« Grands Reporters » : collectif

Voyage et reportage ne sont guère éloignés. Comment ne pas rapporter ce que l’on a vu par les mots, les photos… ou les dessins. Alors que les croquis des carnets de voyage ont le vent en poupe, les bandes dessinées savent également mettre le monde en scène – ou, plutôt, le prendre tel qu’il est-, ce qu’a très bien compris la revue trimestrielle XXI qui invite dans chacun de ses numéros un auteur et son voyage en une trentaine de planches. De fait, « Grands Reporters » réunit vingt de ces récits qui par l’image et le mot dessinent et décrivent la planète. Un dessin valant mieux qu’un long discours, comme chacun sait, que dire d’une « bande de dessins » ?

Qu’il s’agisse des travailleurs étrangers qui rêvent d’Europe dans « Les Visiteurs de Gibraltar », de l’Afrique des retraités touristes (dans « L’Afrique de Papa »), qu’il s’agisse des « Enfants de Kinshasa », des travailleurs des bidonvilles de Bombay ou des éléphants du Laos, tout est possible en BD. « La Route du kif » ou « Les Vertiges de Quito » ? Rien n’est intraitable. Gravir, malade, le Mont-Blanc ou s’extasier de l’infini du ciel dans un désert du Chili ? Pas plus de difficulté. Qu’on s’intéresse aux agriculteurs des Landes, aux cueilleurs d’abricots (en Italie), ou aux « Fermiers aux pieds nus » indiens, le dessin en fait son affaire, car l’auteur dessinateur ne s’est pas seulement ouvert au monde, il y est allé ! Comme le rappelle le rédacteur en chef de XXI dans sa préface : « Pour raconter le monde, les auteurs sortent de leurs cases de papier » et « s’ils ne sont pas étiquetés journalistes, ils en ont les principales caractéristiques, dont une essentielle l’honnête curiosité (…). Portés par des regards d’auteurs souvent présents dans la narration, ces récits racontent et témoignent. Les dessins disent la chaleur, la boue, l’espoir, la confusion, la joie ». Absolument !

L’engagement est d’ailleurs ce qui ressort de cet ensemble, un engagement qui consiste à présenter à montrer, à démontrer peut-être : la condition des travailleurs (des paysans indiens aux chauffeurs routiers iraniens), la dénonciation des  enfants des rues de Kinshasa ou celle des enfants soldats du Congo, la défense des peuples opprimés (les Roms), la vie des femmes arabes… Et même l’amour à la Chinoise par Denis Deprez.

De la Chine à Cuba, de l’Iran au Yémen, la diversité et la qualité du travail sont telles qu’on reste impressionné par tant d’acuité, tant d’exigence. Et cela avec une évidente souplesse du moyen d’expression : des couleurs lourdes de Stassen aux couleur lumineuses de Ferrandez, du trait croquis des Le Roy ou Harambat au trait épais d’Olivier Balez, du noir et blanc hachuré de Sacco à l’élégance d’un Bertotti, des photographies convoquées par Guibert ou Hippolyte jusqu’aux mises en pages savamment brouillées de Kugler, la richesse du Neuvième Art saute aux yeux. Il suffit de feuilleter cet épais volume (656 pages !) pour apprécier cette diversité graphique et narrative étonnante où l’on retrouve les grands noms de la bande dessinée de reportage : Joe Sacco, Emmanuel Guibert, Jean-Philippe Stassen, Olivier Kugler… ou le surprenant Tronchet évoquant son séjour au Pérou !

Certains de ces récits avaient déjà fait l’objet d’albums indépendants : « Cuba, père et fils », par exemple, chez Casterman, alors complété d’un copieux carnet de voyage. Ou bien « Le Monsieur de la rue » dont on réédite ici la première version, et non celle des éditions La Boite à Bulles (titrée « Hosni, SDF + » et complétée de quatre autres témoignages de SDF illustrés de photographies). Idem pour « Sous le ciel d’Atacama », réédité chez Casterman, suivi d’un dossier d’une quarantaine de pages oscillant entre le carnet de voyage et le rédactionnel documentaire. N’oublions pas « La Cordée du Mont Rose », récit émouvant et poignant sur les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, déjà publié aux mêmes Arènes et chroniqué ici-même sur BD Zoom où nous avons également présenté « L’Afrique de Papa », dans sa réédition de l’éditeur Des Bulles dans l’Océan.

« Grands Reporters » est donc un livre de poids, au vrai comme au figuré, un livre cadeau aussi, c’est probable en cette fin d’année, mais quel beau cadeau que d’inviter aux voyages et d’inciter à la réflexion humaniste !

Alors, bons voyages,

Didier QUELLA-GUYOT  ([L@BD->http://www.labd.cndp.fr/] et sur Facebook).

http://bdzoom.com/author/didierqg/

« Grands Reporters » : collectif

Éditions  Les Arènes / XXI (39, 80 €) – ISBN : 978-2-3520-4212-9

Le site de la revue XXI : http://www.revue21.fr/

NB : Sur BD et reportage, on peut se reporter à l’ouvrage pédagogique de Laurent Lessous  : « La Bande dessinée de reportage, histoire, actualité, société » sur  http://www.la-bd-de-case-en-classe.fr/.

 

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