Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
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Notre sélection de la semaine : ? Trouille ? par Joe G. Pinelli et Jean-Hugues Oppel [d'après Marc Behm], ? Á bord de l’Étoile Matutine ? par Riff Reb’s [d'après Pierre Mac Orlan] et ? Les Sentinelles T.2 : Septembre 1914 La Marne ? par Enrique Breccia et Xavier Dorison.
- ? Trouille ? par Joe G. Pinelli et Jean-Hugues Oppel d’après Marc BehmEditions Casterman (17 Euros)
Au cinéma, plus d’un film sur deux est l’adaptation d’une œuvre littéraire, et personne ne s’en plaint ! Au contraire, cela peut permettre une mise en avant des auteurs d’origine : c’est d’ailleurs ce qui s’est passé pour Marc Behm, écrivain américain installé en France et décédé en 2007, responsable de « Trouille », qui est surtout connu, chez nous, pour l’adaptation au grand écran de sa « Mortelle randonnée » par Claude Miller. Par contre, en bandes dessinées, on crie tout de suite au manque d’imagination et au plagiat… Pourtant, la collection « Rivages/Casterman/Noir » (mais on pourrait citer aussi « Ex-libris » chez Delcourt ou « Noctambule » chez Soleil), dirigée par Matz et François Guérif, fait preuve, ouvrage après ouvrage, d’une constante qualité narrative ou picturale, autant dans le choix des œuvres que des auteurs ou des adaptateurs ; et ce nouvel opus ne déroge pas à la règle de cette collection qui produit peu d’albums par an, mais que du bon : jetez un coup d’œil, par exemple, à « Shutter Island » vu par De Metter, « Pauvres zhéros » par Baru ou « Nuit de fureur » par Hyman et Matz ! Ici, l’écrivain Jean-Hugues Oppel, allié au graphiste Joe G. Pinelli, s’est attaqué à cette vaine fuite éperdue devant l’inexorable que constitue ce roman situé entre fantastique et polar… Joe Egan est un type bizarre. Sympathique mais complètement affolé. Il passe sa vie à sauter dans des bus et des avions, perdre et gagner au poker, quitter les femmes qu’il aime. Bref, il se conduit comme un parfait cinglé ou comme quelqu’un qui aurait tout simplement la trouille. Bien sûr, il y a cette femme qui le suit partout depuis des années. Mais qui, à part Joe Egan, va croire que la mort existe, qu’elle est blonde et qu’elle est vêtue de noir ? De cette œuvre psychologique, aussi noire que complexe, Oppel n’a gardé que des bribes justement placées au cœur d’un unique dessin dans lequel fusionnent différentes scènes : quelques sobres dialogues ou voix-off sublimés par les superbes dessins de Pinelli (allié, pour l’occasion, au coloriste Sébastien G. Orsini).
- ? Á bord de l’Étoile Matutine ? par Riff Reb’s d’après Pierre Mac Orlan- Editions Noctambule Soleil (17,95 Euros)
Avait-on vraiment besoin d’une nouvelle collection d’adaptations littéraires en bandes dessinées ? En regardant ce premier volume de « Noctambule », nouveau label dirigé par Clotilde Vu, on ne peut que hocher la tête de façon affirmative ! Le format destiné à accueillir des romans graphiques et la couverture cartonnée (lesquels font beaucoup penser aux publications du nouveau Futuropolis), ainsi que le fait de privilégier les « one shot » (ce qui amplifie l’impression que l’on tient vraiment un livre entre les mains), plaident, d’emblée, en faveur de cette tentative que certains pourraient trouver inutile dans un marché déjà bien encombré. Comme, en plus, le choix des œuvres à adapter est assez original (Pierre Mac Orlan, par exemple, n’avait pas encore eu l’honneur d’être mis en bulles et en cases, alors que son roman se révèle d’une étonnante modernité) et que les auteurs pressentis (après Riff Reb’s, c’est Cromwell qui s’y colle, suivi par Pierre Alary et Olivier Jouvray, Marc Lizano ou Claire Wendling) amènent un ton un peu rock’n'roll à l’ensemble, on ne peut que se réjouir du résultat. Cette aventure historique et maritime (initialement publié en 1920, puis régulièrement augmenté de chapitres supplémentaires jusqu’en 1934) n’a rien d’une histoire de pirate classique au XVIIIème siècle car elle privilégie les temps morts à l’action. Le héros est un vieil homme qui, au soir de sa vie, prend la plume pour évoquer les souvenirs que lui ont laissés ses tribulations aux côtés du redoutable Georges Merry, capitaine de L’Étoile Matutine : devenant ainsi le narrateur de ce récit psychologique et humaniste. La voix off de ce coquin de flibustier arrive alors à nous happer totalement quand il nous conte les relations entre ces hommes qui vivent constamment ensemble, en étant mal nourris et confrontés en permanence à la violence. Et, pour parachever le tout, cette vision réaliste de la piraterie, transcendée par des dialogues économes, un superbe trait dynamique et une somptueuse bichromie qui rythment parfaitement les différentes ambiances, ne dédaigne pas flirter avec le fantastique : ainsi nous ne nous étonnons absolument pas de l’intégration de fantômes qui viennent hanter le naufrageur ou de chanteuses envoûtantes qui, telles les sirènes, charme les boucaniers, au point de leur faire, vraiment, perdre la tête…
- ? Les Sentinelles T.2 : Septembre 1914 La Marne ? par Enrique Breccia et Xavier Dorison – Editions Delcourt (14,95 Euros)
Les éditions Delcourt ont récupéré une bonne partie du fonds Robert Laffont BD qui était dirigé par Marya Smirnoff (dont « Les Sentinelles » qui en était l’un de leurs plus beaux fleurons) : cette dernière restant d’ailleurs directrice littéraire des séries qu’elle a permis de faire éclore au sein de l’éditeur le plus éclectique du moment. Á l’origine, ce « Robocop » de la Première Guerre Mondiale est né d’une proposition de la part des éditions américaines Marvel, à Xavier Dorison, consistant en l’écriture d’une histoire originale avec l’un de leurs super-héros. Le scénariste du « Troisième testament » et de « W.E.S.T » leur avait proposé une aventure d’« Iron Man » qui se serait passée en 1917. Malheureusement, la Marvel a abandonné ses collaborations avec des auteurs européens, mais le concept de mélanger le mythe du super-héros à l’époque de la guerre de 14-18 n’a pas quitté d’alimenter les pensées de l’esprit fertile de ce scénariste bien en vue. Marya Smirnoff lui ayant soumis des dessins du fils d’Alberto Breccia, le célèbre auteur argentin, Xavier Dorison a tout de suite été emballé par ce graphisme latin, à la fois réaliste et caricatural, qui colle parfaitement à l’authenticité de son scénario très documenté, lequel introduit pourtant une pointe de fantastique dans un contexte historique bien particulier. Au milieu de cette boucherie, certains gradés tentent de redonner vie à un projet de super-soldats en usant de tous les moyens, malgré la raillerie de ses supérieurs. Détruisant le séduisant et généreux inventeur d’une pile au radium indispensable à sa terrifiante créature, un militaire fou va utiliser le corps mutilé pour lui greffer des membres métalliques qui vont le rendre invincible…C’est ainsi que le lieutenant Féraud, devenu le cyborg de guerre Taillefer, accomplit sa première mission au sein d’une armée française en déroute. Comme dans le dernier « W.E.S.T », le talentueux scénariste tend vers un peu plus de simplicité et de linéarité, tout en continuant à traiter ses thèmes de prédilection sans concession ; et, du coup, il nous révèle toute l’étendue de sa maîtrise des techniques de narration.
Gilles RATIER