« L’Homme qui aimait les fesses » par Osamu Tezuka

Osamu Tezuka est reconnu pour son apport incontestable au monde du manga. Si ses œuvres pour enfants et adolescents sont maintenant facilement disponibles en français, ses créations plus adultes le sont plus rarement. Tezuka s’intéressait au manga sous toutes ses formes afin de toucher un public le plus large possible. Avec la publication de « L’Homme qui aimait les fesses », les éditions flblb nous font découvrir une nouvelle facette de ce maître du manga.

La critique sociale et satirique est un genre peu commun dans les mangas traduits en France. « L’Homme qui aimait les fesses » regroupe 21 histoires courtes créées par Osamu Tezuka dans les années 60 et 70. C’est une infime partie de son œuvre satirique, mais cela permet de se plonger dans un univers complètement décalé et bien plus adulte que ce que nous avons l’habitude de lire venant de ce prolifique mangaka.

Le Japon, comme le reste du monde occidental, à cette période, est sujet à énormément de tension sociale et de lutte entre les générations. La satire a toujours été un moyen simple et amusant de mettre en exergue les problèmes liés au monde du travail et au rapport humains. L’homme est ici tourné en dérision et la femme prend une revanche bien méritée dans ce Japon moderne (pour l’époque). Elle y voit son rôle dans la famille évoluer, au fil des mœurs, grâce à l’arrivée des idéologies occidentales véhiculées par les soldats américains. Tezuka n’a jamais caché son attrait pour les idées nouvelles, sans jamais renier le passé historique de son pays. Il a toujours été bon pour mettre le doigt sur les travers de ses congénères et, ainsi, les tourner en dérision. Ici, c’est le salarié moyen qui en prend pour son grade dans les premiers chapitres du livre. Il prend corps en la personne de Fûsuke Shimomura, célibataire ayant peu de succès avec les femmes. Dans le premier chapitre, qui donne son titre à ce recueil, il croise le chemin de phallus et de fesses ayant leur vie propre et se reproduisant à grande vitesse. Au départ, cela fera les affaires de la ville qui trouvera, en ces étranges êtres, une manière de rassembler les ordures. En effet, c’est en récoltant les détritus des humains que ces « animaux » se créent un nid pour copuler : les éboueurs n’ayant plus qu’à ramasser ces tas méticuleusement agglomérés. Bien évidemment, de nombreux problèmes s’en suivent. Dans les chapitres suivant, les hommes seront la proie de femmes insatiables sexuellement, à l’exception de Fûsuke le looser. Puis, il sera poursuivi par un cheval recouvreur de dettes, une maison amoureuse et jalouse, un employé encore plus incompétent que lui, une femme prédisant l’avenir lors de ses rapports intimes ou, encore, un chef d’état déchu venu squatter son petit appartement.

Le point de départ de la plupart des histoires est la folie consommatrice des hommes ; par exemple, lorsque qu’ils ne se rendent pas compte que l’exploitation à outrance des minerais rares de la lune peuvent avoir des conséquences catastrophiques sur terre. Ou encore lorsqu’ils envahissent le passé grâce à une machine à remonter dans le temps et qu’ils veulent récrire l’histoire pour plaire à ces nouveaux touristes temporels. Ou bien lorsqu’ils développent un nouveau genre de robot qui, au final, s’avérera bipolaire et causera plus de soucis qu’il n’en résoudra.

Les histoires suivantes n’ont plus forcément un personnage récurrent. En revanche, il est toujours question de révolution sexuelle et de liberté individuelle. Que ce soit lors de la rencontre de femmes renard, de déesse de la défaite ou de fantômes du futur nudistes. La technologie est également visée avec une boutique spécialisée en jouets pour adultes, non pas les sex-toys que notre esprit pervers peut envisager, mais des instruments de torture totalement inacceptables en temps normal. Où encore lors de la création d’un avion technologiquement suréquipé qui se retourne contre les humains en refusant d’atterrir.

Une des plus longues histoires se trouve à la fin de l’album ; elle raconte la révolution nudiste qui s’est passée dans le Japon du futur. Seuls sont autorisés les chapeaux ou les bijoux. Tous les habits ou autres objets pouvant couvrir le corps sont considérés comme obscènes. Les vieux magazines, c’est à dire ceux de notre époque, sont pilonnés au non de la morale. Ce renversement de situation entre notre mode de pensée puritain et notre vision souvent biaisée de ce qui est juste ou non est ici longuement décortiqué. Tezuka se joue des clichés tout en dénonçant, bien évidemment, l’excès inverse. Il est intéressant de lire toutes ces histoires avec un esprit ouvert et voir ainsi qu’elles sont toujours d’actualité. Comme quoi, peu de choses changent en 40 ans !

Ce pavé de 488 pages peut se dévorer d’une traite à l’occasion d’une très longue soirée ou s’apprécier chapitre par chapitre, du fait de leur indépendance. Les rapports hommes/femmes ne tournent quasiment jamais à l’avantage des premiers. Certains passages sont franchement hilarants et offrent une bonne remise en question de notre mode de vie et de pensée.

Le style de Tezuka est ici bien plus dépouillé que dans ses productions pour enfants. On est proche du dessin de presse, ce qui est logique pour une œuvre satirique. Du coup, le public visé correspond plus aux amateurs d’oeuvres décalées et caustiques que le lecteur de manga traditionnel. L’humour grinçant, mais jamais vulgaire, devrait également accrocher les femmes, généralement oubliées lors de la production de bande dessinée.

Bien évidemment, la sortie d’un nouvel ouvrage de Tezuka en français est toujours un événement majeur. Quand, en plus, celui-ci sort des sentiers battus en présentant une facette souvent ignorée du manga, c’est encore mieux !

Gwenaël JACQUET

« L’Homme qui aimait les fesses » par Osamu Tezuka

Éditions flblb (20 €) – ISBN 978-2-35761-047-7

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