Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...« Le Train des orphelins » T2 (« Harvey ») par Xavier Fourquemin et Philippe Charlot
De 1920 à 1990, « Le Train des orphelins » nous emmène sur les traces de ces centaines d’enfants, abandonnés par le sort et livrés à eux-mêmes, qui permirent malgré eux le peuplement d’une partie de l’ouest américain. Tels que l’illustrent Jim et Harvey, ces émules d’ « Oliver Twist » et de « Tom Sawyer » entrainent peu à peu les lecteurs vers un autre regard : face à l’ignominie et à la trahison, l’entraide et la fraternité sont les maîtres mots de ce double album, magnifique création de Philippe Charlot mise en scène par Xavier Fourquemin qui excelle décidément, après « Miss Endicott », dans la représentation naturaliste de ce monde anglo-saxon populaire.
En évoquant la parution du premier volume (cf. http://bdzoom.com/54598/bd-de-la-semaine/%C2%AB-le-train-des-orphelins-%C2%BB-t1-%C2%AB-jim-%C2%BB-par-xavier-fourquemin-et-philippe-charlot/, Catherine Gentile rappelait en octobre 2012 le cadre, parfaitement historique, de cet incroyable périple : de 1853 à 1829, les orphan train riders furent mis en place afin de désengorger les artères de New York ou de Boston, villes qui n’arrivaient plus à endiguer les vagues d’immigrants européens. Deux associations caritatives décidèrent donc « d’offrir » une chance de placement aux quelques 30 000 enfants abandonnés en les déplaçant vers l’ouest auprès de familles potentiellement accueillantes.
Point de philanthropie évidemment dans l’affaire, mais un calcul à long terme puisque ce peuplement contribuait au développement économique des terres et villes occidentales, ce qui permettait de rentabiliser les investissements. De brutalités en sévices divers, de marchandages en trafics inhumains, séparés de leurs frères et sœurs et éloignés par des milliers de kilomètres de leurs éventuels parents désargentés, nombreux furent les enfants à vivre un véritable enfer.
Les visuels de couvertures imaginés pour les deux titres de ce premier cycle ne cherchent pas une inutile image choquante ou bouleversante ; l’illustration cherchera par contre à indiquer aux lecteurs des pistes thématiques importantes : l’époque (les débuts du 20ème siècle), le cadre (le monde anglo-saxon), les motifs associés du voyage (train à vapeur) et de l’enfance se devineront ainsi sous un titre et un sous-titre qui viennent suggérer la recherche de l’idée identitaire (l’orphelin ayant souvent au mieux un prénom ou un surnom). En couverture du tome 1, la silhouette fantomatique de l’homme à la valise suggère un basculement et un flash-back : deux époques s’observent et le vieil homme se souvient… Peut-être était-il l’un des enfants s’apprêtant à monter dans les wagons, peut-être était-il, jadis, cet orphelin nommé « Jim ». Un innocent, emmené parmi d’autres vers une destination censée être meilleure (le puits de lumière que constitue l’arrière-plan de la gare) mais au dessus duquel planent déjà de mauvais augures (panaches de fumée noire rejetés par la locomotive). Au sol, des papiers arrachés et tâchés : voici tout un passé et d’ultimes traces qui s’effacent…
La couverture du tome 2 renverse les perspectives tout en reprenant les principaux thèmes du tome 1 : le cadre est celui d’une grande ville américaine (on devinera New York et la baie de l’Hudson), illuminée sous un ciel de soleil couchant. De dos, un couple âgé discute et observe. L’homme porte les mêmes habits et la même valise que celui figurant (également de dos) sur le visuel du premier tome. Ce qui est nouveau, c’est la silhouette fantomatique d’un des enfants, portant visiblement – d’après une étiquette – le nom de Jim et soulevant lui-même une valise identique à celle déjà mentionnée. Cette fois-ci, le questionnement des lecteurs se portera donc plus exclusivement sur la question des identités : qui sont vraiment Jim et Harvey ? Chacun déduira toutefois assez vite que l’homme (t.1) et l’enfant (t.2) « à la valise » ne sont qu’un seul et même personnage, ce dernier ayant réussi à franchir les obstacles, les lieux et le temps au profit d’une vie plus apaisée, où l’amour et le dialogue ont enfin retrouvés leurs places.
Voyage vers la construction du présent et itinéraire vers la mémoire du passé, « Le Train des orphelins » rejoint l’esprit d’une peinture de Norman Rockwell : dans « Good Boy » (« Little Orphan at the Train », 1951 ; le tableau appartient aujourd’hui à Steven Spielberg !), le fameux peintre américain reprenait le motif de l’arrivée d’un orphelin au terme de son trajet vers l’ouest, entre espoir de l’avenir et drame de la séparation. A l’instar d’Harry Potter ou des héros du « Monde de Narnia », tous orphelins ou envoyés – par le train – loin de leurs « familles » originelles, c’est tout un imaginaire de l’ailleurs et de l’errance qui se mettra en place, rappelant du reste que le récit à destination de la jeunesse, à l’instar d’une bonne part de la bande dessinée, est tout sauf une littérature… de gare.
En guise de conclusion à notre étude, Xavier Fourquemin lui-même explique la genèse de ces visuels de couverture :
« Dans cette optique et avec un titre comme « Le Train des orphelins », il me semblait difficile d’échapper au train et aux enfants. Pour le premier tome, j’avais donc choisi, dans un premier temps, de mettre en avant les personnages principaux de l’histoire : Jim, Joey et la petite sœur.
En second plan, j’avais placé le train (incontournable donc) puis les autres enfants du groupe. L’ensemble de la scène se situait dans une gare. Ce qui aurait donné une info sur la période à laquelle se déroule le récit.
L’équipe éditoriale n’a pas été convaincue par l’idée.
On m’a proposé une idée qui permettrait de mettre en évidence le fait que l’histoire se déroule sur deux époques bien distinctes. On a donc gardé le train et les enfants en second plan ainsi que la gare « 1920 » comme décor. Par contre, c’est le « vieux » Jim qui se retrouve à l’avant plan. Placé de dos, il donne l’impression de se retourner sur son passé.
Pour la couverture du second tome, j’ai voulu garder le principe de la superposition des deux époques mais en inversant les éléments. J’ai donc placé le « petit » Jim au premier plan tandis que le décor et le second plan sont occupés par une scène tirée de la partie moderne de l’histoire.
J’ai tout de suite eu l’idée d’utiliser le passage où Jim et Blanche marchent sur les quais de l’Hudson face à Manhattan. En fait j’y ai pensé après avoir dessiné la case 8 de la page 10. J’aimais bien sa composition très simple : on n’y retrouve que des lignes horizontales (les buildings) et verticales (les quais et la barrière). Et puis les deux personnages isolés sur le coté laissaient un espace suffisant pour incruster le « petit » Jim en avant-plan.
Cette idée-là a été acceptée tout de suite par l’éditeur. »
Philippe TOMBLAINE
« Le Train des orphelins » T1 (« Jim ») et T2 (« Harvey ») par Xavier Fourquemin et Philippe Charlot
Éditions Bamboo (13, 90 €) – ISBN : 978-2-8189-2157-9 et ISBN : 978-2-8189-2221-7