François Craenhals (2ème partie)

Parallèlement aux aventures de « Pom et Teddy » que les éditions BD Must viennent de rééditer intégralement, François Craenhals peaufine son dessin humoristique.

N’hésitez pas à consulter la première partie de cet article.

             Également inspiré par ses lectures de jeunesse (les bandes américaines « Abbie an’Slats » de Raeburn Van Buren et Al Capp ou « Alley Oop » de Vincent T. Hamlin), il le développe depuis plusieurs années, notamment avec des dessins de couverture et quelques récits complets pour Tintin. 

C’est le cas, par exemple, pour un « Tintincolor » publié en mai 1956 (« Luc, Lucette et Tantoche », quatre planches proposées au n°22 belge du 30 mai 1956) ou pour une participation discrèteà la série « Alphonse », habituellement mise en images par Tibet, sur une histoire de deux pages scénarisée par René Goscinny et publiée dans Tintin, en octobre 1958)

ou pour le pocket Tintin Sélection (seize bandes de « Yopi contre les Picothripes », en 1955) et, surtout, en collaborant à Publiart.

Dans ce studio de publicité attaché aux éditions du Lombard et dirigé par Guy Dessicy (ancien coloriste et assistant d’Hergé), ses travaux voisinent avec ceux d’autres débutants : Jean Graton, Dino Attanasio, Albert Weinberg, Berck, Géri, Tibet, Mitteï, Hugo Fonske, Carlos Roque, Édouard Aidans…, ou encore Raymond Macherot ! Ensemble, ils vont constituer la deuxième vague de dessinateurs à s’installer dans les pages du journal Tintin !

« Le Grenadier Victoria »

            Pour Publiart, François Craenhals dessine de nombreux strips publicitaires qui seront également proposés, pour la plupart, dans Tintin (mais uniquement dans la version belge), tels « Grenadier Victoria - Mission dans le bled » (de décembre 1954 à avril 1955), « Governor - Les Aventures de Polochon, campeur modèle » (de mai à juillet 1955) et « Polochon - Le trappeur modèle » (de mai à juillet 1956), ou dans Chez Nous (« Ninette et Titi ») ; voir Les trésors de l’agence Publiart au Centre Belge de la Bande Dessinée…

.           À la même époque, il travaille aussi, de 1955 à 1964, pour la revue confessionnelle Petits Belges (ou Zonneland dans sa version flamande) éditée par l’abbaye Averbode.

Son nom va y côtoyer d’autres grands dessinateurs comme Jijé, Jacques Laudy ou Gervy, lesquels aliment aussi le sommaire de ce petit magazine.

Réutilisant le pseudonyme de F. Hal, il signe d’abord deux aventures de François et Mady Willems (le nom de jeune fille de sa belle-mère) : « Le Secret du manoir » (1955) et « Uranium & Cie » (1956).

Ceci avant de reprendre, en 1956, la série « Johnny l’orphelin » (avec « Le Document 76 ») qu’avait abandonné Renaat Demoen et pour laquelle l’écrivain Jean Ray avait écrit quelques scénarios, de créer une histoire moyenâgeuse humoristique (« Cascade le ménestrel », en 1960) et des gags en une planche (« Roc et  Rol » qu’il signe Clopp, en 1960) ou de multiplier les illustrations (couvertures, posters didactiques et découpages à monter).

            Il y réalise, surtout, dix-neuf bandes réalistes d’une dizaine de pages, sur des thèmes religieux, entre 1958 et 1964 ; tenté, alors, par l’opportunité de rendre une dimension non mesurable à ses dessins qui se basent, d’habitude, plus sur le réel, le quotidien ou l’imaginaire réaliste.

La plupart sont dus, pour le scénario, à Nonkel Fons (alias Oncle Fons), le rédacteur en chef de ce magazine éducatif dont la diffusion, confidentielle, était limitée aux écoles primaires catholiques belges : à l’instar des douze planches de « Martin, fils d’officier romain » (une parution d’août à octobre 1961, rééditée dans Coccinelle,en 1989) et de divers autres récits à connotation religieuse qui se termineront avec « L’Indomptable Héraut du seigneur », en 1964…

« Martin, fils d'officier romain »

            Pourtant, les plus connues de ses mises en images dans Petits Belges ont été écrites par la scénariste Hélène Millet alias Rose Dardenne.

En particulier la bouleversante biographie de Sainte Bernadette Soubirous en trente-deux planches (« Sensation à Lourdes ») publiée de janvier à août 1958 (elle sera reprise, aussitôt, en un album broché en deux couleurs, par les éditions de l’abbaye Averbode).

Mais aussi les vingt-six planches du « Mystère de l’an zéro » (un évangile de Luc qui a été édité de décembre 1959 à mai 1960) réédité dans le fanzine Coccinelle, en 1985, puis en album broché aux éditions Harambee, en 1987.

En décembre 1960, Petits Belges est rebaptisé Tremplin, et François Craenhals y dessinera (avec la collaboration d’Endry pour les décors) trois aventures de « Luc Tremplin », entre janvier 1962 et avril 1965 ; puis ne collaborera plus qu’épisodiquement à cet hebdomadaire, jusqu’en 1984.

            Dans le même registre, on le retrouve aussi au sommaire de la revue scoute Seeonee, avec des illustrations et l’amusant « Adalbert » : un louveteau à l’âge de pierre qu’il dessine, sous le pseudonyme de Clopp, entre 1957 et 1961.

            Toujours dans ce style humoristique, plus rapide et plus simple, sa collaboration au quotidien La Libre Belgique est un peu moins confidentielle, surtout grâce à la série « Primus et Musette » (à partir du 28 juin 1957) : une création loufoque (réalisée avec l’aide de Jean Labar) qui totalise plus de trois mille strips.

La plupart sont repris en quatre albums édités par ce quotidien belge (de 1961 à 1962), puis dans vingt-trois numéros de Samedi Jeunesse -un périodique belge se présentant comme une série d’albums mensuels- (de 1970 à 1973) et dans un album des éditions Loup, en 2001.

            Notre dessinateur y libère son imagination fertile, sans les contraintes de la pagination, tout en insufflant, par l’absurde et le non-sens, nombre de critiques sociales qui, d’ailleurs, provoqueront l’arrêt de cette bande dessinée. En effet, certains lecteurs ayant été choqués par ses ironiques allusions politiques, on ne tarde pas à le rappeler à l’ordre…

À noter que ce travailleur infatigable livre aussi, en 1960, deux courts récits pour Bonux Boy (et l’un d’eux sera repris dans Total Journal en 1967), ainsi que de nombreuses illustrations pour diverses collections de romans pour la jeunesse aux éditions Marabout (en 1953) et Casterman (à partir de 1954) : Nouveaux Vents, Chèvrefeuille, Grand Large, Mistral (dont un superbe « Ivanhoé » de Walter Scott, en 1968)…, et Le Rameau vert puis Relais avec les fameux « 4 As » (à partir de 1957) écrits par Georges Chaulet ; jeunes héros qu’il mettra en bandes dessinées, à l’initiative de l’éditeur ; le premier épisode, « Les 4 As et le serpent de mer », ayant été pré-publié dans Franc Jeux (en France) et La Semaine d’Averbode (en Belgique), en 1966.

            Considérée comme une Å“uvre mineure par les spécialistes du 9e art, cette aimable démarque du style d’Hergé (ce dernier fit d’ailleurs une incursion dans l’album « Les 4 As et la vache sacrée », en 1964, pour y dessiner lui-même deux cases où apparaît son personnage Tintin) n’en est pas moins une collaboration colossale, longue de quarante albums publiés aux éditions Casterman.

Cases finales des « 4 As et la vache sacrée » où apparaît Tintin.

Crayonnés d'Hergé (issus de la revue Les Amis de Hergé n°13, juin 1991).

En effet, « Les 4 As » ont pourtant obtenu, pendant plus de quarante ans, l’adhésion d’un public aussi jeune que fidèle ; alors que seuls quelques épisodes ont été repris en publication dans des revues comme Le Patriote illustré en Belgique (« Le Visiteur de minuit », en 1965) ou Francs Jeux en France (entre 1966 et 1968).

Il en dessinera un quarantième album («  Le Loup de Tasmanie » en 2004), avant d’en confier complètement le dessin à Jacques Debruyne qui l’assistait, sur cette série, depuis le vingt-cinquième épisode publié en septembre 1988(1).

            François Craenhals réalisera aussi, en 1982 et 1983, l’adaptation d’autres romans pour la jeunesse écrits par Georges Chaulet, dans la collection de La Bibliothèque rose : les « Aventures de Fantômette », le temps de trois albums aux éditions Hachette.

Le quatrième et dernier a été dessiné par Endry : un assistant qui aida surtout notre dessinateur sur les illustrations des cinq livres destinés aux plus petits « Hopi et Cati » (dans la collection Farandole des éditions Casterman, entre 1969 et 1970) ou sur trois ouvrages de la collection didactique L’Aventure de la sciencechez le même éditeur (« Fantastique atome » en 1973, « Prodigieux cosmos » en 1974 et « Au cœur du vivant » en 1977), sur scénarios de Jean-Claude Pasquiez (de son vrai nom Claude Bolle).

« Fantastique atome » en 1973.

« Prodigieux cosmos » en 1974.

« Au cœur du vivant » en 1977.

            Malheureusement, dans le registre humoristique, l’insatiable dessinateur n’arrivera pas à imposer son « P’tit Dab », bande dessinée poétique et quelque peu contestataire mettant en scène des petits personnages inadaptés à notre société.

Devant les difficultés rencontrées pour la faire éditer, l’auteur commence alors à douter de ses capacités narratives et fait appel à Thierry Martens pour qu’il reprenne, à sa manière, le thème qu’il développait. Mais tout en est resté au même point… 

Quelques récits en seront tout de même publiés dans Schtroumpf : Les Cahiers de la BD (au n°11 de novembre 1970), dans Tintin version belge (au n°26 de juin 1972) et dans Hop ! (aux n°9 et 10 de 1976).

Cependant, à partir de 1966, s’appuyant sur une importante documentation, François Craenhals, qui désire se renouveler tout en assouvissant sa passion pour le Moyen Âge, signe ce que d’aucuns considèrent comme sa bande dessinée la plus aboutie : la saga médiévale de « Chevalier Ardent ».

Ce jeune et fougueux chevalier courageux, éternel amoureux de la blonde princesse Gwendoline, va alors combattre le Prince Noir et bien d’autres êtres malfaisants.

Publiée dans Tintin et dans ses suppléments, cette série épique réalisée avec un grand réalisme (François Craenhals abandonne, à cette occasion, le pinceau pour travailler à la plume, dans un style proche de ceux de MiTacq ou d’Eddy Paape) ne sera reprise, en albums, qu’à partir de 1970.

Comme Le Lombard ne voulait éditer « Chevalier Ardent » qu’en collection brochée, Craenhals confiera finalement la gestion des albums aux éditions Casterman.

Les histoires courtes, quant à elles, seront compilées chez Horus, Magic Strip, Jonas et Rijperman ; et seules quelques-unes d’entre elles seront publiées dans les sept volumes de l’intégrale consacrée à « Chevalier Ardent » chez Casterman, de 2001 à 2007.

Dans un registre historique initié par Jacques Martin dans le journal Tintin, François Craenhals y développe des aventures dans lesquelles la restitution minutieuse de la chevalerie permet, parfois, quelques envolées remarquables et proches du fantastique, comme dans les épisodes « La Loi de la Steppe », « L’Ogre de Worm » ou « Les Cavaliers de l’Apocalypse ».

            Cependant, sur deux épisodes (« Retour à Rougecogne » et « La Fiancée du roi Arthus », publiés directement en album, sans pré-publication, chez Casterman, en 1991 et 1995), notre dessinateur se fait aider, sur la partie écriture, par Gérard Dewamme, le scénariste de « Tendre Violette ».

            Enfin, entre deux aventures de « Chevalier Ardent » et des « 4 As » ou quelques publicités et diverses planches souvent parodiques pour Tintin ou pour des collectifs (« Pétition » chez Amnesty International, en 1986, et « Téléthon : la BD du défi » au Lombard, en 1990), François Craenhals va aussi coloriser, en 1997, la quatrième édition de l’album gentiment érotique « Epoxy » (dessiné par son modèle graphique Paul Cuvelier, sur un scénario de Jean Van Hamme), pour les éditions Claude Lefrancq.

            En août 2001, il se retire à Rivières (près d’Alès, dans le Gard), avec sa seconde épouse Martine Boutin. Ils y emménagent des chambres d’hôtes et montent un atelier où ils dispensent des cours d’expression artistique, tout en enseignant épisodiquement la bande dessinée dans des écoles de la région et participant aux bulletins municipaux ou manifestations locales ! Entré pour une opération du cœur à l’hôpital de Montpellier, François Craenhals y décède le 2 août 2004 et sera inhumé à Rivières…

Tintin belge n°50 ou français n°327 du 15 décembre 1981.

                                                                                  Gilles RATIER

(1) Jacques Debruyne ne dessinera, en fait, que deux autres albums des « 4 As » (« Les 4 As et le grand suprême » en 2004 et « Mission Mars » en 2005), secondé par Philippe Cenci et Delphine Druez pour les couleurs.

Un quarante-troisième et ultime recueil (« La Balade des 4 As ») sortira quand même en mai 2007, illustré par Alain Maury et scénarisé par Sergio Salma ; hélas, la collaboration entre ces deux sympathiques auteurs ne fut pas idéale et comme l’éditeur ne poussa guère cette tentative de reprise, la série disparut alors, dans l’indifférence générale…

Pour consulter la première partie de ce dossier, laquelle s’attarde sur les débuts de notre dessinateur et sur la série « Pom et Teddy » que viennent de rééditer intégralement les éditions BD Must, cliquez ici : François Craenhals (1ère partie).

PS : Encore tous nos remerciements à Ghislaine Craenhals, Jean-Pierre Verheylewegen et Michel Vandenbergh (du Centre Belge de la Bande Dessinée) pour l’aide qu’ils nous ont apporté dans la recherche de certains documents…

Galerie

6 réponses à François Craenhals (2ème partie)

  1. Renaud dit :

    Cet homme là avait 4 mains ma parole !
    Juste pour dire mes souvenirs émus d’enfants à la lecture des 4 as et le « Serpent de mer », « l’aéroglisseur » et « La vache sacrée ». Ca c’était de la BD enfantine intelligente !

  2. Arnaud de la Croix dit :

    Que de découvertes ! Craenhals était un grand, injustement méconnu, de la BD franco-belge. Je pense qu’on va peu à peu le redécouvrir, que le temps finira par lui rendre justice. Les intégrales parues ces dernières années et les rééditions récentes de certains de ses albums constituent un signe encourageant…

  3. dutrey jacques dit :

    Je suis ébahi par l’étendue et la variété de l’oeuvre de François Craenhals! Je n’en connaissais que Pom et Teddy, le chevalier Ardent et un peu les 4 as , et P’tit Dab par Hop!
    L’oeuvre de Craenhals reste en effet à redécouvrir, et je remercie l’infatigable Gilles Ratier de nous avoir fait découvrir son étendue.

    L’intervention minutieuse d’Hergé dans un épisode des 4 as montre à quel point Hergé estimait Craenhals. Existe-il d’autres interventions d’Hergé dans d’autres séries?

    • Gilles Ratier dit :

      Merci pour tes compliments mon cher Jacques ! En revanche, je ne suis pas assez féru sur Hergé pour te dire si, oui ou non, Hergé serait intervenu ainsi sur d’autres séries ! Si nos amis Philippe Goddin ou Benoît Peeters nous lisent, peut-être, qu’eux, ils en savent plus ?
      La bise et l’amitié
      Gilles

  4. jchrbe dit :

    Il paraît que l’inventaire des Primus et Musette reste à faire. C’est déjà bien avancé!
    jchrbe

  5. PATYDOC dit :

    A la première page de l’aventure de Primus et Musette dans le « Samedi Jeunesse » dont vous reproduisez la couverture ci-dessus, le chef des services secrets s’entretient avec un galonné par … ordinateur portable….Skype avant la lettre !  » Allo ! Mr John vous voit et vous écoute ! « … Nous étions en août 1970 !

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