MALIKI

Rendez-vous de plusieurs dizaines de milliers d’internautes, le strip du mardi sur le site de Maliki ([http://www.maliki.com/->http://www.maliki.com/]) connaît un succès toujours grandissant. Tenu officiellement par Maliki, qui y raconte son quotidien et ses souvenirs, son créateur, Souillon, a répondu à nos questions lors du Festival d’Angoulême.

Coline Bouvart : Pourrais-tu nous décrire ton parcours ?

Souillon : Après une terminale scientifique, une mise à niveau en arts appliqués, et un an de dessin classique, j’ai repassé les concours des grandes écoles de Paris : Estienne, Les Gobelins, etc. Mais je les ai ratés. Je suis donc retourné en fac d’arts plastiques, pour obtenir une licence. Je bossais dans mon coin, en freelance, en tant que designer multimédia pour des sites internet, je réalisais des clips en flash… Puis j’ai réussi à rentrer aux Gobelins en « conception/réalisation multimédia ». Je préférais avoir plusieurs cordes à mon arc. J’ai également travaillé en alternance dans les jeux vidéo. J’ai commencé la chronique de Maliki pendant que j’étais encore aux Gobelins, en 2004. Je me suis alors fait repérer par Ankama qui m’a proposé à la fois d’éditer le bouquin et de venir bosser chez eux en tant que dessinateur sur Dofus et Wakfu, sur le jeu et sur le dessin animé.

C.B. : C’est donc grâce au blog que tu as été repéré ?

Souillon : En fait, tout ce qui m’arrive, arrive grâce au blog !

C.B. : Comment le blog de Maliki est-il né ?

Souillon : Quand j’ai créé le blog, j’étais super naïf et je pensais avoir eu une idée intéressante. Je n’étais pas du tout au courant du phénomène des webcomics, ni que les blogs de Cha, Boulet, Melaka, Laurel, étaient déjà lancés. Je me suis senti un peu honteux d’avoir pensé que c’était si original : ça ne l’était pas du tout !
J’ai commencé le blog parce je ne dessinais plus : j’étais découragé, j’avais décidé de me consacrer au web design. Puis j’ai réalisé que c’était bête de laisser complètement tomber, et qu’en mettant en ligne un strip toutes les semaines, ça allait me pousser à observer une certaine régularité : si des gens accrochent et attendent, je culpabiliserais si je ne suis pas dans les temps. C’est une contrainte très bénéfique.
Le problème quand on dessine, c’est qu’on est perfectionniste. Là, avec le blog, on fait son strip, on n’est pas super content, mais tant pis, on le met en ligne, en se disant que le prochain sera mieux, et on devient meilleur petit à petit. La semaine suivante par contre, on regarde le précédent et on se dit souvent : « han, comment j’ai pu faire une bouse pareille ! » !

C.B. : En remontant dans les archives du blog, on peut en effet remarquer ton évolution…

Souillon : Il y a plusieurs déclics, par phases, par des prises de conscience, des compréhensions de trucs. Pour moi, le dessin n’évolue pas de manière linéaire, mais par pics. On stagne, parfois on régresse, et puis hop ! Tout à coup on comprend un truc bien et on avance. C’est super décourageant, mais on finit toujours par se hisser vers quelque chose de mieux. Et puis ce n’est jamais fini de toute façon !

C.B. : Le succès du blog a-t-il été rapide ?

Souillon : Ca a décollé au bout d’un an : la première année, je recevais 30 à 40 visiteurs par jour. Je ne me donnais pas autant de moyens : je passais une heure ou deux sur le strip en 3 cases, et puis ça suffisait. J’étais un peu étriqué, je n’avais pas encore trouvé mes marques. Puis j’ai réalisé qu’on pouvait faire des formats verticaux, se lâcher, mettre des animations flash… Aujourd’hui, je reçois 25 000 à 26 000 visiteurs quotidiens, avec des pics à 36 000 voire 37 000 visiteurs le mardi, jour de publication du strip de la semaine. Ça monte encore doucement, mais rien d’exponentiel comme les premières années.

C.B. : Comment utilises-tu le media internet pour tes strips ?

Souillon : On a toujours envie d’en faire plus, et quelque part, c’est pervers de savoir qu’on va être édité car on s’interdit des trucs. Je fais gaffe en faisant mon strip, quand je sais qu’il paraîtra sur papier. Par contre lorsque j’ai vraiment envie de me défouler, je mets des animations, je donne une voix à Maliki, je mets des liens, des petits jeux… Par exemple, j’en ai fait un avec un Fleya qui joue avec un laser : le chat se balade dans la page, il se cogne dans les bords du navigateur. Celui-là ne pourrait pas se retrouver dans l’album, à moins d’une très grande page, mais l’idée me plaisait et je ne me suis pas bridé. Je ne suis pas obsédé par le format papier. Quant aux strips que je retiens pour l’édition papier, je le sais en général dès leur sortie : quand je vois que les lecteurs accrochent vraiment sur une histoire, alors je sais qu’elle fera partie des incontournables ; si elle n’y est pas, les lecteurs seront déçus. Mais je me soucie également de rendre le récit compréhensible, de garder un suspense à chaque page, afin que la narration fonctionne en passant au format papier.

C.B. : Le troisième tome des aventures de Maliki sort-il bientôt ?

Souillon : Il sort en juin-juillet 2009.

C.B. : Tu postes un strip par semaine. As-tu été tenté d’en mettre en ligne plus fréquemment ?

Souillon : C’est un rythme qui me convient. C’est déjà super soutenu ! Et je ne vois pas trop l’intérêt en fait.
Je vais continuer à bosser sur Maliki, mais avec une autre perspective : une BD de format traditionnel, un one shot. J’ai également le projet d’une série animée, qui donnera aussi une autre vision de Maliki, pas du tout abordée sur le blog. Le but c’est d’avoir pour chaque média une approche différente : ce n’est pas de transposer le webcomic en série animée ou en BD avec une histoire longue. Il s’agit de varier les points de vue, les ambiances, le traitement, et d’enrichir le propos.
Le one shot par exemple, ce sera une ambiance très « dark », une vision de Maliki totalement extérieure à tout ce qu’elle montre dans ses strips. Elle laisse une énorme zone d’ombre sur sa vie, sur ce qu’elle ne veut pas dire. Le one shot sera sans concessions. Ca sera une vision extérieure du personnage, ça sera beaucoup plus lucide, plus brut, moins édulcoré. J’ai déjà commencé le travail sur le scénar et sur le découpage. J’espère le sortir en janvier 2010. Il raconte la jeunesse de Maliki ; il la montre telle qu’elle était à 19 ou 20 ans. Elle est assez chiasse, assez détestable. Petit à petit elle va se transformer.
J’aimerais aussi en faire un sur Fang, qui est un personnage secondaire. Que le début de l’album soit le récit de son départ de son pays comme boat people, et sa rencontre avec Maliki : on ignore pour le moment comment elles se sont rencontrées. Et peut-être viser à chaque fois un personnage…
Idéalement j’aimerais sortir un one shot en hiver, parce qu’ils sont plus sombres, et un recueil en été, chaque année.
Pour une série télé, j’imagine quelque chose de beaucoup plus délirant, totalement farfelu, sans forcément l’ancrer dans le réel : peut-être l’axer sur les personnages surnaturels, sur des situations débiles à la Lamu, où il se passe des tas de choses extraordinaires sans que personne ne trouve cela anormal. Garder les mêmes persos, mais leur donner un traitement différent.

C.B. : Comment est née Maliki ?

Souillon : Pour la petite histoire, elle est bien sûr née toute seule, elle s’est matérialisée comme ça, bzouf !
En fait à l’époque, j’étais à fond dans Gorillaz. J’ai découvert ce groupe et je trouvais génial que des persos de dessin animé soient les musiciens. Ils ont gardé le secret très longtemps sur ceux qui se cachaient derrière. Ils étaient très vivants, ça créait tout à coup un univers très riche. Et je me suis dit que ce serait intéressant de faire pareil. Maliki, c’était un personnage que je dessinais encore régulièrement : c’était le genre de perso qu’on a dans ses tiroirs depuis longtemps, qu’on aime bien, sans savoir quoi en faire. Plutôt que de faire une BD avec ce perso en tant que moi, j’ai décidé de la lâcher sur internet, de lui inventer toute une vie et de la laisser être autonome sans être vraiment derrière. Maliki a une personnalité à elle, un tempérament à elle.

C.B. : Ce n’est donc pas simplement un double ?

Souillon : Non, non, on n’est pas tout à fait pareils !!! Au niveau caractère comme morphologique ! Elle vit à peu près les mêmes situations que moi, mais elle ne réagit pas forcément pareil. C’est une espèce de jeu de rôle en fait, il faut essayer de s’identifier au personnage.

C.B. : Où puises-tu ton inspiration ?

Souillon : Il y a des choses tirées de mon quotidien : je trouve beaucoup plus crédibles les choses vécues ; on peut plus facilement s’y retrouver. Si ça ne vient pas de mon quotidien, ça part toujours d’un fait réel, que j’observe, que je note : des choses banales qu’on ne remarque même plus, mais qui, lorsqu’on met le doigt dessus, sont parfois complètement hallucinantes ou aberrantes. J’aime bien le montrer.
Pour moi, c’est aussi important. Quand je remarque quelque chose, je le note, mais ce n’est pas suffisant. J’ai envie de le dessiner. C’est comme un album photo, que l’on feuillette en se disant : « Ah oui à ce moment j’ai ressenti ça, et j’ai pensé à ça.. ». J’ai peur d’oublier les choses, comme les souvenirs d’enfance : lorsque je dessine Maliki enfant, ce sont souvent mes propres souvenirs d’enfance. Comme ça je suis sûr de ne pas oublier la sensation que j’ai eue à ce moment là… C’est de l’archivage de mémoire, de sentiments, d’impressions,…

C.B. : Quelles sont pour toi les différences entre l’édition en ligne, et l’édition classique ?

Souillon : On est plus libre, plus exactement, on se sent plus libre, car on serait certainement aussi libre dans une BD que dans un webcomic, même si dans la BD, il y a toujours la pression de l’éditeur, la contrainte du format papier, de l’unité, etc. Avec le webcomic, ce n’est qu’à la fin, lorsqu’on fait le recueil, qu’il faut trier tout ça. Mais la plupart du temps, on est très libre, on peut choisir de faire un jour un strip triste, le lendemain un strip rigolo, de faire de l’aquarelle… Finalement on se sent affranchi des contraintes. C’est également plaisant de pouvoir court-circuiter l’éditeur, et de faire ce qui nous plaît. Même pour se faire éditer : c’est sécurisant pour l’éditeur, lorsqu’on arrive avec 200 pages en disant qu’on a tant de visiteurs. L’éditeur ne prend pas de risques : tu fais 30 000 visiteurs par jour, on tire 20000 exemplaires, tu es quasi sûr de bien les vendre. C’est ce qui se passe. Les gens achètent l’album, même au-delà des espérances, puisqu’on pourrait penser que tant de gens n’achèteraient pas un contenu qui est gratuit sur internet.
Je fais d’ailleurs toujours attention dans l’album de mettre un minimum d’inédits. Maliki a commencé gratuitement, je ne veux pas forcer les gens à acheter l’album pour voir ce que je fais. J’essaie de respecter ceux qui étaient là depuis le début et qui ont supporté les gribouillis d’alors, ceux qui m’ont soutenu et qui sont encore là maintenant.
J’ai bien été tenté, notamment pour le premier album, de retravailler les dessins. Mais je me le suis interdit pour que ce soit une transcription exacte du site. Et que les gens ne se sentent pas obligés d’acheter l’album pour avoir une version plus aboutie.
Je veux rester fidèle à cet esprit.
Pour le one shot, je n’exclue pas non plus de le mettre en ligne par la suite, afin que les gens puissent le lire en ligne : ce serait normal. Pour le coup, la démarche serait inverse : adapter le format BD au web. Par exemple, en mettant une version en flash, dont on tourne les pages…
Les lecteurs préfèreront toujours le papier. Si on met en ligne un contenu gratuit, si ça plait, les gens l’achèteront. Il n’y a aucun risque commercial. Les gens le pensent, mais ce n’est pas le cas.

C.B. : Pour ce one shot, tu serais à la fois scénariste et dessinateur : est-ce une démarche de travail importante pour toi ?

Souillon : Je ne me vois pas du tout travailler avec un scénariste. Je me suis même aperçu récemment que les BD que j’aimais, étaient créées par des auteurs qui étaient dessinateurs et scénaristes. On a beau être super proche de son scénariste, Il y a toujours un écart entre les deux. Je n’arriverais pas à dessiner une histoire que je n’aurais pas écrite, ça ne m’intéresserait pas. J’ai besoin d’être impliqué à fond dedans. Donc c’est vrai que le métier de scénariste est difficile, mais je m’y mets à fond, et j’y arriverai.

C.B. : Quelle place occupe la bande dessinée dans ta vie professionnelle ?

Souillon : Pour Ankama, je travaille sur le jeu et la série télé « Wakfu ». La BD est l’aboutissement de tout le reste. Dans la BD, il faut savoir bien dessiner : c’est ce que j’apprends chez Ankama. Je suis avec des gens super forts en dessin, et j’ai donc besoin de progresser tout le temps. J’apprends des autres. Dans la vie, je repère des scénars, et pour moi la BD c’est l’aboutissement de tout cela. Ce qui me plait, au delà de la BD, c’est la narration.

C.B. : Quel est ton personnage préféré dans l’univers de Maliki ?

Souillon : J’ai un faible pour Lady. C’est une enfant. C’est une nouvelle Eve, une humaine qui ne sait pas comment être humaine. Elle fonctionne par mimétisme, elle marche au premier degré, elle a des affections immédiates pour les gens. J’aime les personnages à la Frankenstein, qui ont une forme humaine, sans l’être, tout en voulant le devenir. Alors qu’on a envie de leur dire de rester comme ils sont. Elle porte un regard différent sur le monde. Je la trouve touchante.
Je ne lui dessine pas de bouche. Elle peut comprendre, elle sait lire, elle sait un peu taper au clavier –quand elle ne l’explose pas !-, mais elle n’a pas de bouche : elle s’exprime autrement, par ses attitudes, par son regard. Elle réagit, mais ne blablate pas.
Lady, je la vois bien en anim’, pour développer la gestuelle : si le projet de dessin animé se fait, Lady sera un personnage super important, avec sa copine, Electro. Elle s’exprime comme en mime.

Déjà parus :

- Maliki (t.1) Broie la vie en rose, éditions Ankama

- Maliki (t.2) Une rose à l’amer, éditions Ankama

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