« Last Man » par Mickaël Sanlaville, Balak et Bastien Vivès

Bastien Vivès est entré dans le cercle fermé des grands auteurs de BD avec « Polina » (Grand Prix de la Critique 2012 – ACBD) : un pavé de 200 pages en noir et blanc, au trait fin et dépouillé. Très éloigné de ce qui se faisait alors en franco-belge, il a su imposer son style novateur grâce à une maîtrise, exceptionnelle, du mouvement. Ses personnages construits très simplement explosent dans la page. Ils volent, virevoltent, se meuvent avec une élégance qui subjugue le lecteur. Dans « Last Man », ce n’est plus de la danse, mais du combat. Et là encore, la chorégraphie semble tirée à quatre épingles.

« Last Man » est un projet atypique. Bastien Vivès explique sa genèse comme une simple boutade entre amis un soir d’ivresse : « et si on faisait un manga ! ». Bien sûr, étant français, travaillant en France et publiant des albums la plupart du temps cartonnés , il fallait être radical. Arriver à changer certains acquis pour publier une vraie BD franco-belge, en adoptant les méthodes de travail japonaises : ce qu’aucun éditeur n’avait, jusqu’à présent, réussi à faire accepter aux lecteurs de mangas purs et durs. Les précédents essais, dessinés par des Européens, s’attachaient principalement à trouver une ressemblance graphique avec les originaux japonais. Ici, ce trio de dessinateurs a réussi à imposer son propre style graphique. En revanche, ils ont opté pour une dynamique de narration à la japonaise, découpée en chapitre et ,surtout, proposant une succession de combats entrecoupés d’une pointe d’humour et de vie quotidienne.

Au final, le challenge est de réaliser 600 pages par an avec un véritable studio de créateurs. Chacun apportant sa pierre à l’édifice, sans qu’aucune tâche ne soit officiellement définie. Balak vient du monde du story-board d’animation. Michaël Sanlaville est, pour sa part, illustrateur et Bastien Vivès est un auteur à succès dans le milieu de la bande dessinée. Le trio ne veut pas dévoiler, qui écrit le scénario, qui fait le découpage, le dessin, la mise en couleurs ou autres tâches obligatoires. Si Michaël Sanlaville est crédité en tant que dessinateur principal, il est indéniable que Bastien Vivès porte ce livre à bout de bras en lui imposant sa pâte si caractéristique. Un dessin plein d’émotion composée d’un minimum de trait, un humour légèrement décalé, voire même surréaliste par moment. C’est très similaire à ce qu’il a déjà raconté dans ses recueils d’histoires courtes parus dans la collection « Shampoing » (« La Famille », « Les Jeux vidéo », « L’Amour », etc.). Le dessin en est extrêmement proche, jeté et dégageant une spontanéité proche du croquis. Pour ce livre, ses personnages sont un peu plus typés. On est loin de ses débuts graphiques avec des albums comme « Elle » ou « Le Goût du chlore ». Les ombres, symbolisées avec un gros trait de marqueur contraste avec les traits fins qui taillent la silhouette des personnages. Ce qu’il est aussi intéressant de constater, c’est que tout ce travail n’existe pas physiquement. Tout se passe sur tablette graphique. Plus besoin de scanner des planches. Le dessin est directement dans l’ordinateur, les trois créateurs peuvent ainsi travailler simultanément sur une même page et tout assembler à la fin.  Un gain de temps considérable. Il en ressort un album très dynamique et beaucoup moins contemplatif que ce que réalise Vivés lorsqu’il travaille seul.

Il est intéressant de voir que l’éditeur, Casterman, croit sincèrement en ce projet. Le premier tome est sorti dans une édition classique, format manga à un prix abordable de 12 €, mais également dans une édition plus luxueuse, couverture cartonnée et encre métallique à 18 €. Le premier tirage global est de 30 000 exemplaires.
Didier Borg, éditeur chez KSTR, le label innovant du vénérable éditeur Casterman explique que « « Lastman  » est le premier produit d’une nouvelle génération qui se nourrit de toutes les influences. Il mélange l’énergie du manga japonais et du comics américain, tout en respectant les codes scénaristiques de la BD franco-belge. Les héros ne portent pas de cape et n’ont pas de super-pouvoirs ». En effet, plus qu’une bande dessinée innovante, ce trio de jeunes auteurs à de grandes ambitions avec leur projet. En plus de la prépublication sur internet, un jeu vidéo est déjà en chantier pour 2014. Tout comme une série d’animation est envisagée, si le succès est au rendez-vous.

Mais au fait, de quoi parle cette bande dessinée ? Tous les ans, dans un royaume où le temps semble s’être arrêté au Moyen Âge, est organisé un tournoi en équipe. Le jeune Adrian espère gagner la coupe d’or, ainsi que la récompense et la gloire qui va avec. Élevé seul par sa mère qui ne roule pas sur l’or, elle aurait bien besoin d’un coup de pouce. Malheureusement, son partenaire, étrangement malade, déclare forfait. Là-dessus, surgit d’on ne sait où, Richard Aldana : un grand gaillard en quête d’un coéquipier pour s’inscrire au tournoi. Le hasard faisant bien les choses, leur route va se croiser. Un peu rustre, Richard utilise des méthodes de combat peu orthodoxes, mais somme toute efficaces. Adrian de son côté est assez chétif, mais lui, il connaît les règles du tournoi par coeur. Du coup, cette association hors-norme d’un David et d’un Goliath semble prometteuse.

Comme on le voit, les codes « manga » sont bien assimilés : le jeune chétif qui doit apprendre à côté d’un mentor plus expérimenté, la transmission et le partage du savoir – des valeurs humaines qui guident les actes des héros, un tournoi ancestral permettant de s’affronter de manière rituelle et codifiée, une belle jeune femme dont le coeur est à prendre, un lieu magique où se côtoient des humains sortis d’une autre époque, des dinosaures bien dociles et bien d’autres bestioles mythologiques… Au final, « Last Man » est révélateur des lectures de ce trio d’une trentaine d’années, élevé à grand renfort de dessins animés d’aventure, de jeux vidéo et de films d’action. Les lecteurs du même âge (ou légèrement plus vieux) reconnaîtront bien vite les quelques clichés glissés ici et là. Même les frères Bogdanoff (« Temps X ») se sont invités comme premier adversaire du duo Adrian/Aldana.

Essayant d’innover au maximum, ce n’est pas seulement un extrait de l’oeuvre qui est publiée sur internet. Chaque chapitre est, ou sera disponible sur le site Delitoon. Depuis janvier 2013, ce sont plus de 100 000 chapitres qui ont été lus en ligne. Néanmoins, Didier Borg garde les pieds sur terre : « Le numérique contribue à élargir l’audience, mais l’équilibre économique repose sur la vente d’albums papier » fait-il remarquer judicieusement. Et c’est vrai que ce n’est pas du tout la même expérience. La lecture est beaucoup moins fluide sur ordinateur, et le papier garde pour lui une mise en valeur de l’oeuvre que l’on ne retrouve pas sur un écran. C’est d’autant plus vrai sur les premières pages en couleurs. Une fois imprimées, les teintes sont moins criardes, moins agressives, plus sobres et agréables. Le trait fin des auteurs ressort magnifié sur la feuille moins blanche et donc moins lumineuse qu’un écran LCD. Et puis, sur ordinateur, impossible d’avoir la série d’autocollants encartée dans l’album. Un petit plus qui devrait décider le lecteur à sauter le pas, et finalement acheter le livre. Surtout que l’édition numérique n’est pas encore rendue à la fin du premier tome, alors que le second est déjà annoncé chez les libraires. Le web est surtout là pour fidéliser le lecteur et faire découvrir l’oeuvre à une audience qui ne semble pas forcément acquise.

Il faudra vraisemblablement attendre le second, voire le troisième tome, pour commencer à tirer des conclusions sur cette aventure éditoriale. Quoi qu’il en soit, le pari semble réussi dès le premier volume, du moins en ce qui nous concerne. L’histoire est prenante, surprenante et entraînante. Attendons de voir si le public est également conquis.

Gwenaël JACQUET

« Last Man » par Mickaël Sanlaville, Balak et Bastien Vivès
Éditions Casterman, label « KSTR » (12,50 €) – ISBN : 2203047739

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7 réponses à « Last Man » par Mickaël Sanlaville, Balak et Bastien Vivès

  1. Fanfan dit :

    Eh mais on dirait qu’il a copier sur Fausse Garde, l’album de son pote Merwan.
    Je suis étonné que celui-ci ne travail pas dessus?

  2. BARRE pascal dit :

    « fausse garde »? C’est cette histoire qui parle d’un gars doué pour les arts martiaux qui se passe dans un pays plus ou moins imaginaire, avec de très belles couleurs et un dessin dynamique et détaillé?
    Si c’est çà, vous avez raison « fanfan », « last man » s’en inspire beaucoup…
    De toute façon, et là je vais faire ma « jalouse » un petit coup (quoique je ne suis pas dessinateur alors je sais camenbert mais bon quand même) je trouve qu’on en fait un petit peu trop sur Vivès, il a tous les talents, regardez moi ce dessin, patati, patata… Le nouveau Dieu de la bd gnagnagna…
    On sait que la matrice a besoin de sang frais et neuf et de nouvelles têtes mais calmons nous un peu et laissons faire le temps pour bien patiner l’oeuvre non?
    Allez au suivant!…

  3. Fanfan dit :

    Ouf! Je ne suis pas le seul à avoir envie de passer à autre chose.
    Les médias nous le vendent comme un petit génie surproductif capable de passer du coq à l’âne en un claquement de doigt.
    Au final, on se retrouve avec des produits de plus en plus commerciaux avec renforts de stickers pour la cours de récrée, d’édition limitée pour collectionneur avec un pack jeu vidéo et série animée comprise.
    On glisse sans problème de la case auteur à la case baston et gros seins et ça passe tout seul.
    En plus quand le petit génie copie sur son voisin de table, c’est vraiment pas jolie.
    Enfin moi je ne suis ni scénariste ni dessinateur et je suis bien content de voir que je ne suis pas le seul à voir la supercherie.

  4. Digard Arnaud dit :

    Boh je trouve que vous en fait un peu beaucoup, s’ils travaillent dans le même atelier on comprend qu’ils s’influencent, ce n’est pas de la copie c’est comme une suite, non?
    Enfin je n’ai pour l’instant lu ni l’un ni l’autre, je vais jeter un Å“il.

  5. GR dit :

    Je dois avouer que, si j’apprécie Vivès et que j’ai bien aimé lire en ligne les premières planches de Lastman, je ne comprends pas du tout la stratégie éditoriale. Ils ne se rendent pas compte que 12,5€ c’est cher pour un album qui se lit en fait très vite ? 8€ aurait été le grand maximum pour se réclamer du manga…

  6. elrico dit :

    on peut bugger sur la « forme » c’est une question de goût , pour autant , sur le découpage, c’est impec.
    J’avoue que certains vides dans le dessins font parfois un peu « style » et deviennent vite un manièrisme qui atteint sa limite.
    Mais le découpage et la fluidité donne tout son sens à ce travail d’auteurs de BD. Y a un petit « repentir » de Corto Maltese dans le héros non ? pas désagréable.
    En dessin tout n’est qu’intention et energie. là, il y a les deux donc « impec »

  7. Ping : Lastman de Balak, Michaël Sanlaville & Bastien Vivès – KSTR | Capitale Bande Dessinée

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