes chez Bordas) une parodie réussie due à l’Italien Sesar, dans le magazine Glamour (en 1985)…

Enfin, en 1984, le King Features Syndicate tenta de redonner vie à notre pin-up en bandes dessinées, flanquée d’une autre icône du dessin animé (« Félix le chat »), dans « Betty Boop and Felix » : ceci grâce aux crayons de Morgan, Neal, Brian et Greg Walker : les fils de Mort Walker (voir le « Coin du patrimoine » que nous avons consacré à cet immense dessinateur américain : http://bdzoom.com/spip.php?article3915). Mais, là encore, faute de succès, cette série disparaîtra des quotidiens, le 31 janvier1988 !

Cependant, aujourd’hui, « Betty Boop » continue pourtant d’hanter le monde de la bande dessinée avec, il semblerait, beaucoup plus de succès que naguère, par l’entremise des « Péchés mignons » du dessinateur Arthur de Pins (chez Fluide Glacial) : en effet, son graphisme glamour et les courbes potelées de ses petits personnages féminins doivent évidemment beaucoup aux formes provocantes de notre poupée sexy des années trente ! ! !

Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes

(1) Il suffit de visiter le site http://www.bettyboop.com pour se rendre compte de la notoriété toujours bien vivace de cette mignonne demoiselle, dont le premier métier fut chanteuse de cabaret…

(2) Toujours pour l’anecdote, l’actrice et modèle Anita Colby (surtout connue aux USA, dans les années 1950, pour son rôle dans la série télévisée « Pepsi-Cola Playhouse ») n’était autre que la fille de Bud Counihan.

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2 réponses à « Betty Boop »

  1. LLT dit :

    Merci de cet excellent article que j’ai indiqué sur mon blog. Toutefois je vous signale que Betty porte une « jarretière » et non une « jarretelle ». Même si ça se porte au même endroit, les deux accessoires ont une forme différente :-)

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