« Robin Malone » de Bob Lubbers

La première fois que j’ai découvert « Robin Malone », la bombe des sixties dessinée par l’américain Bob Lubbers, c’était dans le n°114 de cette fabuleuse revue qu’était Charlie Mensuel, en 1978 !

Georges Wolinski, ce rédacteur en chef qui mêlait allègrement créations alternatives, bandes aventures ou érotiques et chefs-d’œuvre du 9ème art international, précisait alors que cette bande lui avait été léguée, en 1971, par le créateur fondateur du magazine : Delfeil de Ton. Il l’avait conservée précieusement dans un carton en espérant qu’elle vieillirait bien : et il a eu raison ! Ces 66 strips en noir et blanc (datant de 1967) avaient gardé un charme fou et il est en de même pour l’album que l’ANAF (Association Neuvième Art France) propose dans sa collection « Sauvegarde » que l’on peut se procurer sur le Net grâce au Coffre à BD : http://www.coffre-a-bd.com/cgi-bin/boutique.bin?s=0.

Ce beau livre au format à l’italienne propose les 94 premiers strips et les planches du dimanche correspondantes (il s’agit de la période du 19 mars au 21 mai 1967), mis en couleurs pour l’occasion, ainsi qu’un petit dossier très illustré sur la série et son auteur. En fait, les aventures sentimentales de cette jeune et séduisante veuve richissime avaient déjà été publiées en France dans le quotidien Paris Jour (vers 1967-1968), mais sans grand succès…

Pourtant, les lignes élancées de l’héroïne (on peut aussi voir en elle une incarnation du mouvement de la libération féminine car cette belle globe-trotter est quand même chef d’entreprise : un « Largo Winch » avant l’heure !) et l’ambiance yéyé de cette histoire où évolue la jeunesse contestataire de l’époque sont des atouts non négligeables pour cette bande dessinée où l’auteur utilise une palette de styles étonnante : des premiers plans très réalistes et bien léchés, des personnages caricaturaux, des plans simplifiés voire seulement esquissés, des ébauches subjectives… Mais, manifestement, cela n’a pas suffi pour imposer la série…

Même aux USA, ce soap-opéra diffusé par l’agence NEA, ne dura que trois ans ! Bob Lubbers, peu enthousiasmé par les aspects « fleur bleu » du scénario d’origine, proposé par le syndicate, fit appel à Paul S. Newman pour gommer cette ambiance, qui convenait mieux aux jeunes filles en fleurs, au profit de l’intrigue. Ce scénariste ne tint que six mois et fut remplacé par Stu Hample qui développa encore plus le côté satire de la série : mais ceci devint aussi un argument pour sacrifier « Robin Malone » sur l’hôtel de l’hypocrisie éditoriale.

Cependant, malgré le fait qu’il n’ait réalisé que peu de planches en son nom propre, Bob Lubbers était loin d’être un inconnu dans le monde du 9ème art américain ! De son vrai nom Bob Lewis (né le 10 janvier 1922), ce joueur de trombone professionnel, passionné de dessin, d’aviation et de jolies filles, suit les cours de l’Art Students League, en compagnie de son copain Stan Drake (le futur dessinateur de « The Heart of Juliet Jones » : « Juliette de mon cœur » en français).

Après divers petits travaux, il se forme au sein d’un studio où il devient ami avec Nick Cardy et John Celardo : deux graphistes qui reprendront les strips quotidiens de « Tarzan », tout comme le fit Bob Lubbers à la suite de Burne Hogarth, en 1950.

En France, cette reprise sera publiée dans la revue Tarzan et dans la collection « Tarzan » des éditions Mondiales de 1950 à 1953 (1) , puis de 1965 à 1973. On la retrouve aussi dans Paris Jour (de 1968 à 1970) ou dans le magazine féminin Nous Deux (à partir de 1972) et, en Belgique, dans Le Moustique (en 1952) ; ainsi que dans les albums des éditions Mondiales (1955-1956) et chez Hachette (1951-1953), dans le bimensuel (puis mensuel) Tarzan de la Sagédition (1973-1974) et, pour seulement quatre planches, dans le tome 7 de l’intégrale publiée aux éditions Soleil (en 1994) où Bob Lubbers termine l’épisode « Tarzan et le chasseur de fauves » commencé par Burne Hogarth.

Alors qu’il était juste marié (en 1943), Bob Lubbers avait été incorporé dans l’Air Corps comme opérateur radio puis dans l’Air Transport Commands dans le Pacifique. De retour à la vie civile, il multiplia les récits d’aviation et les westerns peuplés de personnages féminins aux courbes suggestives (« Captain Wings » de 1942 à 1949, « Captain Terry Thunder », « Space Rangers » et « Firehair » en 1946 ou « Camilla » en 1950). Promu directeur artistique des éditions Fiction House (spécialistes de ce genre de récits), il se consacra surtout aux couvertures des comics publiés par cette maison, jusqu’en 1951.

Deux ans plus tard, il fit la connaissance de Al Capp, le créateur de « L’il Abner », et les deux hommes sympathisèrent. Ce fut le début d’une collaboration longue de vingt-cinq ans et qui influencera fortement son style graphique : ce dernier devenant alors beaucoup plus caricatural ! Bob Lubbers va d’abord dessiner « Long Sam » (2) , version féminine de « L’il Abner » scénarisée par Al Capp (puis par son frère Elliott, par Stu Hample le dernier scénariste de « Robin Malone », et par Bob Lubbers lui-même), de 1954 à 1962. En parallèle, il épaule Al Capp (qui utilisait déjà des assistants comme Frank Frazetta ou Andy Amato) sur « L’il Abner », de 1958 à la fin de la bande, en 1977.

Bob Lubbers assurera aussi un intérim sur « The Heart of Juliet Jones », pour son copain Stan Drake en 1956, clôturera « Rusty Riley » à la suite du décès de Frank Godwin (son créateur) en 1959, dessinera, la même année, le strip « The Saint » (d’après la célèbre série de romans écrite par Leslie Charteris), et succédera à Mel Graff sur le mythique « Agent Secret X-9 » (3) dont il réalisera dessins et scénarios sous son vrai nom (Bob Lewis) de 1960 à 1967, juste avant de se consacrer à « Robin Malone » : son style plutôt moderne étant alors très apprécié et recherché.

Malgré toutes ces contributions à des séries pourtant vraiment célèbres, une participation aux magazines d’horreur de la Warren (Creepy, en 1965) et de la Gold Key (The Twilight Zone, en 1967), la création d’une rubrique de mots croisés et de jeux de lettres (de 1973 à 1977) pour le Creators Syndicate, un nombre impressionnant de dessins publicitaires et de story-boards pour des spots de télévision, un retour épisodique aux comics avec quelques épisodes de super-héros comme « The Amazing Spider-Man », « The Defenders », « The Human Fly » ou « Ka-Zar » pour Marvel (vers 1978-1979), Bob Lubbers n’atteindra jamais la célébrité qu’il aurait méritée et prendra sa retraite en 1989.

Il parait pourtant qu’aujourd’hui, à 87 ans, il caresserait encore son trombone et ferait quelques apparitions dans son club de golf pour lequel, en 1994, il a réalisé son dernier travail graphique : une gigantesque et magnifique fresque murale !!!

Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes

(1) Pour une bibliographie exhaustive de l’œuvre de Bob Lubbers en France voir le n°99 de Hop ! (septembre 2003), la revue de Louis Cance où Marc-André Dumonteil lui consacre un très intéressant article de fond qui nous a beaucoup servi pour écrire cet article ; nous l’avons complété avec notre documentation personnelle et des informations contenues dans le n°26 de Glamour International.

(2) « Long Sam », diffusé par la UFS, fut publié en France sous le nom de « Julie la douce » dans Radar, de 1959 à 1960.

(3) Le « X-9 » version Lubbers n’eut guère les honneurs de la presse française (contrairement à celles d’Alex Raymond, de Mel Graff ou d’Al Williamson qui prendra sa suite) : seuls neuf épisodes (sur les trente qu’il a réalisés) ont été publiés dans Agent Secret X-9, un pocket des éditions de Poche (en 1966), et dans le Mandrake des éditions du Rempart (en 1977 et 1978).

Galerie

Une réponse à « Robin Malone » de Bob Lubbers

  1. Alain De Kuyssche dit :

    Merci pour ce passionnant article ! Petite précision : le strip quotidien de l’Agent X9 a paru longtemps dans le journal belge « La Dernière Heure » et tout Lubbers y a été publié.

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