« Tarzan » T2 par Burne Hogarth

Avant le début de la réédition intégrale d’un autre chef-d’œuvre de l’Âge d’Or des comics (« Prince Valiant » d’Hal Foster) cet automne chez le même éditeur (et en attendant la réédition du premier « Tarzan » de ce même Foster), penchons-nous sur le deuxième volume de « Tarzan » par Burne Hogarth qui vient de paraître chez Soleil. Superbe, bien sûr.

À la fin du premier volume, nous avions quitté Tarzan au début d’une nouvelle aventure où celui-ci croisa le chemin de Klaas Vanger (un prospecteur vagabond) et de colons menés pas le vieux Jan Van Boeren. Nous connaîtrons bien sûr le dénouement de cette histoire dans ce deuxième volume, avant d’embarquer pour une longue aventure mettant en scène le peuple de la mer et celui du feu (qui s’étend sur presque tout l’album), puis de découvrir le contexte d’un récit où le seigneur de la jungle va se retrouver confronté à Dagga Ramba, un empereur noir particulièrement cruel. Je ne vous raconterai bien sûr rien de ces intrigues afin de ne pas vous gâcher le plaisir de la (re)découverte, préférant continuer l’analyse de cette œuvre mythique amorcée lors de ma chronique du T1. Nous sommes fin 1939. En deux ans, Hogarth a trouvé ses marques au sein de l’univers d’Edgar Rice Burroughs ; maintenant, il est prêt à investir l’espace de la planche pour élargir le champ visuel et sortir la série d’un découpage assez monotone structuré selon le fameux gaufrier dont parlait Franquin. C’est aussi le moment où la jungle de Tarzan prend une dimension fantastique plus importante qu’auparavant, plus proche de l’esprit de Burroughs, où l’homme-singe acquiert de plus en plus sa plastique athlétique, moins pataud et lointain qu’à ses débuts hogarthiens.

Élément symptomatique de ces premières aventures de Tarzan, le principe de la belle inconnue tombant amoureuse du seigneur de la jungle (et ne recevant de sa part qu’une compassion amicale) trouve une variante bienvenue avec l’épisode de Klaas Vanger où Matea, la fille Van Boeren, jette son dévolu sur un colon répondant au nom de Groot Carlus et voit en Tarzan plus un ennemi qu’autre chose. La figure féminine dans ces aventures de Tarzan par Hogarth s’affine avec le temps, les héroïnes devenant de plus en plus glamour et sophistiquées dans le trait. Si Matea apparaît encore comme une jeune femme simple, non apprêtée, habillée de manière rustique, il n’en va pas de même pour la princesse Leecia – possédant une grâce d’héroïne de space opera – et la sublime Ta’Ama, tout droit sortie des contes des mille et une nuits. Au sein de cette œuvre plutôt testostéronée où les mâles de toutes les espèces se combattent de manière assez rude, la figure de l’héroïne prend un relief tout particulier – et devient même le pivot du récit en ce sens où elle incarne la convoitise ou la victime à sauver du péril. Au-delà des muscles masculins, des bêtes sauvages et du décorum exotique, c’est aussi dans la représentation féminine que le style d’Hogarth évolue et trouve une certaine grâce (qu’il poussera d’une manière générale jusqu’au kitch dans les années à venir).

 

Il est intéressant de constater combien les trois récits qui traversent ce deuxième volume confirment la spécificité de « Tarzan », à savoir des aventures exotiques africaines qui ne cessent de s’éloigner de ce contexte pour explorer d’autres univers. Ainsi, l’épisode « Klaas Vanger » lorgne clairement vers les ambiances de western, avec ses colons habillés de la même manière que les cow-boys, montant à cheval et sortant leur pistolet de leur ceinturon pour se défendre. Nombreuses sont les cases qui – si on les extirpe du récit en les regardant individuellement – semblent issues d’un bon vieux western des familles ; seul le décor exotique nous oblige à réintégrer l’action en Afrique (cette « dichotomie » que l’on trouve dans « Tarzan » influencera certainement plus ou moins consciemment Hogarth lorsqu’il créera l’Argentine carnavalesque de « Drago » en 1945). Plus étonnant encore, l’épisode des peuples de la mer et du feu nous plonge dans un univers à la croisée des genres qui n’est pas sans rappeler « Flash Gordon ». La première case où l’on découvre la princesse Leecia et l’horrible Jagurt (voir illustration ci-dessus) nous plonge directement dans une atmosphère baroque renforcée par l’arrivée de la garde rapprochée du prince qui ressemble comme deux gouttes d’eau à une légion romaine. Entre science-fiction, péplum, fantasy et aventure, le récit des peuples du feu et de la mer abroge les frontières pour créer « autre chose ». Ci-dessous, un exemple qui illustre parfaitement mon propos : les prêtres mineurs au service du prince n’ont pas du tout l’allure de prêtres tels qu’on pourrait les imaginer, mais plutôt de super-héros (n’oublions pas que nous sommes alors à l’époque de l’émergence des Superman, Captain Marvel et autres encapés). Des cases tout à fait étonnantes où ces « super-prêtres » semblent prêts à s’envoler ou à sortir leur pistolaser..! Enfin, l’épisode de Dagga Ramba penche clairement vers l’esthétique des « 1001 Nuits » (ou plutôt de « L’Atlantide »), avec la mystérieuse et voluptueuse Ta’Ama dont le charme oriental envoûtera n’importe quel lecteur à peu près normalement constitué.

 

À l’instar d’Alex Raymond qui fit exploser le gaufrier de « Flash Gordon » en 1934, Hogarth sort du carcan de la planche dans ce deuxième volume. Certes, il avait déjà souvent regroupé deux des douze cases de la planche pour créer une case plus longue, souvent en début ou fin de page, afin de pouvoir installer une action ou un décor demandant plus d’espace que ne peuvent en proposer les petites cases quasi carrées de rigueur jusque-là. Mais, dans la planche ci-dessous, Hogarth fusionne pour la première fois deux cases dans la hauteur et non la largeur. Cela peut paraître infime et anecdotique, bien sûr, mais ce procédé ouvre un autre espace que celui en largeur auquel le lecteur est désormais habitué ; ce fut bien une petite révolution qui allait permettre à Hogarth de sortir définitivement du carcan des débuts, utilisant bientôt des cases bien plus grandes, équivalentes à trois ou quatre petites cases.

 

La « double case en hauteur » interviendra encore deux fois en ouverture de planche avant qu’Hogarth ne fasse le grand saut avec la planche de l’éruption volcanique qui introduit pour la première fois une méga case ne se contentant pas de son seul espace puisqu’elle déborde même dans le bandeau de titre (ci-dessous). Comme si Hogarth avait eu un besoin soudain et impérieux de sortir du cadre, de faire respirer la série, de lui donner une ampleur qu’elle n’arrivait pas à trouver dans ce satané gaufrier. Dès la planche suivante, Hogarth ouvre la planche sur une grande case carrée lui permettant de retranscrire le gigantisme du séisme qui fait s’écrouler une cité : « Tarzan » vient d’accéder au Cinémascope.

 

Comme galvanisé par cette petite révolution qui le mènerait plus tard à des compositions très éclatées, Hogarth réutilise très vite ces grandes cases carrées pour deux scènes qui resteront gravées à jamais dans l’esprit des lecteurs, lors du fameux raz-de-marée qui engloutit la cité (ci-dessous). L’occasion pour Hogarth de démontrer toute l’étendue de son talent de composition, de réalisme dynamique et de maestria du trait.

Peu après, nous trouvons une case panoramique fusionnant l’espace de trois cases en longueur, preuve supplémentaire qu’Hogarth ne s’interdit plus certaines libertés de création (ci-dessous). Bien sûr, tout ça peut sembler « normal » aujourd’hui, mais même si à l’époque Hogarth fut loin d’être le seul à expérimenter les possibilités de composition de la planche (McCay avait déjà tout inventé dès les débuts de la bande dessinée, et Alex Raymond et Foster ne furent pas les derniers à élargir le champ visuel), il n’en reste pas moins que le cas d’Hogarth a grandement participé à l’évolution de la composition de la planche, ouvrant d’autres espaces. En conclusion, je ne peux donc que vous conseiller de découvrir ce grand classique si vous ne le connaissez pas encore, même si – seul petit bémol – on pourra regretter un format d’album un chouïa trop petit pour apprécier tous les détails du dessin d’Hogarth et un manque cruel d’appareil critique pour une telle réédition qui se veut celle du centenaire de la création de ce personnage mythique…

Cecil McKINLEY

« Tarzan » T2 par Burne Hogarth Éditions Soleil (29,95€) – ISBN : 978-2-3020-2261-4

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2 réponses à « Tarzan » T2 par Burne Hogarth

  1. scipioni antponi dit :

    je souhaiterai acheter la réedition des albums de tarzan

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