« Martin Mystère »

Avant d’être un succès de télévision, aujourd’hui transposé en album, « Martin Mystère » est d’abord un best-seller de la bande dessinée italienne.

« Martin Mystère » est un dessin animé franco-italiano-canadien (produit par Vincent Chalvon-Demersay et David Michel, les producteurs de la série télévisée « Totally Spies ! », et réalisé par Stéphane Berry) qui cartonne sur le petit écran ! Et il vient juste de connaître une adaptation en bandes dessinées, aux éditions du Caméléon* : deux sympathiques albums sont déjà parus (« Le réveil du sorcier » et « Le hurlement du loup-garou ») et raviront surtout les plus jeunes d’entre-nous…

Mais saviez-vous que ce feuilleton télévisé, mettant en scène des adolescents ordinaires qui vivent des aventures extraordinaires, n’est autre qu’une adaptation (certes, pas très fidèle) d’une bande dessinée italienne éponyme, créée en avril 1982, par le scénariste Alfredo Castelli et le dessinateur Giancarlo Alessandrini, pour les fascicules de poche de l’éditeur transalpin Sergio Bonelli ?

Labellisée « le détective de l’impossible », cette série raconte les aventures de Martin Jacques Mystère, un aventurier-écrivain (diplômé d’anthropologie et spécialisé en archéologie, histoire de l’art et cybernétique) : ses recherches sur les énigmes du passé l’entraînant très souvent sur la piste de légendes ou de secrets millénaires… Il est toujours accompagné de Java, un homme de Néanderthal découvert en Mongolie (et dont il est devenu le tuteur), et de sa fiancée Diana Lombard (qui, dans le dessin animé, est devenu sa demi-soeur) pour affronter la secte des « Hommes en noir » ou son ancien compagnon de classe Sergeij Orloff, qui, comme lui, a reçu l’enseignement d’un sage tibétain, mais qui a choisi le côté obscur de la force !

Avant d’écrire ces récits très documentés, lesquels renouvellent les poncifs du roman populaire en accumulant les citations et les références culturelles, l’érudit Alfredo Castelli (qui est aussi un puits de sciences dans le domaine du 9ème art !) n’était pas un débutant ! Il avait déjà écrit de nombreux scénarios (pour « Diabolik », « Cucciolo », « Zio Boris », « Zagor », « Gli Aristocrati », « Mister No »…), passant allégrement de l’humour au réalisme, et avait dirigé quelques revues spécialisées comme Tilt, Horror ou le Corriere dei ragazzi. C’est en 1978 qu’il a eu l’idée de cet « Indiana Jones » (avant l’heure) en mettant en scène un descendant d’Allan Quatermain (le héros créé par Sir Henry Rider Haggard pour le roman « Les mines du roi Salomon », en 1885) dans un récit inachevé, illustré par Fabrizio Busticchi et publié dans la revue transalpine Supergulp : à noter qu’on y trouvait déjà le personnage emblématique de Java ! Il remanie alors son projet pour la télévision en le titrant « Martin Mystère Detective of the impossible » et, finalement, cela deviendra une bande dessinée d’environ quatre-vingt dix pages mensuelles en noir et blanc, mis en images efficacement par Giancarlo Alessandrini : un prolifique artisan, qui avait, jusqu’à lors, beaucoup travaillé sur des bandes comme « Diabolik », « Rosco y Sonny », « Ken Parker », « Long Rifle », « Mister No »…, qui illustrera par la suite une version inédite d’« Indiana Jones » scénarisée par Claude Moliterni en 1993, et qui conclura le « Quintett » de Frank Giroud en 2007.

« Martin Mystère » s’impose alors, très rapidement, comme l’un des plus grands succès de l’édition italienne de la fin du XXème siècle (avec « Dylan Dog » de Tiziano Sclavi et Angelo Stano, chez le même éditeur, que notre archéologue rencontrera dans un album spécial de 160 pages : « L’investigateur du cauchemar », en 1990). Les signatures s’y sont alors multipliées, remplaçant épisodiquement celles des créateurs : Angelo Maria Ricci, Franco Bignotti, Gaspare et Gaetano Cassaro, Claudio Villa, Giampiero Casertano, Salvatore Deidda, Giovanni Freghieri, Enrico Bagnioli (alias Henry), Pino Rinaldi, Corrado Roi, lucia Arduini, Marco Bertoli, Alessandro Chiarolla, Luigi Coppola, Giovanni Crivello, Franco Devescovi, Nando et Denisio Esposito (alias les Esposito Bros.), Lucio Filippucci, Fabio Grimaldi, Paolo Morales, Paolo Ongaro, Giuseppe Palumbo, Giovanni Romanini, Luigi Siniscalchi, Rodolfo Torti, Luisa Zancanella… et même des invités surprise comme Sergio Toppi, Giorgio Cavazzano, Leone Cimpellin ou Eugenio Sicomoro (pour la partie graphique), et Claudio Chiaverotti, Alessandro Russo, Ade Capone, Giuseppe Ferrandino, Luigi Mignacco, Pier Capi, Vincenzo Beretta, Michelangelo La Neve, Enrico Lotti, Andrea Pasini, Pier Francesco Prosperi, Carlo Recagno, Stefano Santarelli, Tiziano Sclavi ou le trio Michèle Medda, Bepi Vigna et Antonio Serra pour les scénarios (et pour ne citer que les plus actifs !).

Ceux qui veulent encore plus de précisions iront voir le site officiel de la série (http://www.bvzm.com/francais/fra_set.html) et surtout celui de Bonelli (http://www-en.sergiobonellieditore.it/auto/cpers_index?pers=martin) ou se référeront encore aux passionnants articles de Manuel Hirtz dans le n°70 du Collectionneur de Bandes Dessinées, de Gérard Thomassian dans Hop ! n°58, de Patrick Gaumer dans son indispensable « Larousse de la BD » ou encore de Claude Moliterni dans le « BD Guide ».

Hélas, les lecteurs francophones ne connaîtront qu’une infime partie de ces aventures imaginatives et souvent désinvoltes. Les 32 premiers épisodes de « Martin Mystère » (dessinés alternativement par Alessandrini, Ricci, Bignotti, Cassaro, Villa et Casertano, mais tous scénarisés par Castelli) furent d’abord traduits dans les numéros 211 à 242 du pocket Ombrax des éditions Lug (de 1983 à 1985), lesquelles lui consacreront aussi un fascicule à son nom, mais qui ne dépassera pas les deux parutions (en 1987), proposant les épisodes italiens n°33 à 35 (dessins de Ricci et Cassaro).

Evidemment, comme c’est trop souvent le cas dans les petits formats, les héroïnes sont systématiquement rhabillées et quelques rares cases sont supprimées mais, dans l’ensemble, cette édition ne présente pas trop de remontages, et même un peu moins que celle proposée par les éditions Glénat (pourtant en collaboration avec Bonelli), de 1993 à 1995. Six gros albums furent ainsi publiés, sans véritable continuité (dessins de Alessandrini, Cassaro, Freghieri et Roi ; scénarios de Castelli, Medda, Vigna et Serra), et sans rencontrer le succès espéré : les amateurs francophones leur préférant les albums cartonnés en couleur, alors que le public populaire avait depuis longtemps délaissé les pockets et n’allait pas tarder à se rabattre sur les mangas !

En janvier 2000, les éditions Semic France (ex-Lug) donnèrent une dernière ( ?) chance à cette série en reprenant les 19 premiers épisodes déjà publiés dans Ombrax à partir du n°286 de leur pocket Mustang, ceci jusqu’au n°312 de septembre 2003 (il existe un n°313 de novembre 2003 mais il ne contient plus aucune trace de « Martin Mystère », si ce n’est qu’en personnage illustrant la page de titre), et en publiant un album grand format reprenant le premier des « Martin Mystère Albo Gigante » (toujours dû à Castelli et à Alessandrini), annuels présentant de fastes inédits, depuis 1995, en Italie. Hélas, l’année 2003 sonnera le glas des traductions françaises de ce mythique héros Bonellien (et aussi des éditions Semic France, dans une certaine mesure) !

Les seuls espoirs qui nous restent de revoir une traduction bienvenue de cette formidable bande dessinée bimestrielle qui continue à être très prisée dans son pays d’origine (le 10 décembre 2008, elle fêtera son 300ème numéro avec un épisode, exceptionnellement tout en couleurs, écrit par Carlo Recagno et dessiné par Giancarlo Alessandrini, Bruno Brindisi, Daniele Caluri, Esposito Bros., Lucio Filippucci, Giovanni Freghieri, Corrado Roi et Rodolfo Torti), c’est que l’adaptation BD du dessin animé marche au-delà des espérances et que cela donne des idées à Média Participations (dont les éditions du Caméléon sont une filiale) ; ou que la tentative de relance des fumetti en France par les éditions Clair de Lune (lesquelles ont commencé leur programme par deux excellents titres qui méritent vraiment le détour, voir : http://bdzoom.com/spip.php?article3576) soit couronnée de succès (en tout cas, ça serait mérité) pour permettre à son responsable (Pierre Leoni) de retenter l’expérience : on peut toujours rêver, non ?

Gilles RATIER, avec LAurent TURPIN aux manettes

* Il s’agit, en fait, d’une œuvre collective réalisée à partir des interventions maquettées par le studio d’animation Marathon Animation, à partir des 66 épisodes de 26 minutes que compte cette série, dont 3 saisons ont été déjà diffusées à l’antenne sur Canal J (depuis le 15 novembre 2003) et sur M6Kid (depuis 2006).

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4 réponses à « Martin Mystère »

  1. Suarez dit :

    Merci pour cet article de référence sur Martin Mystère. Voilà de quoi contextualiser un immense succès récent de nos chère têtes blondes.

    • Jean-Fritz dit :

      bonjour,

      Pourriez vous préciser les modifications apportées par glénat à Martin Mystère dans la collection 2 heures 1/2? Un remontage, suppression d’une case n’est jamais sans conséquence. Par exemple l’édition cornélius de Necron n’a rien à voir avec celle d’albin michel, même s’il n’y a pas de censure dans les deux cas.

      merci

      • Gilles Ratier dit :

        Gérard Thomassian (grand spécialiste des petits formats) précise tout cela, avec tous les détails, dans le n°58 de Hop !, article de référence comme je le précise dans l’article : là où dans Ombrax les femmes sont simplement rhabillées, dans les albums Glénat ce sont carrément des bandes qui sont supprimées ou des scènes qui sont refaites comme celle de l’entrée en scène de Diana, la fiancée de Martin Mystère. Pourquoi, mystère (comme dirait Martin) ? Il faudrait demander aux responsables de Glénat de l’époque ! Ceci dit, cela ne porte, au total, que sur à peine 10 pages !
        Cordialement
        Gilles Ratier

        • Jean-Fritz dit :

          Merci pour ces précisions. Espérons quand même que Clair de Lune se penche sur les cas de Martin Mystère et Dylan Dog après celui de Tex.

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