COMIC BOOK HEBDO n°87 (05/09/2009)

Cette semaine, Comic Book Hebdo fait sa rentrée? Pas de critiques d’ouvrages, mais une petite réflexion sur l’évolution de ces grands bouleversements qui ponctuent de plus en plus régulièrement l’univers des super-héros.

BAH ILS SONT DEVENUS FOUS, OU QUOI ?

C’est la question qu’on peut se poser au vu de l’accélération du phénomène, surtout chez Marvel (mais DC semble ne pas vouloir être en reste). De quoi parlé-je ? Eh bien de ces grands événements annoncés avec sensationnalisme dans une mise en scène éditoriale prompte à nous donner à la fois l’eau à la bouche et le grand frisson. « Comment donc ? Après ce qui va arriver plus rien ne sera jamais pareil ? Une vraie tempête, une révolution, un raz-de-marée, bref, le grand chambardement ? Waouh ! » Oui et non. Oui, car c’est vrai que ça déménage dur et que tout ça est assez excitant (malgré mon ton un peu critique, j’avoue être assez fan de la chose, même si cela me pose réellement question). Non, parce qu’en laissant passer un peu de temps, on s’aperçoit que les choses sont récupérées par des astuces qui rétablissent le tir tout en ne démentant pas ce qui s’est passé sur le papier auparavant, mais en l’expliquant. Mais le lectorat pourrait bien se lasser de cette accélération incroyable de coups de théâtre à grande échelle, banalisant le sensationnel par sa récurrence éditoriale programmée et risquant d’enlever tout crédit à la véracité ou la réelle importance de ce qu’on lit. Exciting ?
Vous me direz, le phénomène n’est pas nouveau… Cela fait même partie du jeu, et ni les éditeurs ni les lecteurs ne sont dupes, en en jouissant comme de grands enfants. Mais, en tant que grabataire à l’aube de la quarantaine, je me souviens d’un temps où ce genre d’événements globalisants et révolutionnaires étaient réellement des événements, en ce sens où ils étaient rares et n’avaient pas de régularité éditoriale, survenant au bout d’une longue période de la vie des héros pour exploser en un acmé historique ou bien bouleverser le destin des personnages de manière durable – afin de sortir d’un cycle pour donner un nouveau départ, une grande direction, à nos idoles de papier, et, techniquement, inaugurer un nouveau volume pour un titre. Mais tout cela restait exceptionnel, inscrit dans un long terme éditorial, évolution « normale » des choses. La rareté de ces événements en donnait toute l’importance, on s’y arrêtait, on en frémissait de peur et de plaisir, ça secouait et c’était bon.

Le phénomène a émerger de manière significative dans les années 80. Chez Marvel, il y eut les Guerres secrètes, où le Beyonder envoya une vingtaine de super-héros combattre une douzaine de super-vilains dans l’espace. Premier crossover de grande envergure pour Marvel, il fait bien pâle figure aujourd’hui, face au nombre croissant de personnages impliqués et aux répercussions engendrées… Malgré tout, cet événement a eu des conséquences durables sur l’univers Marvel, et notamment pour certains héros dont Spider-Man, avec l’avènement de Venom. Beaucoup plus costaud, toujours au milieu des années 80, il y eut Crisis on infinite Earths chez DC, où ce ne furent pas les super-héros qui furent directement révolutionnés, mais carrément la logique et la cohérence de l’univers DC lui-même, fondant deux réalités éditoriales et artistiques en une !!! Là aussi, les répercussions furent durables, puisque cela permit une remise à plat générale de la chronologie DC et de ses personnages, revenant en écho jusqu’à aujourd’hui par des cycles tels qu’Infinite Crisis ou Final Crisis (à quand Infinite Final Crisis on Final Earths of Crisis ?). Dans les années 90, il y eut comme autres événements la mort de Superman, la saga du Clone pour Spider-Man, par exemple, car il n’est pas question ici que de crossovers (d’ailleurs, cette notion de crossover a été obligée d’évoluer avec le temps et cette évolution, désignant maintenant un événement global impliquant plusieurs personnages ou bien tout l’univers concerné sans qu’il y ait forcément interaction directe ou rencontres entre tous les personnages). De même, la mort de Jean Grey ou celle de Captain Marvel ont marqué les esprits comme jamais, déclenchant des passions et des indignations rocambolesques et tenaces. Aujourd’hui, tout semble plus spectaculaire, plus définitif, à la limite, complètement dingue, mais à force de surenchérir dans le spectaculaire de plus en plus fréquemment – en sachant qu’à plus ou moins long terme cela se révèlera comme ayant été un chausse-trape –, on risque de ne plus y croire…

Cela n’enlève en rien l’intérêt d’une série comme Civil War, qui permit en plus un rapprochement singulier digne de Vertigo avec la réalité de notre monde contemporain (contexte post 11 septembre oblige). Mais tout de même… La mort de Captain America a traumatisé tout le monde, et pourtant on se disait bien que ça ne pourrait pas être tenable, que Cap est trop emblématique pour Marvel pour qu’il disparaisse ainsi… Eh bien le retour est de retour, avec la mini série Captain America : Reborn qui paraît depuis cet été aux États-Unis sous l’égide d’Ed Brubaker et Bryan Hitch… Et le cycle Secret Invasion a ajouté au trouble en semant le doute quant à l’identité de la personne qui est morte sous les traits de Steve Rogers… Chez DC, l’hiver dernier on a décidé de flingué ce vieux tromblon de Bruce Wayne. Stupeur. Mais Batman n’était pas encore tiède qu’on savait déjà qu’il allait être remplacé quelques mois plus tard alors qu’on nous avait brandi le spectre de l’arrêt total de la série. Mon dieu, Peter parker a enfin dévoilé sa véritable identité pendant Civil War, et le tabou absolu de l’identité secrète de Spider-Man a explosé en éclats, avec comme conséquence un autre tabou extrême, la mort de Tante May ! Aïe aïe aïe aïe ! Heureusement, Zorro est arrivé. Et bang !, grâce à Mephisto, tout le passé de Spider-Man a été effacé, plus personne ne se souvient de rien, pas même lui, depuis One More Day, signé Straczynski et Quesada. Seul sacrifice : le mariage de Peter avec Mary Jane. Un prix modique à payer, puisque ces deux-là ont maintenant tout le temps de se remarier… On pourrait accumuler les exemples, mais il vaut mieux se poser la question de savoir si tous ces chambardements rétablis par la suite sont réellement nécessaires en l’état, et si la pertinence du propos engendre une vraie richesse et une évolution intéressante, profonde, viable, à ces univers. Il ne suffit pas de tout casser pour voir ce que ça fait et de se jeter dans le flot de l’incertitude contrôlée, mais bien d’établir une cohérence ouverte, un contexte apte à générer une amplitude de fond assez profonde pour en faire un terreau intéressant dans l’avenir, contenant en soi de réels potentiels inhérents à la qualité de la création. Je ne dis pas que ce n’est plus le cas, il y a de belles idées qui émergent, comme les Marvel Zombies, ou Civil War, mais il n’est pas non plus question que de nature, mais de rythme, aussi…

Car le temps entre les sagas ne cesse de se raccourcir, et l’on se demande si les rédacteurs prennent vraiment le temps nécessaire pour explorer et exploiter jusqu’au bout de leurs possibilités les contextes qu’ils installent. Le dernier événement en date qui avait – me semble-t-il – pris un peu le temps d’exister, fut House of M, avec ses répercussions dans Decimation, et ce qu’a dû affronter depuis la communauté mutante. Mais on aurait encore pu aller plus loin dans le temps à y consacrer. Puis il y eut Civil War, avec sa fille The Initiative, et depuis, les choses se sont emballées. World War Hulk, Secret Invasion, et maintenant Dark Reign : les révolutions s’installent annuellement, bien huilées, comme une nouvelle habitude éditoriale, et il ne nous suffit alors plus qu’à nous demander quelle sera la date exacte du prochain truc dingue annoncé en sous-jacence… Beaucoup partagent cette évidence : une idée aussi géniale que celle de Civil War aurait valu bien plus qu’une mini série. Cela aurait dû être une vraie grande et belle maxi série, vu la qualité du propos et la dimension politique et éthique qu’elle apportait ! Oui, il y avait de quoi dire… La série Front Line fut sur ce point l’une des plus brillantes, mais elle-même aurait mérité d’avoir plus de temps pour exprimer tout ce qu’elle avait à donner. 7 numéros pour la série régulière Civil War, c’est beaucoup trop peu. Oui, il y avait vraiment de quoi décortiquer. Que The Initiative vienne juste après, rien de plus normal, mais là aussi on aurait aimé plus de développement… En clair : on aurait encore pu attendre un peu avant que Hulk ne revienne tout péter sur notre planète maudite, et encore plus de temps avant que l’invasion secrète des Skrulls se révèle à nous… « Tout va trop vite, n’allez donc pas si vite ! »

En fait, ce qui me gêne alors que je suis le premier à m’enflammer et à bassiner tout le monde avec ma passion pour Civil War, par exemple, c’est que cette accélération du temps et ces événements programmés, ces morts de héros qui n’en sont pas, finissent par casser quelque chose de ténu, de fragile, d’impalpable, d’abstrait, mais de primordial : l’intérêt et le respect des œuvres et des lecteurs. Nous n’avons plus le temps de goûter et d’apprécier en un temps raisonnable les évolutions des comics. Nous sommes balancés de cataclysmes en cataclysmes sans avoir le temps de nous retourner, d’en tirer toute la substantifique moelle… Alors plus qu’un coup de gueule, c’est plutôt un regret, mais aussi un souhait, qui se fait jour chez beaucoup de fans, notamment à l’adresse de Joe Quesada : Joe, depuis que t’es arrivé c’est vraiment chouette, t’as permis à Marvel d’évoluer de belle manière, avec courage et inventivité, t’as insufflé une énergie et une imagination qui sont souvent allé au-delà de ce qu’on aurait pu espérer… mais vraiment, ne t’emballe donc pas ainsi, prends le temps, profite et jouis de ce que tu fais, en plus tu le fais bien. Allez, quoi… Faites-nous rêver, les mecs, éloignez-vous des calendriers économiques et du formatage de la mouvance éphémère, car le rêve n’est beau que s’il est libre…

Cecil McKINLEY

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