Les drôles de dames de Denis Sire…

Nous venons d’apprendre le décès de Denis Sire, né le 4 septembre 1953. En hommage à ce magnifique illustrateur, nous republions cette longue interview patrimoniale réalisée il y a 5 ans par Jean Depelley.

Denis Sire

Denis Sire commence sa carrière dans Métal hurlant n°13 (janvier 77) avec « Menace diabolique ». Son style rétro, mêlant le space-opera au charme de ses créatures féminines, a rapidement trouvé un public au sein du magazine. Avec la série « Bois Willys », résolument tournée vers le bondage et l’érotisme façon John Willie, l’auteur introduit le personnage de Bettie : première réelle incarnation, en bande dessinée, du modèle Bettie Page. Par la suite, il alternera ses séries régulières avec de courtes histoires plus axées sur le rock et les motos dont il est passionné, jusqu’à la disparition de la revue. Aujourd’hui, Denis Sire fait de l’illustration pour le magazine Moto Revue Classic. Cette interview a été conduite par téléphone le 26 avril 2002. Un grand merci à Frédéric Manzano pour avoir permis ce contact et, bien sûr, à Denis Sire pour son sympathique accueil.

bdzoom.com : Quelle est votre formation artistique ?

Denis Sire : J’étais autodidacte avant, puis en 1970, je suis entré aux Arts Appliqués et j’en suis ressorti en 1976.

bdzoom.com : Comme Margerin… Est-ce là que vous l’avez connu ?

Denis Sire : Oui, oui. C’était très souple, très cool… On dessinait tout le temps. Et pendant les deux années supérieures, j’ai travaillé la couleur et découvert la mixité !

Denis Sire in Métal hurlant 81bis.

Franck Margerin.

bdzoom.com : Comment y étiez-vous perçu ? Étiez-vous les deux Martiens de service s’intéressant à la BD au milieu des autres ?

DSDenis Sire : Non non, nous étions plusieurs… La sympathie faisant, nous avons monté, avec Margerin, le groupe « Los Crados ».

bdzoom.com : Quelles étaient vos influences pour votre première BD, « Menace diabolique », sortie dans Métal hurlant ?

Denis Sire : Tout d’abord, j’avais présenté le début de « Bois Willys »… Mais au début, Métal hurlant était purement SF, donc ils m’ont demandé une histoire de science-fiction. À l’époque, pour moi, la science-fiction, à part « Flash Gordon », je ne connaissais pas. C’était ma seule référence… Alex Raymond est un des maîtres américains que j’admire beaucoup. J’avais aussi deux ou trois autres bouquins dans le style, « Hier l’an 2000 » [compilation de nouvelles SF] et un grand livre américain avec des couvertures de pulps et de revues de science fiction des années 30…

« Bois Willys »

bdzoom.com : Et pourquoi le nom de Maurice Leblanc pour votre héros ?

Denis Sire : Je voulais un nom français et un prénom « pas dans le coup » à l’époque. Je me suis creusé la tête et j’ai trouvé Maurice Leblanc, mais j’avais complètement oublié que c’était le nom de l’auteur d’Arsène Lupin !

bdzoom.com : Quelles sont vos origines socioculturelles ?

Denis Sire : Mon père était architecte, il faisait de la peinture. Il voulait que je passe mon bac mais, pour moi, c’était mal barré ! Je n’étais pas un très bon élève, à part en dessin, en sciences naturelles et en français, sauf pour ce qui concerne l’orthographe… D’ailleurs, il y a encore des fautes dans mes textes…

bdzoom.com : Vous passez pour être un dessinateur lent. Comment vous définissez-vous par rapport à votre productivité ?

Denis Sire : J’ai été lent, j’ai été très lent, voire très très lent ! Maintenant, j’accélère un peu pour moins rester sur un dessin… Au départ, pour « Maurice Leblanc », je faisais tout sur un cahier et je reprenais les crayonnés pour les reporter sur la planche. Et tout cela au calque ! C’était complètement archaïque. En plus, je me concentrais sur le trait plus que sur le dessin. Le style évoluant, ça posait parfois des problèmes avec la photogravure. Je suis un petit peu trahi de temps en temps…

bdzoom.com : Sur quel format dessinez-vous ?

Denis Sire : Maintenant, je dessine sur tous les formats, en général A3 ou A4. Je travaille en beaucoup plus grands pour les illustrations, mais pas encore pour la BD…

bdzoom.com : Venons-en à votre fascination pour Bettie Page. Vous êtes le premier à l’avoir réellement mise en BD, bien avant Dave Stevens et son « Rocketeer »…

En fait, elle apparaît dans la série « Bois Willys » de Métal hurlant, dès août 79 [n°44].

Bettie Page.

Denis Sire : J’étais amoureux… C’était pour moi un hommage naturel. Elle avait déjà influencé pas mal de dessinateurs américains des années 1950, mais je l’ignorais… Je « tripais » sur Al Cap, Eisner, Hogarth, Frazetta…

bdzoom.com : Effectivement, mais entre Frank Frazetta et vous, il n’y a eu personne…

Denis Sire : Je ne m’étais pas rendu compte que Frazetta l’avait dessinée ! Il a des façons tellement particulières de dessiner les femmes… Tous cela est en fait venu d’une rencontre – via Dionnet – avec Jeff Rund, alors directeur des éditions Belier Press, qui avaient réédité les cinq volumes de photographies de Bettie Page [prises par Irvin Klaw]. Comme il sentait que je m’intéressais beaucoup à cette époque et à l’esprit bondage, il m’a inondé sous ses publications.

Bettie Page par Frazetta

« Bettie Page » chez Belier Press.

Nous avons même fait un échange d’originaux : il m’a cédé un original d’Eneg [l’artiste bondage Gene Bildrew] contre une petite planche que j’avais faite en couleurs, dont j’aurais honte maintenant (rires)… J’ai fait mieux par la suite ! Quand j’ai vu Bettie Page, j’ai eu la révélation de ma vie (rires), et je suis parti bille en tête… Je n’en suis toujours pas revenu… Maintenant, je la relooke ; je lui ai coupée les cheveux et la frange dans mes dessins. Elle est tellement pompée de toutes parts…

bdzoom.com : Vous avez dit à l’instant que « Bois Willys » avait été réalisé avant « Menace Diabolique » pour Métal.

Denis Sire : Le premier épisode de « Bois Willys » a d’abord été présenté à Métal, qui l’a rejeté. Je l’ai donc représenté à L Écho des Savanes. Pétillon m’avait corrigé la fin qui tombait un peu à plat, du style « Oh, jai fait un rêve ! ». J’ai donc fait une fin d’épisode, car je savais bien que j’allais continuer. C’est passé dans L Écho des Savanes [n°27] en même temps que le premier épisode de « Maurice Leblanc » dans Métal ! Dionnet n’était pas content du tout ! Je n’ai pas pu continuer les deux en parallèle et j’ai donc arrêté provisoirement « Bois Willys »…

bdzoom.com : Le premier épisode de L Écho des Savanes est-il repris dans l’album « Bois Willys » des Humanoïdes Associés ?

Denis Sire : Oui, sans être sorti dans Métal… Autre anecdote concernant ce premier épisode où apparaît Bettie, c’est que les planches ont disparues ; elles sont parties à l’impression en Espagne et je ne les ai jamais revues ! En plus, ils ont trafiqué les films pour modifier les bleus, car j’avais fait des lavis et j’avais mis des trames. Le trait est finalement sorti complètement bouffé dans l’album…

bdzoom.com : Etes-vous collectionneur de ce fétichisme des années 40-50 ou d’autre chose ?

Denis Sire : Non, pas vraiment… J’ai beaucoup de documents, de bouquins, des fringues et des motos… Pour les motos, ça va – ça vient… J’en ai eu douze, je viens d’en racheter une… Mon rêve est d’aller battre un record sur le lac salé… J’ai plein d’amis rockers, avec mon boulot actuel d’illustrateur pour la revue Moto Revue Classic.

bdzoom.com : Il y a une évolution au niveau de vos thèmes ; on passe de l’érotisme feutré américain vers une approche plus rock. Est ce dû à la politique éditoriale de Philippe Manœuvre qui a insufflé un esprit rock à Métal hurlant ?

DS : Oui… Mais quand il a commencé à faire des numéros spéciaux rock, cela m’ennuyait profondément, car je connaissais la scène et je n’avais pas du tout envie de raconter ça. Je n’avais pas d’idées… Je ne suis pas influencé par ce que je vis dans le présent, il faut que cela infuse… J’ai alors rencontré le scénariste Alain Paucard. La première histoire que nous avons faite ensemble était une idée de lui [« The Screaming Dad », Métal n°39 bis, spécial rock, mars 79], et la deuxième, « 6T Mélodie » [dans Métal n°45 bis spécial rock, octobre 79], était une idée à moi que je n’arrivais pas développer.

Une page de « 6T Mélodie ».

« 6T Mélodie ».

bdzoom.com : Cette collaboration reflète-t-elle de vos difficultés à écrire seul ?

Denis Sire : Oui… À écrire seul et court ; j’ai beaucoup de mal à m’arrêter (rires) ! C’est pourquoi il faisait une mise en page précise que je suivais. Quand je travaille tout seul, c’est parfois difficile… Avec les dernières planches de « Ziblyne et Bettie » [pour l’album « Red Walle », à venir], c’est encore pire ! Elles mangent des champignons hallucinogènes, la princesse Ténèbre (une vénusienne) arrive là-dessus… Enfin quoi, c’est délire et torride ! Mais si je ne m’éclate pas un petit peu, ça me gonfle carrément !

bdzoom.com : Quand vous travaillez seul, est ce que vous écrivez un premier script que vous suivez, ou est-ce de l’improvisation ?

Deux pages de « Ziblyne et Bettie » publiées dans le mensuel Lui, en 1992.

Denis Sire : Les deux premières parties de « Ziblyne et Bettie » étaient un peu de l’improvisation, épisode après épisode, voire planche après planche. Par la suite, j’ai écrit un script, mais j’ai fait totalement autre chose ! En ce moment, je prépare « M262 », un nouveau scénario pour un album. Je le fais seul pour l’instant. Je cherche aussi un éditeur un peu Rock ’n’ Roll. Peut-être Albin Michel…

Sire en slip !

bdzoom.com : Dans le numéro 60 de Métal, vous avez posé en slip pour la revue, vous vous souvenez ?

Denis Sire : Oui, c’était à la soirée de Noël, qu’ils organisaient toujours… Il y avait un studio improvisé. Ils nous avaient demandé ça. C’était assez drôle, J’avais un beau slip kangourou !

bdzoom.com : Doit-on en déduire que l’ambiance était bonne au sein de l’équipe ?

Denis Sire : Extra ! L’émulation entre auteurs, dessinateurs était très forte. Et il y avait les concerts Métal hurlant. Fun ! Fun ! Jusqu’au jour funeste où JPD et Manœuvre découvrirent la télé…

bdzoom.com : Vous travaillez régulièrement pour Heavy Metal, la version américaine de Métal hurlant. Ont-ils publié toutes vos histoires ?

Denis Sire : Oui, presque… Ils choisissaient, ils ne mettaient pas tout… Malheureusement, je n’ai pas la liste de toutes mes publications dans Heavy Metal. Je ne sais pas trop comment mon style est perçu là-bas, à part qu’ils m’aiment bien… Je n’y suis jamais allé exprès… Je suis allé une fois à Indianapolis, pour la course des 500 milles, afin d’y réaliser un reportage graphique, mais jamais pour la BD…

Art of Denis Sire

bdzoom.com : Pouvez-vous parler du maxi portfolio que vous produisez directement pour les USA ?

Denis Sire : J’ai signé le contrat et j’attends les dollars ! Je dois livrer 96 planches d’illustrations et de narrations en pleines pages ou en 3 images maximum par planche. Il y aura des pin-ups, des véhicules, de la Fantasy. Cela sortira dans la même collection que le Manara. Le livre sera du même format que le « Bois Willy »s de la collection Pied Jaloux [des Humanoïdes Associés, 1981], mais en nettement plus épais, avec une couverture cartonnée.

bdzoom.com : Pendant plusieurs années, on a parlé de votre collaboration possible à « Batman », suite à des essais réalisés début 80. Qu’en est-il exactement ?

Denis Sire : Cela venait de Fred Manzano [le libraire de la librairie Déesse à Paris], mais il n’y a pas eu de suite. J’avais fait trois planches d’essai qui sont finalement sorties dans des fanzines…

bdzoom.com : Vous avez sorti début 2002 le portfolio « HD Pin-up », portant sur les motos Harley-Davidson. Comptez-vous dorénavant plus travailler dans l’illustration que dans la BD ?

Denis Sire : N’oublions pas « L’IÎle des Amazones » avec J.P. Dionnet (Albin Michel, 1997).

J’ai aussi sorti mon « Mon Continental Circus » à moi  (La Rivière, 2001), un livre sur les grands prix motos avec des illustrations [et des textes, en collaboration avec Éric Breton].

Mais j’aimerais bien refaire de la BD. Après le livre américain, normalement je m’y remets…

Je ferai un album en reprenant la suite de « Ziblyne et Bettie » (titre provisoire « Red Walle »), en plus de « M262 »…

Jean DEPELLEY

Galerie

7 réponses à Les drôles de dames de Denis Sire…

  1. arnaud brochard dit :

    salut Denis, super tes dessins et et caricatures.

    J’aurais besoin de toi si tu pouvais ,pour me dessiner une affiche humoristique pour une soirée spectacle ,si tu veux bien, contacte moi s’il te plait à l’adresse email indiqué, merci !

  2. Ping : MotorArt- Illustration by Denis Sire – Flesh & Relics

  3. JE LE VEUX BIEN SUR MON FB: C’EST BIEN.

  4. Michel Dartay dit :

    Merci Jean!

  5. at peyra dit :

    Bonjour, quel regret que la disparition d’un graphiste élégant, que je suivais dans Métal Hurlant dans les années 80… J’apprécie vos rubriques mais me trompè-je ?
    Avez-vous rédigé un dossier pour Ted Benoît en 2016 ?
    Et pour Edouard Aidans 2 ans après ?
    Pouvez-vous réparer cet oubli ? Ou, plus vraisemblablement, m’indiquer les pages dans lesquelles vous les honorez ?
    Cordialement.

  6. at peyra dit :

    Oups, je viens de trouver la jolie page consacrée à Aidans et les commentaires élogieux. Merci pour ce travail…

  7. Lusabets dit :

    Bonjour.
    Modeste hommage sur la page d’un feuilleton pseudo hebdomadaire à parution irrégulière :
    https://blog.michel-loiseau.fr/?post/4265/Tentative-de-feuilleton-collaboratif-du-mardi-en-BD-%E2%80%94-74

Répondre à jean-pierre Dionnet Annuler la réponse.

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