Joe Kubert : le storyteller est mort…

Joe Kubert qui vient de nous quitter ce 12 août 2012, à l’âge de 85 ans, était né le 18 septembre 1926 à Yzeran, en Pologne. Ses parents ont émigré alors qu’il n’avait que deux mois et se sont installés à Brooklyn (New York), où son père va travailler dans une boucherie casher.

Sa carrière dans les comics débute en 1941 : il a 15 ans et pour se faire de l’argent de poche, il encre les pages d’ « Archie » de Bob Montana dans Pep Comics chez MLJ Publications…

À 16 ans, il intègre la prestigieuse High School of Music and Art.

Pour financer ses études, il doit travailler au Harry « A » Chesler Sweat Shop, pour lequel il encre et fait les couleurs des magazines édités par Quality, Smash Comics et Police Comics (recolorant notamment les rééditions du « Spirit » d’Eisner à partir du n°11)…

 En 1942, il dessine « Volton » pour Catman Comics n°8 d’Holyoke Publications et enchaîne sur « Flag-Man » et « Alias X » pour Captain Aero Comics, ainsi que sur des back-ups pour Blue Beetle n°13 et 15 chez Fox.

Il entre cette même année chez National Periodical (Future DC Comics) où il travaille sur les séries « Johnny Quick », « Dr. Fate » (dans More Fun), « Hawkman » (à partir de Flash Comics 62, puis All-Star 24 à 37), « Zatara », « The Vigilante » (dans Action Comics), « Newsboy Legion » (Star Spangled Comics), « The Flash » (Flash Comics), « Sargon the Sorcerer » (All-American Comics)…

Pendant son service militaire (de 1950 à 1952, en Allemagne) et plus généralement durant cette décennie, Joe travaille aussi pour Fiction House (Jumbo Comics 43, 44 et Planet Comics 32).

Mais aussi pour Harvey (sur les deux premiers Black Cat), Lev Gleason (Boy Comics 108, 110-118), E.C. (notamment sur Frontline Combat 14 dont la couverture est reproduite ici), Timely-Atlas (Battle 37 et 41) et Avon.

 Pour ce dernier éditeur, il produit également des petites histoires de science-fiction, telles que « Kenton of the Star Patrol » (dans Strange Worlds n°1, parue en France dans Golden Comics n°3), « Death on Skis » (dans Eerie n°9)…

En 1953, assisté de Norman Maurer, il prend la direction éditoriale des revues de St. John Publishing et lance la série de comics en relief 3-D Comics, avec « Mighty Mouse » dans le premier numéro (vendu à 1,2 millions d’exemplaires !), y créant son personnage préhistorique « Tor » dans le numéro 2.

En 1955, il revient chez DC.

Il y réalise « Viking Prince » (dans The Brave and the Bold n°1) et le nouveau « Hawkman » du Silver Age (dans le n°34).

À partir de 1959, avec le scénariste Bob Kanigher, il reprend « Sgt. Rock » (au n°83 de Our Army at War).

Puis, toujours avec Bob Kanigher, il crée « Enemy Ace » (dans Our Army at War 151, puis Star Spangled War stories), considérés comme ses meilleures BD de guerre (et traduites en France aux éditions du Fromage, chez Arédit et, plus récemment, chez Soleil).

Entre 1965 et 1967, il se consacre au strip du Chicago Tribune « Tales of the Green Berets » qu’il réalise avec l’écrivain Robin Moore, mais le climat d’opposition à la guerre du Vietnam nuit au succès de la série.

Il retourne alors chez DC Comics comme directeur de publications et s’occupe d’abord des titres de guerre précédemment édités par Robert Kanigher (Our Fighting Forces, Sgt. Rock…), puis inaugure les licences des personnages de Burroughs (Tarzan, Korak…), qu’il dessine (du 207 au 238), réalisant les meilleures adaptations de Burroughs (avec celles de Russ Manning pour Gold Key / Dell.

Sur la demande du patron Carmine Infantino, il aussi signe de nombreuses couvertures pour ces magazines.

En parallèle, il créé le western indien « Firehair » dans Showcase n° 85. Joe Kubert participe pleinement à la révolution artistique se déroulant à DC dans les années 70…

Fin 1975, il démissionne de ses fonctions et fonde à Dover (New Jersey) la Joe Kubert School of Cartoon and Graphic Art, l’une des plus prestigieuses écoles de BD au monde : après une sélection drastique, ses élèves y bénéficient de stages dans toutes les maisons d’éditions de comic books…

En 1977, avec Yvan Snyder, il publie la luxueuse revue Sojourn, qui n’aura malheureusement pas le succès public escompté, avec seulement 2 numéros parus. Dans les années 80, assisté de Tzivos Hashem, il dessine une série d’histoires d’inspiration judaïque pour la revue Moshiach Times.

Il revient aux comics en 1991 et réalise la série de graphic novels « Abraham Stone » (3 épisodes, dont un publié en France chez Glénat et les deux autres chez Epic).

Toujours chez cet éditeur, en 1993, il réalise la mini-série « Tor », reprenant le personnage créé 40 ans plus tôt pour St. John et auquel il reviendra une nouvelle fois, en 2008, chez Marvel (avec Tor : A Prehistoric Odyssey). En 1994, il signe une histoire avec Doug Murray pour un Medal of Honor Special de Dark Horse et collabore avec Chuck Dixon sur une maxi-série de Punisher War Journal (du n°31 au 36).

En 1996, il obtient la consécration internationale avec le graphic novel « Fax From Sarajevo », illustrant sa correspondance avec son ami et agent Ervin Rustemagić, coincé à Sarajevo pendant le siège de la ville (Prix de la meilleure BD étrangère au Festival d’Angoulême…).

Pour l’Europe, il cosigne avec Nizzi, 4 excellents albums de « Tex Willer ».

Depuis, il a dessiné des art books et des graphic novel, notamment les superbes « Jew Gangster » (racontant l’ascension d’un gangster juif dans le Brooklyn des années 30) et « Yossel: April 19, 1943 », se situant dans le ghetto de Varsovie où une partie de sa famille est morte. Chez DC, il a repris le personnage de Sgt. Rock sur deux histoires (« Between Hell and a Hard Place » et « The Prophecy »).

Dernièrement, il a collaboré au Conan the Cimmerian de Dark Horse et a réalisé en 2010 un dernier graphic novel pour DC : « Dong Xoai, Vietnam 1965… »

Ses deux fils Adam et Andy, anciens élèves de son école, ont repris le flambeau familial.

Joe Kubert était considéré à juste titre  comme l’un des derniers maîtres, un des auteurs les plus influents du comic book, inspirant toute une génération d’artistes, dont l’Espagnol Jordi Bernet…

À l’instar d’un Alex Toth, son style, entièrement dévoué à l’histoire et à sa narration, a évolué vers l’épure totale, loin de tout subterfuge artistique, tout en restant d’un dynamisme et d’une composition remarquables, tant dans ses vignettes que dans sa mise en page.

La mort de Joe Kubert laisse un vide énorme, tant l’œuvre est marquante, particulièrement chez DC… L’auteur de ces lignes a eu le privilège de rencontrer Joe Kubert à Angoulême en 1992, l’occasion de vérifier que l’homme était aussi chaleureux que talentueux…

 Jean DEPELLEY (avec la complicité de Fred Tréglia)

Mise en page : Gilles Ratier, aide technique : Gwenaël Jacquet

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8 réponses à Joe Kubert : le storyteller est mort…

  1. dutrey jacques dit :

    Clair,bien écrit (pas trop de sabir franglais mal digéré), aussi complet que possible dans un espace réduit, bien illustré, bien équilibré cet hommage à un grand artiste (et un sacré bonhomme) est un modèle du genre. Bel hommage.

  2. Olivier Tanguy dit :

    Encore un grand qui nous quitte. Une petite précision : Kubert aurait commencé à travailler dans le monde des comics dès l’âge de 12 ans pour MLJ (sources : The Genesis of Joe Kubert, de Steve Stiles : http://www.stevestiles.com/kubert1.htm ; et introduction de Kubert à son roman graphique Yossel) : 73 ans de carrière et toujours prêt à reprendre les crayons…

    • dutrey jacques dit :

      Il est toujours intéressant de recouper ses sources et de prendre une calculette : MLJ a été fondé fin 1939 (Kubert avait donc alors 13 ans, s’il s’est présenté dès sa fondation!). La première histoire d’Archie, dans Pep Comics #22 date de décembre 1941,Kubert avait 15 ans.

      • Olivier Tanguy dit :

        En effet, Kubert a probablement confondu les dates (60 ans après les faits ça se comprend) sauf s’il a confondu le studio de Harry « A » Chesler qui a ouvert en 1936 (qu’il aurait donc pu fréquenter en 1938) et MLJ qui publiait des histoires produites par ce studio dès 1939-1940… Ceci dit, je pense que l’âge de 15 ans est le plus vraisemblable et est déjà exceptionnel.

        • Olivier Tanguy dit :

          Autre information : le grand comic database donne Joe Kubert comme coloriste du Spirit le 28 juillet 1940, le 9 février 1941, etc. (je sais que les infos données par ce site sont à prendre avec des pincettes mais cela accrédite des débuts précoces)

  3. Jean Depelley dit :

    Merci pour vos commentaires ! Les Tarzan de Kubert chez DC sont pour moi des sommets du comic book américain. Quelle perte énorme…

  4. Bastien Ayala dit :

    Quelle triste nouvelle !…

    On disait de lui, l’une des toutes dernières légendes de l’âge d’or, qu’il était en pleine forme et qu’il s’astreignait à dessiner chaque journée.

    Son amour sincère pour ce média des comics book était incontestable et il a pas mal fait pour aider ce média à évoluer.

    Bravo à Jean Depelley, également, pour avoir écrit cette chronique posthume avec son talent habituel…

  5. Roux Antoine dit :

    Le graphisme et les mises en pages de Joe Kubert pour TARZAN étaient remarquables.
    Son système d’incruster des images dans d’autres images, en particulier, donnait à ses récits un rythme très particulier. J’aimais beaucoup cette mise en images que je retrouvais dans le Buddy Longway de Derib : y avait-il eu influence de l’un sur l’autre? Peut-être qu’à cette époque, dans les comics US cette technique était monnaie courante, mais pour le simple lecteur que j’étais, c’était une façon d’entrer dans ces histoires qui sortait de l’ordinaire…

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