On vous a déjà dit tout le bien que l’on pensait de la saga ébouriffante, délirante et jubilatoire « The Kong Crew » d’Éric Hérenguel… (1) Or, voilà que les éditions Caurette sortent une très belle intégrale de luxe de la trilogie (224 pages, dans sa version originale en noir et blanc grisé et en français) : une incroyable épopée hommage aux comics, aux pulps et aux vieux films fantastiques des fifties ! Ceci alors que le tome 3, cartonné et en couleurs, vient aussi à peine de paraître chez Ankama… La totale en noir et blanc ou les trois volumes en couleurs, vous avez donc le choix ! L’essentiel étant de ne pas passer à côté de ces aventures follement drôles, débridées et imaginatives, sous couvert de fable épique et écologique !
Lire la suite...« Wollodrïn » T3 (« Le Convoi 1/2 ») par Jérôme Lereculey et David Chauvel
De couverture en couverture, et qu’il s’agisse d’aventures solitaires, de diptyques ou de séries, les albums de bandes dessinées savent décliner dès le visuel principal une geste héroïque en perpétuelle révolution. Concluons rapidement – et partiellement – que cette « littérature de l’imaginaire » qu’est assez majoritairement le 9ème art a adopté des règles de perception rigoureuses, ce cadre n’excluant pas l’irruption du merveilleux dans le regard de lecteurs attirés par une image accrocheuse… Et de l’imaginaire et du Merveilleux il est fortement question dans notre présente analyse de la couverture des trois tomes successifs de « Wollodrïn ».
En 2007, et dans le cadre de la série « Sept » publiée chez Delcourt, le scénariste (et directeur de collection) David Chauvel avait imaginé pour son complice dessinateur Jérôme Lereculey l’opus « 7 Voleurs » mettant en scène sept personnages issus du folklore de l’heroic-fantasy et chargés de voler le trésor du peuple des nains.
Le succès rencontré par cette quête donna rapidement l’idée aux deux auteurs de développer le monde initialement créé. En janvier et août 2011 paraîtront ainsi dans la collection « Terres De Légendes » (Delcourt) les deux tomes de « Wollodrïn : le matin des cendres », qui reprennent trois des sept personnages initiaux. Ce premier cycle rejoint la trame scénaristique de « Sept voleurs » en réutilisant le concept-clé d’un groupe de héros réuni pour mener à bien une opération dangereuse aux limites de la « Mission impossible ».
Inspiré tout à la fois par le cinéma (on songe autant aux « 7 mercenaires » de John Sturges en 1960 qu’aux « Douze salopards » de Robert Aldrich en 1967) et par la sphère du jeu de rôle (dont le mythique « Donjons & Dragons » dans les années 1970, elle-même déclinée de l’heroic-fantasy, « Wollodrïn » (terme signifiant Le paradis des guerriers) visualise dès sa couverture tous les enjeux et dangers guettant ses principaux protagonistes. Le périple en territoire inconnu et hostile (digne d’une ambiance westernienne assumée), la présence de conflits et de guerres inter-ethniques (humains et orcs, nains et elfes, gobelins et trolls), ainsi que la coalition de caractères à priori très opposés sont autant de renvois aux thèmes portés par ce grand classique qu’est « Le Seigneur des Anneaux » de Tolkien (trois romans parus en 1954 et 1955 ; en 1972 et 1973 en version française). La magistrale adaptation filmique par Peter Jackson en trois volets (2001, 2002 et 2003) aura à son tour influencé les auteurs de Wollodrïn dans leur façon de « montrer » tout un univers en une seule image : qu’on en juge en comparant par exemple la structure triangulaire (symbole de force et d’entraide) de « Matin des cendres » T1 et T2, quasi identique à celle de l’affiche du premier volet filmique selon P. Jackson. Humain, nain, éclaireuse et plus tard orque sont mis en scène dans un environnement physiquement « duel », divisé entre combats de tous ordres et – pour le 1er volume – plaine herbeuse synonyme de grand espace à franchir (pour ne pas dire conquête de l’Ouest…).
Pour le second volume du premier cycle, les protagonistes ont changé (humaine et deux orcs) tandis que la mort est omniprésente à l’issue du combat : armes ensanglantées, cadavres déchiquetés, oiseaux « vautours » tournant au dessus des corps délaissés et fumerolles diverses aux noirs accents viennent sur-évoquer le titre « Matin des cendres ». La couverture de l’intégrale du premier cycle est quant à elle une nouvelle citation directe du « Seigneur des Anneaux » (la communauté de l’anneau en marche), illustration que l’on pourra aussi rapprocher de celle imaginée par Lereculey pour l’album « L’Atlas du Seigneur des Anneaux : les voyages de Frodon », paru en 2003 (éditions BFB-DBD) et réédité en 2010 (Soleil Productions).
Du groupe initial des Sept, dont les compétences variées (archer, soldat, voleur…) renvoient comme on l’a dit autant aux règles du genre qu’aux lois intrinsèques de l’heroic-fantasy et du jeu de rôle (on pourra citer dans ce vaste univers désormais vidéo-ludique des mondes tels ceux popularisés par les sagas « Warcraft » ou « Diablo »), le personnage le plus intéressant est sans doute celui de la ranger Onimaku. Cette ancienne éclaireuse de l’armée régulière a pu constater de près les ravages de la formule « un bon orc est un orc mort », pour reprendre en les détournant à peine les paroles prononcées dans le film « La Prisonnière du désert » (John Ford, 1956), ces mêmes paroles étant souvent attribuées à tort à l’orgueilleux Général Custer. Onimaku sert donc de relais entre les deux visuels du premier cycle et l’on comprendra son changement de camp en visualisant le massacre laissé chez les orcs par la cavalerie humaine visible dès la couverture du premier album.
Dans le tome 3, Onimaku, finalement rangée du côté du peuple qui l’avait enlevé, et du côté de son garde, Hazngar, tente de survivre dans un monde plus hostile que jamais. Nos deux nouveaux héros acceptent de devenir guides pour un convoi, en route vers le pays d’Hingell. Un convoi qui rassemble une étrange communauté que beaucoup aimeraient ne jamais voir arriver à destination…
En recadrant sur un nouveau duo, la couverture de « Wollodrïn » T3 redéfinit à son compte la notion de normalité et de monstruosité, dans une relecture culturelle et psychologique peu éloignée de grands titres littéraires ou filmiques tels « La Belle et la Bête » (Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, 1757), « Frankenstein » (Mary Shelley, 1818) ou « King Kong » (Cooper et Schoedsack, 1933). Le thème du voyage et de la quête impossible (sans compter l’amour entre les deux personnages) est également repris dans ce troisième visuel. L’action guerrière, déjà engagée, visualisée en plongée et selon un angle digne de la 3D isométrique des jeux vidéo, renverra une nouvelle fois à tout un pan culturel interactif de plus en plus connu des plus jeunes lecteurs : côté 10ème art, un titre comme « Diablo » date en effet déjà de 1997 (Blizzard) ; rappelons que l’objectif principal de ce jeu, hérité de « Donjons & Dragons » ( univers médiéval-fantastique) est d’explorer des donjons peuplés de créatures à combattre pour gagner de l’expérience et des trésors, le but final du jeu étant de retrouver Diablo et de le tuer.
La posture des combattants en couverture du troisième Wollodrïn pourra aussi rappeler l’univers des combats de sabre orientaux (samouraïs) et de manière plus générale, au genre « cape et d’épée » tout entier. La pluie renverra à la morosité, à la nature hostile et au monde pessimiste déjà évoqué en couverture des deux premiers opus : l’ennemi (ici une attaque de gobelins, soit des créatures de petite taille, issues des légendes germaniques, et généralement vouées aux rôles de pillards ou de créatures fourbes et maléfiques) est logiquement partout, multiple et inépuisable. Il s’attaque ici, comme la construction du visuel le suggère, au cœur de la communauté désignée, soit le centre du convoi (on songe là encore aux convois des pionniers dans l’Ouest, se protégeant des attaques indiennes) et l’humanité encore nomade. Les premières recherches graphiques de Lereculey montrent la volonté de raconter soit cette itinérance soit le mystère lié à un coffret (trésor ou boite de Pandore ?) porté par un protagoniste encore inconnu (un jeune homme du convoi), mais cerné de créatures ou de cavaliers dont l’aspect horrifique dévoile les sombres manigances…
Ce recentrage du visuel de couverture induit la composition sphérique toujours à l’œuvre aussi bien chez Tolkien (où l’action prend part dans les bien nommées Terres du Milieu, Frodon Sacquet devant au terme de son périple détruire un anneau magique dans un volcan, les deux ingrédients étant évidemment circulaires) que chez Chauvel, puisque saga et album, personnages et ennemis, héros et seconds rôles, armes et objets semblent se croiser et se recroiser pour se compléter sans cesse : citons in fine l’inscription figurant sur l’anneau unique pour Tolkien « Un Anneau pour les gouverner tous. Un Anneau pour les trouver. Un Anneau pour les amener tous et dans les ténèbres les lier. » Puisse tous les lecteurs se retrouver semblablement liés par leur découverte – et leur lecture… – de la saga « Wollodrïn » !
Philippe TOMBLAINE
http://couverturedebd.over-blog.com/
« Wollodrïn » T3 (« Le convoi 1/2») par Jérôme Lereculey et David Chauvel
Éditions Delcourt (14, 30 €) – ISBN : 978-2-7560-3107-1
Pour le second volume du premier cycle, les protagonistes ont changé (humaine et deux orcs) tandis que la mort est omniprésente à l’issue du combat : armes ensanglantées, cadavres déchiquetés, oiseaux « vautours » tournant au dessus des corps délaissés et fumerolles diverses aux noirs accents viennent sur-évoquer le titre « Matin des cendres ». La couverture de l’intégrale du premier cycle est quant à elle une nouvelle citation directe du « Seigneur des Anneaux » (la communauté de l’anneau en marche), illustration que l’on pourra aussi rapprocher de celle imaginée par Lereculey pour l’album « L’Atlas du Seigneur des Anneaux : les voyages de Frodon », paru en 2003 (éditions BFB-DBD) et réédité en 2010 (Soleil Productions).