« Vasco » de Gilles Chaillet

Ou : « Quand le classicisme a quand même du bon? »

Le dossier documentaire intégré dans le premier tome de l’intégrale « Vasco » (1) qui vient de paraître au Lombard, et qui reprend l’intégralité des trois premiers épisodes parus dans Tintin de 1980 à 1983, nous précise que Gilles Chaillet, né en 1946, est un grand admirateur du « Chevalier blanc » de Liliane et Fred Funcken : une série moyenâgeuse créée à partir d’un synopsis du regretté Raymond Macherot, en 1953. Amusant, quand on sait que son complice du moment, l’humaniste Didier Convard (sur une très belle transposition d’un épisode de la vie de « Vinci » en thriller historique, publiée chez Glénat depuis 2008) (2) , a livré, en 1986, quelques scénarios pour cette bande dessinée ! D’autant plus que le futur créateur de « Vasco » avait, lui aussi, réalisé quelques épisodes de ce personnage pour son propre plaisir : ce furent d’ailleurs ses premières bandes dessinées, hélas aujourd’hui perdues (3) .

Toujours est-il que « Le Chevalier blanc », publié dans le journal Tintin, a déclenché, chez Gilles Chaillet, une passion pour l’aventure et la reconstitution historique en bandes dessinées jamais démentie : ce dernier ayant alors associé les dessins de ce fameux couple du 9ème art franco-belge (sur lequel il faudra bien qu’on revienne, un de ces jours, pour essayer de valoriser leur contribution à ce média, car tous les deux sont, aujourd’hui, bien injustement oubliés) aux images des livres d’Histoire qu’il idolâtrait dans sa tendre jeunesse, sur les bancs de l’école communale…

Cependant, c’est quand même le « Alix » de Jacques Martin qui reste son principal choc graphique et narratif, alors que jeune Gilles Chaillet est seulement âgé de neuf ans : « En 1955, j’ai découvert « Alix » dans « La Tiare d’Oribal ». Dès l’épisode suivant, « La Griffe noire » je me suis empressé de créer une nouvelle histoire d’« Alix », en 1958-1959, que j’ai intitulée « Les Cagoules rouges »… J’avais situé l’aventure en Ethiopie car j’avais lu que ce territoire faisait partie des royaumes dits protégés de l’Empire romain… », déclare-t-il à Luc Révillon.

Cependant, contrairement à ce que l’on croit souvent, Gilles Chaillet n’a jamais dessiné quoi que ce soit dans les albums d’« Alix » ; il a simplement, avec la complicité de son épouse Chantal Defachelle, mis en couleurs les épisodes suivants : « La Tour de Babel » et la fin de « L’Enfant grec ».

Le soucis d’une documentation sérieuse s’est donc manifesté très tôt à ce précoce artiste qui ne manque pas, dès lors, de collectionner les livres et les cartes postales sur Rome, ou sur le Moyen Âge, et qui est fasciné par les plans précis que dessinait son père qui travaillait alors dans un cabinet d’architecte. Ce travail délicat inspirera certainement Gilles Chaillet quand il s’attelle au plan de la ville de Rome au 4ème siècle en la dessinant quartier par quartier, rue par rue, bâtiment par bâtiment, fenêtre par fenêtre… : plan qu’il termine en 1994 et qui dormait dans un carton à dessins jusqu’à ce que, sur les conseils de Didier Convard, il le présente à Jacques Glénat qui l’a édité en portfolio et sous la forme d’un très beau livre en 2004 : « Dans la Rome des Césars » (4) .

Evidemment, sa soif monomaniaque de connaissance sur l’Antiquité romaine l’a amené à multiplier les pistes pour la création d’une bande dessinée se passant à cette époque. Des projets qui tombent irrémédiablement à l’eau lorsque le scénariste Jean-Luc Vernal (qui signait aussi Laymillie), alors rédacteur en chef de Tintin, lui propose de créer un nouveau héros pour cet hebdomadaire où « Alix » était présent depuis 1948 (voir « Le Coin du patrimoine sur Jacques Martin » : http://bdzoom.com/5612/patrimoine/le-coin-du-patrimoine-ave-alix-pardon-avant-alix/) : et c’est ainsi que naquit « Vasco », dont le métier de commis de banque, lui est venu à l’esprit lors d’une lecture des « Rois maudits » de Maurice Druon…

En fait, Gilles Chaillet avait déjà créé, quelques années auparavant (vers 1975), un autre « Vasco », romain celui-là, dont le nom, trouvé dans le Gaffiot, le célèbre dictionnaire pour latinistes, évoquait une tribu ibérique dont les Basques et les Gascons revendiquent leur origine. Après une timide apparition de deux planches en 1969 (dont une nouvelle mouture en trois planches fut réalisée en 1973) dans une aventure de « Claudius », sorte d’« Alix » brun que notre jeune prodige dessinait, uniquement pour lui et ses proches, depuis l’âge de 14 ans, ce Caïus Hostilius « Vasco », officier du Bas-Empire au 3ème siècle, devient le héros à part entière de « La Légion des damnés » : trente-trois pages d’une aventure qui faillirent être publiées dans Tintin, si la perspective d’une collaboration sur « Lefranc » n’avait pas changé la donne et si « Alix » n’y avait pas été programmé au même moment. Pourtant, Gilles Chaillet s’était efforcé de ne pas plagier le héros de Jacques Martin, en lorgnant, graphiquement, du côté du « Blueberry » de Jean Giraud, autre dessinateur qu’il portait aux nues…

Car cette grande figure du classicisme en bande dessinée franco-belge est non seulement un acharné du travail, ceci depuis son plus jeune âge, mais aussi un véritable connaisseur du 9e art franco-belge. Outre ces pêchés de jeunesse réalisés en simple amateur dont nous venons de parler et où il forgeait son style (on peut y rajouter des planches réalistes, influencées par les « Blake et Mortimer » d’Edgar Pierre Jacobs, ou humoristiques, qui ne sont pas si éloignées que ça des « Bob et Bobette » de Willy Vandersteen), Gilles Chaillet a véritablement débuté, professionnellement, au studio des éditions Dargaud.

Il y a d’abord passé un mois comme stagiaire après avoir obtenu son baccalauréat et être resté une année dans une école de dessin privée où il reconnaît avoir perdu son temps. Engagé pour un remplacement pendant les vacances, en août 1965, il y restera finalement douze ans… C’est au sein de ce studio qu’il connaît ses premières publications effectives : deux pages de gags avec « Innocent » et deux autres sur « Les pilotes de l’éclair » (encart publicitaire pour le lancement de l’Opel GT) qui sont parues seulement dans la version française de Tintin, en 1966 et en 1969, et où l’univers décrit, tout comme dans ses autres projets avortés de l’époque, tenait à la fois de ceux Walt Disney, de Peyo et d’Albert Uderzo : que du classique, on vous dit !

« Cependant, j’avais pratiquement abandonné l’idée de faire de la B.D. » rapporte Gilles Chaillet à Luc Révillon dans Le Fond du sac ! En effet, il se rend compte que le métier de dessinateur de bandes dessinées était plus dur qu’il ne se l’imaginait et que travailler sur les maquettes des revues de charme publiées chez Dargaud, jouer au metteur en scène pour les albums de Roger-Pierre et Jean-Marc Thibault, réaliser les couleurs de « Tanguy et Laverdure », d’« Achille Talon », de « Blueberry » et de « Bob Morane », concevoir des jeux ou des petits livres autour du personnage d’« Idéfix » (5) ou travailler, encore et toujours, à la réalisation d’un livre sur Rome pour sa documentation personnelle lui convenait parfaitement !

A noter que Gilles Chaillet a également dessiné le petit avion sur les pages de garde de « Tanguy et Laverdure », la plupart des pots de moutarde avec « Astérix » et « Obélix », ainsi que les têtes de « Blueberry » en haut des pages de l’hebdomadaire Pilote… Et que c’est ainsi que le futur créateur de « Vasco » s’est retrouvé en charge de terminer les quatre dernières pages de l’album « Le Vaisseau de l’enfer », une aventure de « Barbe Rouge » : ceci à la demande de Jean-Michel Charlier lui-même, sur des croquis réalisés par Victor Hubinon, le dessinateur attitré, qui était alors très malade !

C’est alors que le regretté Claude Moliterni, toujours prêt à rendre service et à qui le 9ème art doit tant, lui annonce que Jacques Martin cherche quelqu’un pour reprendre « Lefranc » : et lui conseille de faire un essai. « En rentrant chez moi, l’idée a commencé à trotter dans ma tête. C’était l’occasion rêvée pour entrer dans cette profession qui me fascinait tant. Alors, sans y croire, j’ai fait une planche d’essai en mélangeant tous les ingrédients que l’on peut trouver dans la série « Lefranc ». Je l’ai donné à Claude Moliterni qui est arrivé aux bureaux des éditions Casterman à Paris en déclarant : « On fait des rangements chez Dargaud, c’est dingue, il y a des planches originales de Jacques Martin qui traînent encore chez nous ». Les gens de chez Casterman ont examiné cette planche en se demandant bien de quel album cela pouvait provenir. Par la suite, Claude a finalement révélé que c’était moi qui l’avais dessinée et la rédaction de chez Casterman s’est chargée de l’envoyer à Jacques Martin». C’est ce qu’on pouvait lire dans le n°20 du fanzine belge L’Âge d’or de juillet 1991 (entretien réalisé par Stéphane Pescheloche) et on connaît la suite… Même si lors de leur première rencontre Jacques Martin ne lui cache pas qu’il commettait beaucoup de fautes, ce dernier lui avoue quand même que, parmi tous les essais qu’il avait vus, c’était celui qui était le plus proche de l’esprit de la série. Et quatre planches d’essais plus tard, Gilles Chaillet reprenait « Lefranc » (sur un scénario de Jacques Martin) avec l’épisode « Les Portes de l’enfer » publié à partir de 1977 dans Tintin.

Quand Gilles chercha des assistants pour le soutenir lors de ses défaillances dues aux problèmes récurrents qu’il a à la main (il se trouve parfois bloqué pendant plusieurs mois sans pouvoir dessiner) ou pour reprendre le flambeau, il a certainement dû se rappeler cette époque où, simple apprenti, il travaillait à l’ombre des plus grands maîtres… En effet, aujourd’hui, « Vasco » est dessiné par le story-boardeur Frédéric Toublanc (mais Gilles Chaillet est toujours responsable des scénarios), Christophe Ansar (qui, après Thierry Lebreton et Jean-Pierre Jobelin, l’aidait graphiquement, depuis des années, sur « Vasco ») dessine « La vie de l’empereur romain Dioclétien » pour Le Lombard (toujours sur un scénario de Gilles), Marc Jailloux réalise les encrages de « Vinci », et son épouse (Chantal Defachelle) continue à le décharger des couleurs ou à le seconder sur certains scénarios (comme « Intox » dessiné par Olivier Mangin chez Glénat de 2003 à 2008 ou « Tombelaine » dessiné par Bernard Capo chez Casterman de 2001 à 2006).

Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes

(1) Ces huit pages solidement documentées ne sont pas les seuls travaux de Luc Révillon (historien reconnu comme tel et spécialiste du genre en bande dessinée) sur Gilles Chaillet : on lui doit aussi un « Petit Vasco illustré » paru au Lombard en 1994 (lequel sera réédité et augmenté pour l’occasion dans le tome 7 de cette intégrale) et, bien avant, un solide dossier très illustré sur les débuts de ce sympathique créateur dans le n°2/3 du fanzine Le Fond du sac en janvier 1984, puis dans le n°52 de Sapristi ! au printemps 2003 : dossiers dont nous nous sommes largement inspirés !

(2) « Vinci » n’est pas la seule œuvre commune de Gilles Chaillet et Didier Convard puisque les deux amis avaient déjà travaillé ensemble sur une dizaine de pages pour le premier tome du « Triangle secret » en 2000, aux éditions Glénat.

(3) D’après Luc Révillon, Gilles Chaillet en aurait cependant retrouvé quelques dessins réalisés alors qu’il avait six ou sept ans.

(4) Rome est aussi le cadre de deux recueils d’illustrations dans la collection « Les Voyages d’Orion » , réalisés par Gilles Chaillet au textes et aux dessins (chez Orix en 1993), lesquels seront remaniés pour devenir « Les Voyages d’Alix » chez Dargaud puis Casterman, et de « La Dernière Prophétie », série créée en 2002 pour la collection « La Loge noire » (dirigée par Didier Convard) chez Glénat et dont le dernier tome est repoussé à 2010 ; cette capitale transalpine devrait également l’inspirer pour deux autres projets : un triptyque sur la Rome Antique et l’autre, toujours sur Rome, mais à l’époque baroque.

(5) Ces derniers étaient écrits par Guy Vidal et coloriés par une de ses collègues du Studio et par Chantal Defachelle.

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5 réponses à « Vasco » de Gilles Chaillet

  1. Joseph Gathy dit Vascojhen dit :

    Un couple absolument génial , professionnel , convivial , discret et fort humble qui mériterait plus d’honneur et de récompenses .

  2. Bravo pour votre article! C’est assez rare que l’on parle de Gilles Chaillet dans les webzines…ou magasine papier et c’est dommage. (nous avons réalisé un special Chaillet il y a 2 ans pour le webzine, les enfants d’Alix).
    Simplement vous dire que l’encreur de Gilles Chaillet, Marc Jailloux reprend le personnage de Orion, créé par Jacques Martin, (publié à l’époque aux éditions Baggehera, dirigée par Monsieur Moliterni), avec un graphisme très proche de J.Martin.

  3. une fille du collège de 5 eme dit :

    c une question
    je voudrais savoir tous les nom des personnages silvouplait pour mon cour de francais pour pouvoir aller au festival d angoulème meci beaucoup

  4. amaia dit :

    c encore moi cet article est interressant mais je voudrais très bien savoir tout les personnage de la bd vascoavec des images si se n est pas trop demandé avant lundi 5 octobre 2009 merci d avance aurevoir

    • Anonyme dit :

      Bonjour,

      les première editions sont elles cotées ? en effet j’ai le 16 17 18 20 et 21 en première edition et je cherche à les vendre … je suppose qu’elles valent plus que les versions standard ?

      merci bcp !!!

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