Depuis 2021, chaque année, Tiburce Oger rassemble une belle équipe de dessinateurs et dessinatrices pour évoquer l’Ouest américain à travers des personnages authentiques – le Far West, donc – et l’exploitation de ces territoires par des individus qui oubliaient, bien souvent, qu’ils n’étaient que des colonisateurs assoiffés de richesses…
Lire la suite...Les contradictions du « Grand Duduche » de Cabu
En croisant les confidences de Cabu, dont l’intégrale du Grand Duduche vient de paraître, on s’y retrouve ? un peu !!
Si on en croit Cabu (alias Jean Cabut, né en 1938) dans la postface de la monumentale intégrale du « Grand Duduche » que vient de publier les éditions Vents d’Ouest, ou même quand il se confie à Patrick Gaumer dans « Les années Pilote » (chez Dargaud, en1996), c’est parce que la parution d’Hara-Kiri fut interdite, en 1962, que ce célèbre et incisif dessinateur de presse couru voir ailleurs : et qu’il s’est ainsi présenté chez Pilote, surtout parce que celui qui dirigeait ce magazine écrivait les scénarios de « Lucky Luke » et qu’en ce temps-là , il aimait bien cette bande dessinée.
Curieusement, il tenait un tout autre discours dans le livre que lui a consacré l’ancien professeur de lettres Jean-Paul Tibéri (« Cabu dessinateur pamphlétaire » chez Michel Fontaine Editeur, en 1984 : ouvrage réédité chez Jean-Cyrille Godefroy, en 1990, sous le titre « Cabu passe aux aveux ! »). Là , il avouait que « Au début, ma participation (et celle de mes collègues) à Hara-Kiri était bénévole. Il se trouve que le plaisir, très grand, de pouvoir s’exprimer en toute liberté ne nourrissait pas son homme et qu’il me fallait continuer à placer des dessins et à trouver de nouvelles filières. Par l’intermédiaire d’un copain journaliste qui m’a présenté à Goscinny, je suis entré à Pilote en 1962. »
Cependant, on comprend mieux ce que voulait dire Cabu quand il explique à José-Louis Bocquet (dans son excellent livre : « Goscinny et moi : témoignages » chez Flammarion, en 2007) que « On était très peu payés, et en plus Hara-Kiri était un mensuel : mais quelle émulation ! …Et puis il y a eu l’interdiction du journal en 1962, qui a duré neuf mois. Et là , il n’y avait plus d’argent du tout… J’ai eu envie d’aller voir Pilote parce que je sentais qu’il y avait là quelque chose qui se montait. Je suis tombé sur Goscinny qui a pris tout de suite mes dessins… Il n’avait pas vu ce que je faisais dans Hara-Kiri… ».
En fait, René Goscinny allait reprendre les rênes de Pilote et préparait une nouvelle formule pour rompre avec la période yé-yé avec laquelle l’hebdomadaire de Georges Dargaud flirtait dangereusement. Entre diverses choses, il était en train d’écrire une rubrique sur les étudiants (« La Potachologie illustrée ») et cherchait un dessinateur pour la mettre en images : Cabu, avec son style détaché et son allure d’éternel grand adolescent dégingandé, tombait à pic ! « Il s’agissait de textes illustrés. Chaque semaine, je me rendais à l’appartement de Goscinny, je lui apportais mes dessins et il me donnait le texte suivant. Goscinny vivait encore avec sa vieille maman… Il régnait une atmosphère feutrée, paisible… Sa mère était assise en train de broder un ouvrage de dames. Goscinny était attablé à sa machine à écrire… Par contraste, la veille, j’étais à Hara-Kiri. Choron, bourré, était étendu sur le billard…» s’amusait encore récemment Cabu avec Patrick Gaumer.
Parmi les différents personnages qui évoluaient dans ses « Carnets de croquis » publiés en 1962 dans Pilote, ou au sein de cette rubrique lycéenne, Goscinny remarque un grand personnage, au fond de la classe. Pour lui, il mérite un développement plus important ! Bien vu car « Le grand Duduche c’était moi… Il y a quelques décennies ! » n’hésitait pas à déclarer Cabu dès qu’il en avait l’occasion. Pourtant, dans la préface de l’indispensable intégrale du « Grand Duduche » chez Vents d’Ouest (640 pages dont 200 inédites en album, la photogravure de l’ouvrage ayant été entièrement refaite en partant, dans la majorité des cas, des planches originales), notre versatile pamphlétaire graphique signale que « Duduche me ressemble comme la plupart des personnages de BD ressemblent à leurs auteurs, mais je n’ai pas voulu me représenter. »
Comme il n’en était pas à une contradiction près, Cabu eu aussi le grand mérite d’avoir entraîné à Pilote quelques uns de ses plus talentueux petits camarades d’Hara-Kiri : dont l’immense Fred qui, lui-même, fit venir Reiser, Gébé… En effet, les récits de ces auteurs novateurs n’avaient rien à voir avec l’esprit de ceux que publiait régulièrement le journal d’« Astérix » : une preuve de plus de l’ouverture d’esprit qu’avait René Goscinny !
Ce dernier les laissait travailler en toute liberté, sans censure : « En tout et pour tout, il a dû me refuser trois ou quatre pages, non pas parce qu’il les jugeait trop politiques, mais parce qu’elles n’étaient pas bonnes. Ce qui l’intéressait avant tout, c’était le dessin… » se souvient Cabu dans « Les années Pilote ». Par contre, quand il se livre à Allison Reber dans l’ultime numéro de Bo Doï (le n°121), il enjolive un peu ses souvenirs : « J’adaptais mes récits au public adolescent de Pilote, et jamais aucun n’a été refusé ».
Cabu assure donc, dans Pilote, les pages de gags de son « Grand Duduche », archétype de l’étudiant rêveur, décalé et atypique, auquel de nombreux lecteurs vont s’identifier, pendant dix ans (de mai 1962 à février 1972) : bien après les événements de 1968… « Je n’ai jamais entendu Goscinny parler de politique, ce n’était pas son domaine… Moi, j’étais un soixante-huitard actif… On se réunissait dans des cafés, avec ceux qui étaient un peu moins politisés… On mijotait. Le chef de bande était Giraud qui voulait un pouvoir partagé… Goscinny n’a pas compris, il a pris ça comme une agression, comme une déstabilisation. Il a pris ça comme une remise en cause de son jugement et comme une volonté de prendre le pouvoir. Comme Dargaud. Ils ont cru qu’on voulait prendre le pouvoir… »
Pour ne rien arranger, en 1971, suite à un article de Noël-Jean Bergeroux publié dans Le Monde (où le journaliste accusait Pilote d’être un vil récupérateur), François Cavanna et Georges Bernier (alias le professeur Choron) convoquent solennellement Reiser et Cabu pour leur faire comprendre que l’argument majeur de vente des publications du Square (Hara-Kiri, Charlie-Hebdo, Charlie Mensuel…) est leur originalité : ce qui signifiait qu’il fallait que les deux dessinateurs (à l’instar de Gébé qui avait déjà rejoint son équipe d’origine) leur accordent l’exclusivité. « Ceci dit sur le ton : l’exclusivité ou rien !… Après réflexion, nous nous sommes décidés pour le Square où malgré tout, nous nous sentions plus à l’aise, mais vis-à -vis de Goscinny j’ai toujours regretté ce départ. Goscinny avait pris ça comme une trahison et il en avait gardé une certaine amertume… » précisait Cabu à Jean-Paul Tibéri.
Ayant pourtant signé, précédemment, un contrat d’exclusivité de cinq ans pour le personnage du « Grand Duduche » chez Dargaud, Cabu ne se gêna pas pour dessiner, par la suite, son personnage le plus connu dans Hara-Kiri (de mai 1972 à juin 1976), dans Charlie Hebdo (d’avril 1972 à juillet 1978) et dans Charlie Mensuel (de novembre 1978 à novembre 1979, en plus de trois planches dans le n°1, en 1969) : poussant même la provocation encore plus loin en réunissant en un album, édité par le Square, quelques gags du grand étudiant courbé parus dans Pilote : « Les vacances du Grand Duduche », en 1974. Il se retrouva alors avec un procès et six millions de francs en moins dans sa cagnotte… « Tout compte fait, c’était bien fait pour ma gueule, je n’avais pas besoin de signer n’importe quoi ! » pourra-t-on lire ensuite dans les monographies écrites par l’érudit Tibéri.
De mars 1980 à août 1982, on retrouve pourtant Cabu dans Pilote devenu mensuel, toujours avec Duduche, lequel est devenu baba-cool mais toujours aussi décalé par rapport à son entourage (et même encore tout récemment dans les numéros exceptionnels de l’été 2003 et de mai 2008). « Bernier, qui cherchait, une fois de plus, de l’argent avait invité Monsieur Dargaud à dîner. Ils ont sympathisé et ont convenu que si je le désirais, je pouvais retravailler à Pilote. C’est Guy Vidal qui m’a appris la bonne nouvelle et j’ai volontiers accepté cette proposition. » Beau joueur, Dargaud réédita également, en 1982, « L’ennemi intérieur » : un album de Duduche dont les pages étaient parues dans les diverses publications du Square. Ceci dit, bien avant l’arrivée de Média Participations à la tête des éditions Dargaud, Cabu était parti sous d’autres cieux, se consacrant principalement au dessin de presse et se contentant de faire intervenir son « Grand Duduche », de façon sporadique, dans « Les nouveaux Beaufs » (un strip hebdomadaire paraissant dans Le Canard enchaîné) ou, épisodiquement, dans la nouvelle version de Charlie Hebdo…
Gilles RATIER, avec Laurent TURPIN aux manettes
Mince alors ! Tout un article sur le Grand Duduche sans préciser qu’il ne reste que quelques jours pour visiter son expo de dessins originaux à la Librairie Goscinny…
Par ailleurs quelques précisions amicales :
« Contradictions », le terme est un peu racoleur. Hara Kiri, soumis à des interdictions très déstabilisantes, ne nourrissait pas son homme. Celui-ci est allé voir à Pilote où Goscinny (qui connaissait forcément son travail à Hara Kiri mais n’en parlait pas) l’a accueilli à bras ouverts. Cabu est assez constant dans ses explications là -dessus.
Goscinny a « utilisé » le talent de Cabu pour favoriser l’évolution de Pilote. Et il est exact que leur collaboration intervient à un moment clé (pour en finir avec la période yé-yé). En revanche, Goscinny écrivait-il déjà La Potachologie et lui cherchait un dessinateur ? ou est-ce la rencontre avec Cabu qui l’a incité à l’écrire ? Difficile à dire mais il est permis d’incliner pour la seconde hypothèse.
En revanche l’histoire du grand au fond de la classe déniché par Goscinny relève plutôt de la légende. Le personnage est présent dès les premiers « Carnets de croquis » de Cabu (et il s’agit alors de la représentation de son auteur). Il ne lui restait qu’à grandir un peu et à se trouver un nom. Mais c’est probablement Goscinny qui a incité Cabu à mettre en scène un « vrai » personnage.
Duduche c’est Cabu… par moments et à d’autres moments non. Graphiquement il est dérivé du personnage autobiographique, donc de Cabu tel qu’il se voyait jeune. Sur le plan des idées, Duduche se fait volontiers le porte-parole de Cabu. L’identification n’est pas totale (Cabu ne s’est jamais pris pour Duduche !) mais suffisamment forte pour qu’il soit impensable à Cabu de se priver de son personnage en quittant Pilote. Peut-on imaginer Cabu sans Duduche ? Il ne s’agit pas vraiment de « provocation », même si Cabu a employé le terme, plutôt de la réaction d’un artiste à un contrat qu’il jugeait léonin.
Là où le sujet passe du juridique à l’affectif, c’est que Duduche était aussi devenu un personnage de Goscinny ! Dans sa rubrique « Le Potache est servi » (rien moins que le chaînon manquant entre le Petit Nicolas et les Dingodossiers) Goscinny mettait fréquemment en scène Duduche et ses amis. Retrouver le personnage en vedette d’un journal qu’il perçoit comme hostile était certainement douloureux pour lui.
Quant aux 6 millions du procès de Dargaud, évoqués par Cabu dans le livre de Tibéri, on peut penser qu’il s’agit d’anciens francs.
Le nombre de dessins refusés par Goscinny (l’un d’entre eux est repris dans l’intégrale) n’est pas connu. Mais à l’évidence très faible. Et ils n’ont pas entraîné de conflit (contrairement au fameux épidode de Mandryka). Ce qui permet à Cabu de dire que Goscinny ne lui a jamais refusé de dessin. Ce n’est pas une contradiction, juste une simplification pour ne pas laisser croire, à tort, que Goscinny était un vilain censeur.
Bref. Il reste encore plein de choses à dire sur Duduche et les destins croisés des équipes de Pilote et du Square !
Bien amicalement
(l’expo c’est donc jusqu’au 10 janvier 2009, à la Librairie Goscinny, 5 bis rue René Goscinny, Paris 13, du lundi au samedi de 15 h à 19h30. Renseignements au 06 10 82 65 18 ou sur le site http://www.librairiegoscinny.com)
Intéressant et émouvant. Merci pour cet historique.
Remarque collatérale : deux manières de diriger un journal, Goscinny et Val.
Ajoutons que le premier, outre ses nombreux talents, a été l’un des fondateurs de Pilote quant à lui.
Les « contradictions » de Cabu, seraient exposées de manière incomplète si on ignore Cabu anticapitaliste puis Cabu richissime actionnaire du juteux Charlie Hebdo actuel (dont j’éviterai même d’écrire le nom du « Chef »); Cabu solidaire de toute lutte contre l’injustice, puis Cabu laissant tomber Siné quand il est l’objet de honteuses accusations mensongères (de la part du même « Chef »), et j’en passe… Question « contradictions », cela ne vous semble pas intéressant ?
Cabu, tout comme Val, a vendu ses actions de Charlie Hebdo pour 1 euro symbolique, à la société éditrice du journal. Et, récemment, quand l’existence de Charlie s’est trouvée menacée, il a sorti de sa poche plusieurs dizaines de milliers d’euros pour lui éviter la faillite (source : interview de Jeannette Bougrab sur BFM TV)
Je suis désole de dire que monsieur cabu et décédé