PLUS DE LECTURES DE BD DU 27 OCTOBRE 2008

? Tamara Drewe ? par Posy Simmonds, ? Les chevaux du vent T.1 ? par Jean-Claude Fournier et Lax, et ? Mattéo T.1 : 1914-1915 ? par Jean-Pierre Gibrat.

? Tamara Drewe ? par Posy Simmonds – Editions Denoël Graphic (23,50 Euros)

Posy Simmonds, cartooniste au quotidien The Guardian et illustratrice reconnue de livres pour enfants, nous avait déjà conquis, en 2000, avec « Gemma Bovery » : un superbe roman graphique qui nous offrait une relecture moderne du chef-d’œuvre de Flaubert (« Madame Bovary ») à travers un joli portrait de femme et une satire très fine des mœurs de chaque côté de la Manche. Voilà qu’elle nous revient avec une adaptation, également très libre, d’un roman de Thomas Hardy (« Loin de la foule déchaînée ») dont il ne reste au final pas grand-chose, utilisant pratiquement les mêmes ingrédients et la même technique narrative (textes, phylactères et images se partageant la vedette de façon fort harmonieuse) : et le résultat, toujours entre roman et bande dessinée, est une nouvelle fois magistral ! Nous entrons, cette fois-ci, dans l’intimité d’une paisible retraite pour écrivains située dans une petite bourgade de la campagne anglaise. La vaillante maîtresse de maison veille à la tranquillité et au confort de tous, tout en surveillant attentivement son mari, prolifique auteur de polars à succès et incorrigible coureur de jupons. C’est alors que la fille d’une voisine décédée, chroniqueuse mondaine dans un magazine à grand tirage et archétype de la vamp urbaine qui s’est même payé le luxe de se faire refaire le nez, vient habiter le cottage d’à côté. Avec ses airs de princesse et ses envies de célébrité, la flamboyante Tamara Drewe charme d’emblée tous les habitués du lieu : de l’universitaire américain qui travaille sur la quatrième version de son roman autobiographique sur Verlaine au beau jardinier et homme à tout faire qui entretient parfaitement ces domaines campagnards… Comme la densité exceptionnelle des caractères et des sentiments est enluminée par la finesse et la subtilité de son trait, chacun s’accordera sur le fait que Posy Simmond est un grand auteur(e) qui nous a concocté, une fois de plus, un grand livre : en tout cas, l’un des meilleurs qu’il nous ait été donné de lire ces derniers temps !

? Les chevaux du vent T.1 ? par Jean-Claude Fournier et Lax – Editions Dupuis (14 Euros)

Ceux qui croyaient que le Breton Jean-Claude Fournier se cantonnait dans le dessin humoristique pour enfants ont eu tort ! Car celui qui fût le créateur original de « Bizu », l’illustrateur inspiré des « Crannibales » et l’un des plus marquants dessinateurs de « Spirou » est surtout un grand artiste qui a formé des tas de jeunes aujourd’hui célébrés dans le milieu (Emmanuel Lepage, Michel Plessix, Lucien Rollin…) et qui sait, sans cesse, se renouveler. La preuve, à 65 ans, il change radicalement de style, optant pour un trait plus réaliste, en couleurs directes, qui donne l’ampleur nécessaire aux magnifiques paysages Népalais où se déroule cette évocation d’une région sous le joug de la colonisation britannique, à la fin du XIXème siècle. Son pari réussi du réalisme, où le spécialiste reconnaîtra quand même quelques tics caricaturaux qui font le style de ce grand monsieur de la bande dessinée franco-belge, donne également une plus grande humanité aux visages burinés des divers personnages, lesquels vivent, pour la plupart, à l’ombre des plus grandes montagnes du monde, dans la neige et le froid. Même ces « pundits », agents secrets d’origine paysanne qui étaient formés par les Anglais pour aller cartographier, dans la plus grande illégalité, les royaumes fermés de l’Himalaya… C’est l’histoire de l’un d’eux que nous conte, avec son talent habituel, le dessinateur Lax qui, après sa brillante démonstration sur « Amère patrie » (illustré par l’un de ses élèves : Frédéric Blier), se plaît, de plus en plus, à être un scénariste d’exception, conteur spécialisé dans les contextes historiques rarement évoqués en bandes dessinées. Au final, voici une saga familiale, émouvante et sans emphase, qui nous plonge dans un univers singulier mais à la portée universelle !

? Mattéo T.1 : 1914-1915 ? par Jean-Pierre Gibrat – Editions Futuropolis (16,00 Euros)

Après Tardi, Pratt et Comès, pas facile de mettre en bandes dessinées la Première Guerre mondiale ! Surtout quand on a un trait aquarellé, sensuel et élégant, plus propice à évoquer les charmes féminins que les atrocités des combats ! Et pourtant, même si le conflit de 14-18 n’est pas le principal sujet de la destinée de son personnage qui va traverser tous les tourments de la première moitié du XXème siècle (en passant par la révolution russe, le Front Populaire, la Guerre d’Espagne…, jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale), Jean-Pierre Gibrat a réussi à montrer toute l’horreur des tranchées. Avec un trait un peu plus épuré qu’à l’ordinaire, rehaussé par de somptueuses couleurs, l’époustouflant dessinateur du « Sursis » ou du « Vol du corbeau » (et le scénariste original des récents « Gens honnêtes » illustrés par Christian Durieux) nous propose un ambitieux, séduisant et troublant portrait d’un jeune homme ballotté par toutes les désillusions et les espoirs de son époque : un fils d’immigré espagnol et anarchiste, tiraillé entre l’anti-militarisme familial et les pressions sociales ou sentimentales… Son trait sculpte alors les visages et les corps pour leur donner vraiment vie et son art de la narration, aux mille nuances, nous emporte dès les premières pages jusqu’à la 62ème, laquelle délaisse la boucherie militaire pour nous embarquer vers une autre épopée à venir dans l’album suivant. Prévoyant un cycle de quatre opus, qui nécessitera au moins six ans de travail, pour nous conter cette intrigue romanesque, Jean-Pierre Gibrat aborde, sans manichéisme, des thèmes aussi forts que le pacifisme militant ou le fait que l’engagement politique est souvent lié à des démonstrations affectives : que l’on peut se battre autant par amour que par conviction…

Gilles RATIER

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2 réponses à PLUS DE LECTURES DE BD DU 27 OCTOBRE 2008

  1. PANCEV dit :

    Gibrat passe totalement à côté de son sujet sur cet album : erreurs grossières de dessin, aquarelle pas du tout adaptée au sujet (couleurs trop lumineuses).
    C’est un album extrêmement surestimé.

    • Anonyme dit :

      Votre opinion est respectable, mais je ne suis absolument pas d’accord avec vous et il me semble l’avoir bien dit dans ma chronique ! Gibrat ne peux pas passer à côté de son sujet car « le conflit de 14-18 n’est pas le principal sujet de la destinée de son personnage » ! Et, au contraire, je trouve même qu’avec son « trait aquarellé, sensuel et élégant« , il s’en sort fort bien pour décrire l’horreur des tranchées ! Comme quoi, les goûts et les couleurs… Evidemment, je vous laisse la responsabilité de vos commentaires, en espérant que, vous, vous nous laisserez le droit d’estimer (et non de surestimer) cet album !
      Cordialement
      Gilles Ratier

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