Rencontre avec Xavier Dorison, scénariste de «H.S.E. (Human Stock Exchange)»

Et si l’être humain était coté en bourse, comme une entreprise, ou une matière première ? Dans une société en prise à une crise économique majeure, disons la notre dans peu de temps, le scénariste du « Troisième Testament » et de « Long John Silver » imagine une alternative cynique pour ces toujours plus riches, recherchant des placements à hauts rendements : investir sur l’être humain !

« Le déclic concernant cette histoire, nous raconte Xavier Dorison, m’est venu quand mon cousin m’a raconté l’anecdote d’une jeune femme qui se serait cotée en bourse pour pouvoir payer ses études. Je me suis fait la réflexion : « Pourquoi pas, après tout ? ».  Pour l’auteur du récent « Asgard », il n’y a rien d’aberrant dans ce concept : David Bowie avait lancé avec succès, il y a 15 ans, une émission obligataire de 55 millions de dollars basée sur ses futurs droits d’auteur à percevoir : « et si on y regarde de plus près, on peut même dire que les joueurs de foot sont cotés. Je trouvais que l’anecdote, vraie ou pas, rapportée par mon cousin, faisait écho à la dérive de notre société matérialiste et j’y voyais l’occasion de parler de l’homme moderne au sein de cette société. »

Xavier Dorison imagine alors le destin de Félix Fox, un homme ordinaire, brillant commercial, certes, mais bloqué dans son évolution de carrière par son supérieur. Quand l’opportunité de s’introduire en bourse et devenir un « coté »  s’offre à lui, il hésite d’abord avant d’accepter lorsqu’il croise le regard envieux de sa femme à la vue d’une voiture de luxe. Las, Félix Fox  s’y brulera les ailes, la trilogie « H.S.E. » contant son ascension et sa déchéance : « Fox, c’est nous tous !, s’enflamme le scénariste de « Prophet ». Au début, il se dit qu’il n’a pas grand-chose à perdre au vu des avantages que lui procurent  sa situation de « coté », qui lui apporte fortune et renommée. Mais c’est une expérience analogue à celle d’une personne ravie d’avoir signé un contrat de travail et qui, progressivement doit faire des heures sup’  le soir et le week-end, être amener à virer un collègue, etc.  La société matérialiste peut piéger des gens normaux et les faire sombrer dans des engrenages dangereux. »

Car pour l’auteur, il ne s’agit pas de confondre la notion de valeur, « qui correspond à ce qu’on vaut réellement » à celle de cote « répondant au principe de l’offre et de la demande. Certains acteurs, même mauvais comédiens, sont réputés « bankables » et surpayés à ce titre. Dans toute l’histoire du monde, les gens ont rarement été autant réduits à « Dis moi ce que tu gagnes, je te dirai ce que tu vaux ! ». Cette donne n’était pas valable auparavant quand il existait d’autres critères d’admiration que simplement celui d’avoir de l’argent. Au moyen-âge, il fallait être courageux et chevaleresque, aujourd’hui, il faut juste être riche ! Nous sommes passés du bonheur de faire au bonheur d’avoir. »

Il serait cependant réducteur de considérer « H.S.E. » comme un simple pamphlet dénonçant l’ultra libéralisme. Au-delà de cette sombre vision d’avenir se profile les questionnements existentiels sur l’utilité sociale et ce fameux bonheur, qu’il soit individuel ou collectif. Car ce que veut Félix Fox en priorité, « c’est d’être aimé. Par sa femme, prioritairement. Et il cherche, comme un chacun, le moyen d’aboutir à ses fins. À une autre époque, il aurait peut-être été soldat ! »

Laurent TURPIN

« H.S.E. (Human Stock Exchange) » T1 par Thomas Allart et Xavier Dorison

Dargaud (13,99€) – ISBN : 978-2205-06640-1

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