Mongo Sisé, le décès d’un grand de la BD congolaise

Le bédéiste congolais Mongo Sisé est mort vendredi soir 31 octobre à Kinshasa suite à un accident cardiovasculaire.
Si son nom ne dit plus grand-chose à la nouvelle génération de la bande dessinée africaine, Mongo Sisé fut un élément important dans l’histoire de la bande dessinée congolaise.

Un parcours singulier
Né à Kinshasa en 1948, Mongo Awaï Sisé fit ses études à l’Académie des Beaux Arts de Kinshasa dont il sortit diplômé. Tout d’abord peintre-décorateur dans la publicité, il rejoint à la fin des années 60 les services cinématographiques de Congo vox. Suite à une rencontre avec Clément Vidibio, rédacteur en chef de l’hebdomadaire Zaïre, Mongo Sisé devient collaborateur dans la mise en page de ce magazine puis adapte le conte Père, je suis malin du ministre de la culture de l’époque Paul Mushiete. Ses premières histoires originales sortent en feuilleton de deux planches hebdomadaires entre 1972 et 1975, dans la rubrique Notre feuilleton. Elles racontaient les aventures de deux jeunes congolais, Mata Mata et Pili Pili au Zaïre et en Europe : Le chèque (septembre 1972 – janvier 1973), La médaille d’or (Janvier – septembre 1974) et La poudre de chasse (juillet – décembre 1975). Sisé reprenait deux personnages connus du cinéma colonial belge. Ces sortes de « Laurel et Hardy africains » furent les héros d’une vingtaine de films didactiques, tournés par un missionnaire flamand, fou de cinéma, dans les années 50.
En 1974, « Mongo Sisé se voit décerner le premier prix technique de la Bande dessinée par le Centre Culturel Français de Kinshasa… (1)»
En 1978, il monte sa société de production, Mongoproduction. Celle-ci autofinance auprès des éditions Mama-Leki, son premier album de BD de 32 pages : Les Aventures de Mata Mata et Pili Pili : Le Portefeuille.

En 1980, il part s’installer à Bruxelles avec sa famille et entame une collaboration avec le studio Hergé, avec lequel il était en correspondance depuis les années 60. De fait, il devenait le premier dessinateur congolais à entreprendre ce voyage vers l’Occident devenu habituel, de nos jours. Il décroche en parallèle une licence en art graphique section illustration et bande dessinée à l’Académie royale des Beaux –arts de Bruxelles.
Ce séjour correspond à la période la plus prolifique de sa carrière. Il publie quatre BD didactiques (en français et en néerlandais) avec le soutien de la coopération belge au développement (AGCD) mettant en scène un jeune héros africain, Bingo. Le premier ouvrage, Bingo en ville, traite de l’exode rural et des dangers de la ville pour un jeune paysan. Entre chômage, retard dans les paiements des salaires, bagarres et escroqueries, le jeune bingo découvre un monde sans pitié qui finit par l’écoeurer et l’encourager à rentrer dans son village. Le second, Bingo à Yama Kara sort en 1982. L’histoire porte sur les coopératives agricoles dans la gestion de laquelle Bingo s’implique malgré l’opposition des jeunes du village. Dans Bingo en Belgique ou l’interdépendance (1983), celui-ci est invité par André, l’agronome, déjà présent dans le premier tome, qui rentre chez lui après avoir travaillé deux ans à Yama Kara. Dans cet ouvrage Sissé aborde les problèmes économiques et le déséquilibre des échanges entre le nord et le sud. Bingo au pays Mandio (1984) traite de la désertification dans un pays imaginaire d’Afrique où le bois indispensable pour le chauffage et la cuisine vient à manquer, malgré une campagne de reboisement menée par une équipe de scientifiques belges. Mongo Sisé fait également deux apparitions dans Spirou, en 1980 et 1982 (2) devenant le premier africain à être publié dans une revue européenne, juste avant Barly Baruti qui lui succèdera dans le même journal.
Il rencontre Pierre de Witte avec qui il créée Eur-Af éditions. Cette première maison d’édition publiera Le boy, deuxième album de la série Mata Mata et Pili Pili au tout début des années 80 (3) et assurera la promotion de la version commerciale de Bingo en ville.
En 1985, il rentre au zaïre et lance la même année, Bédé Afrique, magazine panafricain de la BD, qui ne vivra que le temps de trois numéros. « Sisé et ses collaborateurs ouvrent ainsi une école de la BD se caractérisant par la variation des genres et des publics. » comme l’a rappelé l’historien Hilaire Mbiye en 2007 (4). L’échec de ce « support BD, instrument permettant aux jeunes talents de se faire connaître (5)», comme Sisé, lui-même présentait sa revue, fut sa dernière incursion dans la bande dessinée.
A partir de cette date là, Sisé devient enseignant à l’Académie des Beaux Arts de Kinshasa dans la section publicité. Au début des années 90, il devient graphiste de Mosolo, la revue de la Banque Nationale du Congo. Puis en 1998, il devient rédacteur en chef de Falanga, nouveau magazine de la banque nationale, pour lequel il créée le personnage Tchinde, avant d’être appelé à d’autres responsabilités au sein de cette institution.

La singularité de Mongo Sisé
Mongo Sisé n’est pas le père du 9ème art local, Avant lui, la Bande dessinée était déjà très vivace en RDC (6). Mais ses Cinq albums, ses séries à suivre, la revue qu’il lança et une longue expérience comme enseignant et graphiste dans la publicité ont fait de Mongo Sisé un précurseur à bien des égards. Premier bédéiste à enseigner à l’Académie des beaux – arts, premier congolais à avoir été publié à l’étranger aussi bien dans des revues comme Spirou qu’en album, il fut aussi l’auteur de la première tentative de lancement de la bande dessinée dans la presse locale généraliste. Enfin, avant tout le monde, il fut celui qui utilisa la bande dessinée pour faire passer des messages en matière de développement ou de coopération. Ses débuts correspondent à l’époque glorieuse de la BD locale, du fait de l’aventure de la revue mythique Jeunes pour jeunes. Le premier numéro de celle-ci sort en 1968, grâce à Achille Ngoie (7) et Freddy Mulongo. « Le succès sera énorme dans tout le Zaïre, jusqu’au cœur des années 70 où Jeunes pour jeunes prendra le nom de Kake (l’éclair) avant de s’éteindre bientôt victime d’embrigadement et de l’éternel problème zaïrois du transport et de la distribution. (8)»
Si Mongo Sisé ne fit pas partie de l’équipe de Jeunes pour jeunes, sa carrière est très symbolique du destin que connurent les dessinateurs de cette revue.
Les 20 années de silence quasi-complet dans le 9ème art qui précédèrent sa mort peuvent en effet paraître étonnantes. Ce n’est pourtant que le reflet de toute cette génération talentueuse de Jeunes pour jeunes (Sima Lukombo, Boyau, Ekunde, Lepa Mabila Saye, Mayo) qui disparut quasi complètement à l’orée des années 80 sans vraiment faire la carrière qu’on leur prédisait (9). Les raisons en sont diverses et tiennent à l’exil, au désastre économique que fut « la zaïrianisation » des années 70 ou à des problèmes de santé.
Sisé reste celui qui fit la jonction et le passage de relais entre cette époque et la génération suivante des Baruti (Mandrill, Eva K.), Tshisuaka (blagues coquines, Le joyau du pacifique), Pat Masioni (Rwanda 94) et autres Tchibemba (Cap sur la capitale). A l’heure de sa mort, certains s’en souviennent, à commencer par Barly Baruti qui lui succèdera au studio Hergé (10). D’autres, comme Tshisuaka (11) ou Tchibemba (12), ont rappelé qu’ils avaient travaillé avec lui au début de leur carrière dans la revue qu’il avait lancé. Certains, plus jeunes, l’ont eu comme enseignant : Pat Mombili (blagues coquines) ou Thembo Kash (Vanity).
Il est vrai que Sisé a une place à part dans la très riche histoire de la bande dessinée congolaise. Les dessinateurs de Jeunes pour jeunes portait un « sens très filmique du cadrage, gros plans expressifs, traitement sur du noir et blanc » donnant « au lingala des rues ses titres de noblesse », signe de « la créativité de la rue, toujours snobée, refoulée et toujours renaissante (13)». Mongo Sisé, lui, était un auteur complet joignant un incontestable talent graphique à un véritable sens de la narration, très influencé par l’Europe, en particulier Hergé, qu’il avait rencontré plusieurs fois lors de son stage de formation à Bruxelles. On peut d’ailleurs constater l’influence de Hergé dans le style mi-humoristique mi-réaliste de Sisé, très proche de la « ligne claire », l’amour pour les voyages de ses héros ainsi que le physique de Bingo (toujours affublé d’un petit chien), véritable copie africaine de Tintin. Mais Mongo était plus qu’un admirateur du maître de la BD européenne. Comme le rappelle Serge Gennaux, l’un des piliers du journal Spirou, en 1980, il avait : « incontestablement le sens de la narration. Votre scénario est bien ficelé. Votre découpage est bien fait. Très lisible. Il y a du mouvement, de l’action, ça bouge tout le temps. C’est vif et gai. Les deux personnages principaux sont bien campés. (14)»
Sur le plan du contenu, la série des quatre Bingo démontre une prise de conscience de l’auteur face aux problèmes qui se posent en Afrique : exode rural, industrialisation, agriculture, choc des cultures, etc…. et ceci quelques années avant que Barly Baruti, ne lui emboite le pas avec plusieurs titres de la même veine (Le temps d’agir – 1982, Le village des ventrus – 1983, Aube nouvelle à Mobo -1984, L’héritier – 1991, Le retour – 1992, Objectif terre – 1994), démontrant tous les deux qu’il était possible de faire de la BD didactique de commande de façon intelligente et citoyenne. L’influence de Sisé sur Baruti peut d’ailleurs se voir également dans l’une des premières œuvres de fiction du second (La voiture, c’est l’aventure – 1987), très influencée dans le processus narratif (sans doute involontairement) par Le boy.

Mongo Sisé est il mort trop tôt ?
Sans doute. Car, plusieurs signes montrent que les congolais et les amateurs de BD commencent à redécouvrir cette « génération perdue » du début des années 70. Un hommage leur fut rendu en septembre 2007 lors de l’exposition Talatala qui s’est tenue à Bruxelles. La revue Kin label, devenue en deux ans une véritable référence en la matière, a commencé à éditer plusieurs gloires passées : Lepa Mabila Saye (N°4 et 5), Boyau (N°5), Ekunde (N°5). Asimba Bathi (rédacteur en chef) avait mis Sisé sur ces tablettes. Enfin, Alix Fuilu, responsable du collectif Afrobulles, l’avait approché en début d’année afin de lui proposer de rééditer certaines de ces histoires passées.
La mort est venue interrompre ce qui aurait pu constituer la seconde carrière de cet artiste atypique, en avance sur son époque. Il ne reste plus qu’à espérer… Espérer que l’on puisse trouver au fin fond d’un tiroir une histoire inédite de Mata Mata et Pili Pili ou de Bingo et l’éditer. L’éditer afin que les enfants congolais de maintenant puissent se rendre compte à quel point leurs parents et grands parents avaient du talent quand on les laissait s’exprimer….

Christophe Cassiau-Haurie
Tamarin – Île Maurice
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(1) Notice biographique de Alain Brezault : http://www.africinfo.org/index.asp?menu=affiche_artiste&no=12154
(2) N°2188 (en 1980) et 2314 (en 1982, avec 4 pages de Mata Mata et Pili Pili).
(3) Un album de Mata Mata et Pili Pili (Les patrons de Lotokana) avait été annoncé mais l’auteur de ces lignes ne sait pas s’il a effectivement été édité.
(4) Bulles et cases congolaises. De Mbumbulu à Mfumu’Eto, http://www.talatala.cd/spip.php?article55
(5) Extrait du journal Elima, Kinshasa, 21 avril 1986.
(6) Pour lire sur les débuts de la bande dessinée congolaise, voir http://www.africultures.com/index.asp?menu=affiche_article&no=8081 mais aussi un article de Alain Brezault et Jean Pierre Jacquemin : http://www.africultures.com/index.asp?menu=affiche_article&no=6907
(7) Aujourd’hui, auteur de romans policiers en France.
(8) Jean Pierre Jacquemin, Jeunes pour jeunes et compagnie.., Un Dîner à Kinshasa, ASBL Ti Suka, 1996.
(9) Lepa Saye a animé quelques temps la revue Junior qui paraît encore de temps à autres. Mayo, après une période tournée vers la musique, a lancé en Allemagne en 2006-2007 un périodique en lingala, Suka époque (http://www.suka-epoque.de/Suka-Epoque.htm) qui ne paraît plus de nos jours.
(10) J’ai eu l’immense plaisir de le rencontrer personnellement pour la première fois sur le plateau de « La Voix du Zaïre » au cours de l’émission télévisée « Culture et Arts » de Kieri Ngunya Wawa. Nous avons sympathisé. Nous avons parlé de mon séjour imminent aux Studios Hergé sous la direction de Bob De Moor (studios où il avait déjà été précédemment alors que Hergé était encore en vie). En grand frère, il m’a prodigué quelques conseils. On s’est peu revu à mon retour vu ses multiples occupations et ses fréquents voyages. Je garde de lui un souvenir inoubliable. (échange de courriel avec l’auteur, le 07/11/2008)
(11) J’ai eu le plaisir de travailler avec lui sur un scénario qu’il m’avait concocté pour le compte de Bédé Afrique en 1986. C’était la rubrique Kwindi et la terre de feu, quelques planches ont été publiées. Je n’ai jamais su réadapter convenablement l’histoire au style de dessins qu’il voulait, je m’étais perdu dans le méandre des angles de vue. Rien ne pouvait égaler son style fluide et simple (échange de courriel avec l’auteur, le 07/11/2008)
(12) Nous avons collaboré avec lui pendant un certain temps dans sa revue (échange de courriel avec l’auteur, le 08/11/2008)
(13) Jean Pierre Jacquemin, Jeunes pour jeunes et compagnie.., Op. cit.
(14) L’école de la BD, N°2188 (1980)

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2 réponses à Mongo Sisé, le décès d’un grand de la BD congolaise

  1. Pierre De Witte dit :

    Bonjour, Félicitations.

    J’ai très bien connu Mongo Sisé et je dois dire que votre article est très bien fait.
    Peu ou pas d’erreurs, ce qui est rare en ces temps.

    Pierre de Witte
    ancien PDG de EUR-AF éditions

    Voyez aussi mon beau site
    de collection de dictionnaires ->http://www.dico-collection.com

    • MONGO dit :

      A Pierre et à Christophe,
      Pierre est certainement le mieux outillé pour parler du séjour belge de Sisé.
      Il est resté dans un grand estime de mon frère, qui évoquait leurs relations sur des notes pleines
      de fraternité et de chaleur humaine. Les enfants de Sisé ont eu pour coutume de l’appeler « Tonton
      Pierre ». Je pense, évidemment à Mimi Mongo, la fille aînée de Sisé.
      Ce travail de mémoire qu’entretient Christophe se décline comme des vers latins respectant la rime et le nombre de pieds afin que la valeur thématique épouse, bien entendu, le professionnalisme de l’écrit dans la cohérence de l’historicité du vécu des faits.
      Mes amitiés autant à Pierre qu’à Christophe !
      José Mongo.

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