« Le Tueur aux mangas » par Yann et Chris Lamquet

Tout comme le rock en son temps, le manga fascine et fait peur à la fois. Cette nouvelle BD en deux tomes, et au titre évocateur, n’est pas faite pour arranger l’image de ces bandes dessinées venues du Japon. C’est un raccourci un peu facile pour faire du sensationnel avec un sujet qui est pourtant assez banal. De quoi relancer le débat sur les tueurs psychopathes qui s’adonnent aux jeux vidéo, regardent des films fantastiques, lisent des bandes dessinées ou se divertissent en jouant aux jeux de rôle.

Sur la couverture, il n’est pas fait mention du fait divers ayant servi de base à la création de cette histoire. Pourtant, on aurait pu s’attendre à ce genre d’accroche facile de la part de l’éditeur. En 2007, la Belgique fait face à un tueur bien réel et manifestement amateur de mangas. Plus précisément de la série « Death Note », puisqu’il signe ses actes par un message en japonais reprenant le nom du héros « Je suis Kira »(1). Il aura fallu trois ans aux enquêteurs pour résoudre cette affaire et inculper quatre personnes en septembre 2012. Il s’agissait, en fait, d’une banale altercation de fin de soirée entre marginaux qui ont trouvé amusant de signer leur forfait en faisant un clin d’oeil à une de leur série préférée.

« Le Tueur aux mangas » reprend la trame du meurtrier laissant un message en japonais. Cette fois-ci, il est réellement écrit avec des kanji et des kana : les caractères de l’alphabet japonais. Incompréhensible pour la plupart des habitants de Bruxelles, sauf pour Zoé qui reconnaît la phrase-choc de son manga favori « Watahiswa Kroko dess » (je suis Croco). Cette bande dessinée débute par trois pages en noir et blanc ne respectant ni les codes, ni le style graphique du manga. Pourtant, nous sommes censés lire l’oeuvre d’une artiste japonaise, Kimiko. Elle a les cheveux roses, élève des méduses et collectionne les peluches hello Kitty. Plus cliché que ça, c’est impossible. Encore plus surprenant, quelques cases plus loin, on découvre un chat, également rose, titiller un pistolet négligemment posé sur un lit. C’est celui de son frère, Kazuo, habitant Bruxelles. En guise d’introduction à cette histoire, on les surprend en train de se passer un coup de fil énigmatique sur quelque chose qu’il FAUT faire. Simple stratagème scénaristique basé sur le non dit, servant à brouiller les pistes et mettre le lecteur dans le doute. Un peu comme si lors d’une soirée, vous arriviez au milieu d’une conversation. Il y a de quoi ne pas se sentir à sa place. Ici, c’est un peu la même chose, on ne comprend rien, mais on sait que c’est fait exprès. Ficelle facile, mais mal exploitée. Le reste du scénario est du même tonneau, groupe de détectives en herbe rappelant un mauvais remake du club des 5 mélangé aux pires séries TV policière, stéréotype à tour de bras sur l’univers des jeunes, policier bourru et comme par hasard détective charmante, mais au caractère bien trempé. Les références au neuvième art sont omniprésentes, « Bob et Bobette », « Ric Hochet », « Les Schtroumpfs », musée de la BD, tout y passe. Le scénariste s’amuse dans cette dualité entre le manga et la bande dessinée.

L’histoire en elle même débute par la découverte d’un tronc humain mutilé et laissé à l’abandon dans un parc bruxellois en plein jour. C’est Zoé qui va en premier trouver le corps ou figure une phrase en japonais écrite sur un pansement. Elle s’enfuit après avoir pris un cliché avec son téléphone portable et en abandonnant malencontreusement son iPad sur place. Une vieille dame passant par là donnera, elle, l’alerte. Ayant réuni un petit groupe d’amis apparemment fans de dessin animé, de manga et d’ésotérisme, Zoé et sa bande décident de ne pas être impliqué dans cette affaire, tout en cherchant pourtant à résoudre l’énigme du tueur aux mangas. Ambiguïté de la jeune fille ne sachant pas réellement quoi faire dans certaines situations qui les dépassent. Le lecteur suit donc en parallèle l’enquête officielle de la police et celle, bien plus artisanale, de ce groupe de jeunes inexpérimentés.

Les passages dessinés en noir et blanc ne font en aucun cas illusion. Aucun poncif propre au manga n’est exploité correctement. Le trait est lourd, les trames quasiment inexistantes et les gris réalisés selon des codes propres à la BD franco-belge. Pourtant, l’amateur de BD, cible principale de cette série, ne remarquera sûrement pas ce genre de détail. Cela marche bien grâce au talent de Christian Lamquet. On retrouve avec délectation son dessin qui a fait les belles heures du journal Spirou ou du magazine (À suivre). Son trait penche du côté du regretté Paul Gillon, gage de qualité en ce qui concerne la mise en scène de personnage réaliste. Les décors sont crédibles et bien documentés. On est à Bruxelles, aucun doute là-dessus. Le passage dans le bar « À la mort subite » ne peut que rappeler des souvenirs à ceux qui l’ont déjà fréquenté. Hauts lieux de rassemblement de la jeunesse, il n’y avait pas meilleur endroit pour réunir ce groupe de jeune détective en manque de sensation forte. Les protagonistes quant à eux, sont variés et immédiatement reconnaissables. Ils ne font pas trop cliché, même si certains ont un accoutrement quelque peu exubérant : il y a des jeunes qui s’habillent comme ça dans la vie de tous les jours, simple observation du quotidien. Le cadrage et la mise en scène font très professionnels, malgré le caractère poussif du scénario. Cette BD reste malgré tout agréable à lire grâce à la fluidité de l’enchaînement des cases.

Flirtant entre deux eaux, ce diptyque s’adresse avant tout aux amateurs de bande dessinée franco-belge. Les fans de manga n’y trouveront absolument pas leur compte : ils sont habitués à de vraies énigmes et à un scénario bien plus poussé que ce qui nous est présenté ici. Du fait divers sordide ayant servi de base à cette aventure, il ne reste que le côté cliché. En aurait-il été de même si le tueur s’était inspiré d’un classique comme « XIII » ? Cela aurait fait moins exotique, c’est une évidence. Reste le dessin de Christian Lamquet, toujours aussi subtil et agréable.

Gwenaël JACQUET

« Le Tueur aux mangas » par Yann et Lamquet
Èdition Casterman (12,95 €) – ISBN : 2203050810
© 2012 – Yann, Lamquet, Casterman.

(1) « Watashiwa Kira dess ». Je suis Kira. Ce nom pouvant être une retranscription du mot Killer (tueur) en anglais. Double sens du manga qui a apparemment échappé à ce tueur amateur de « Death Note ». Tout comme la retranscription en caractère latin ne respectant pas les règles voulant que l’on écrive « desu » et non « dess ». Le scénariste ne maîtrisant apparemment pas le Japonais a également réitéré cette erreur flagrante.

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