« L’Écume des jours » par Marion Mousse, Jean-David Morvan et Frédérique Voulyzé

« L’Écume des jours », l’un des textes les plus célèbres de Boris Vian, est publié chez Gallimard en 1947. Lors de sa parution et jusqu’à la mort de Vian en 1959, le roman n’a aucun succès. Aujourd’hui, il est lu, analysé, décortiqué, étudié au bac, adapté, encensé.

Couverture de l'édition 1972 du roman « L’Écume des jours ».

« L’Écume des jours » est un roman d’amour et de mort ; c’est aussi une réflexion sur la société et ses codes, sur l’insouciance et la gravité. Les six personnages mènent, chacun à leur façon, une quête de vie. Colin, le personnage central, jeune homme riche, insignifiant, passionné de jazz et généreux avec ses amis, cherche l’amour qui donnera enfin un sens à sa vie d’oisif. Il le trouve en la personne de Chloé, jolie jeune fille fragile, qu’il rencontre lors d’une soirée et qu’il épouse très vite. Pour Chloé qui tombe rapidement malade, Colin dilapide sa fortune par toutes sortes d’extravagances : un mariage fastueux et drôle, une limousine transparente, des fleurs à profusion. Pour Chloé, Colin est même capable de travailler pour gagner l’argent qu’il n’a plus. Chick, l’ami de Colin et ingénieur pauvre, est passionné par l’œuvre de Jean-Sol Partre, dont il collectionne les écrits et les reliques. Son addiction le rend incapable d’aimer Alize et de la rendre heureuse. Alize, pour sauver celui qu’elle aime, emploie des méthodes radicales. Enfin, il y a Nicolas, le nouveau cuisinier de Colin, qui concocte dans sa cuisine high tech des plats inspirés de Gouffé. Ce personnage guindé et distant évolue considérablement dans le roman et devient l’ami de Colin et de Chloé, qu’il soigne avec un dévouement exemplaire. Il n’est guère disponible pour répondre à l’amour d’Isis, une jeune fille fortunée.

« L’Écume des jours » planche 1.

Et puis, il y a le nénuphar tapi dans le corps de Chloé et qui attend son heure, en lui brûlant la vie.

Chloé tombe malade, s’étiole, s’éteint. Autour d’elle, son mari, ses amis se ratatinent, vieillissent, tout comme l’appartement qui rapetisse pour devenir bientôt une boîte mortelle. Le temps de la gaité, des fêtes, des repas et de la musique  est terminé.

 

« L’Écume des jours » page 28.

Pour adapter ce roman réputé inadaptable, foisonnant, poétique et tragique, Jean-David Morvan et Marion Mousse ont choisi le parti du noir et blanc et d’une certaine sobriété graphique. Si cela peut étonner au départ lorsqu’on ouvre l’album, on adhère rapidement à ce choix. Le dessin de Marion Mousse, très fluide, sait montrer l’essence même du texte de Vian, l’irruption du fantasque dans la vie réelle, la profondeur des sentiments, le désarroi des personnages. Tout cela est maîtrisé et juste.

« L’Écume des jours » page 37.

On aime les pages foisonnantes, où l’on découvre par exemple, le fameux pianocktail, ou la cuisine de Nicolas. On aime les pages qui swinguent, comme la leçon que Nicolas donne à Colin en lui apprenant à danser le biglemoi. On aime les planches qui savent dire l’indicible, l’intime, la poésie, l’amour : la rencontre de Colin et de Chloé, ou les deux amoureux sur un banc, dans leur oasis d’arbres et de feuilles.  Et puis parfois une planche coup de poing, tel le nénuphar mortel …

Vian n’est jamais trahi dans cette adaptation d’une grande qualité, aux dialogues impeccables.

« L’Écume des jours » page 121.

Petit bonus : voici l’extrait du roman dans lequel Colin utilise pour la première fois son pianocoktail. Dans la bande dessinée cette scène se trouve aux pages 12 et 13.

Couverture de l'édition 2007 du roman « L’Écume des jours ».

« - Prendras-tu un apéritif ? demanda Colin. Mon pianococktail est achevé, tu pourrais l’essayer.
- Il marche ? demanda Chick.
- Parfaitement. J’ai eu du mal à le mettre au point, mais le résultat dépasse mes espérances. J’ai obtenu, à partir, de la Black and Tan Fantasy, un mélange vraiment ahurissant.
- Quel est ton principe ? demanda Chick.
- A chaque note, dit Colin, je fais correspondre un alcool, une liqueur ou un aromate. La pédale forte correspond à l’œuf battu et la pédale faible à la glace. Pour l’eau de Selbtz, il faut un trille dans le registre aigu. Les quantités sont en raison directe de la durée : à la quadruple croche équivaut le seizième d’unité, à la noire l’unité, à la ronde le quadruple unité. Lorsque l’on joue un air lent, un système de registre est mis en action, de façon que la dose ne soit pas augmentée – ce qui donnerait un cocktail trop abondant – mais la teneur en alcool. Et, suivant la durée de l’air, on peut, si l’on veut, faire varier la valeur de l’unité, la réduisant, par exemple au centième, pour pouvoir obtenir une boisson tenant compte de toutes les harmonies au moyen d’un réglage latéral.
- C’est compliqué, dit Chick.
- Le tout est commandé par des contacts électriques et des relais. Je ne te donne pas de détails, tu connais ça. Et d’ailleurs, en plus, le piano fonctionne réellement.
- C’est merveilleux ! dit Chick.
- Il n’y a qu’une chose gênante, dit Colin, c’est la pédale forte pour l’oeuf battu. J’ai dû mettre un système d’enclenchement spécial, parce que lorsqu’on joue un morceau trop « hot », il tombe des morceaux d’omelettes dans le cocktail, et c’est dur à avaler. Je modifierai ça. Actuellement, il suffit de faire attention. Pour la crème fraîche, c’est le sol grave.
- Je vais m’en faire un sur Loveless Love, dit Chick. Ça va être terrible.
-Il est encore dans le débarras dont je me suis fait un atelier, dit Colin, parce que les plaques de protection ne sont pas vissées. Viens, on va y aller. Je le règlerai pour deux cocktails de vingt centilitres environ, pour commencer.

Chick se mit au piano. A la fin de l’air, une partie du panneau de devant se rabattit d’un coup sec et une rangée de verres apparut. Deux d’entre eux étaient pleins à ras bord d’une mixture appétissante.
- J’ai eu peur, dit Colin. Un moment, tu as fait une fausse note. Heureusement, c’était dans l’harmonie.
- Ça tient compte de l’harmonie ? dit Chick.
- Pas pour tout, dit Colin. Ce serait trop compliqué. Il y a quelques servitudes seulement. Bois et viens à table. »

Signalons enfin que le cinéaste Michel Gondry  tourne en ce moment une adaptation du roman, qui sortira en 2013, avec Romain Duris, Audrey Tautou, Omar Sy, Gad Elmaleh, Aïssa Maïga, Philippe Toretton et Charlotte le Bon dans les rôles principaux.

Catherine GENTILE

« L’Écume des jours » par Marion Mousse, Jean-David Morvan et Frédérique Voulyzé

Éditions Delcourt (17,95 €) – IBSN 978 2 7563 8

Galerie

4 réponses à « L’Écume des jours » par Marion Mousse, Jean-David Morvan et Frédérique Voulyzé

  1. dutrey jacques dit :

    Y’a pas une erreur dans la première image?

  2. sylvie dit :

    juste un commentaire – ce n’est pas le terme de pianococktail mais pianocktail !!!! voir page 32 edition livre de poche !!! merci de faire la correction car l’erreur est importante …

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