L’atelier Franquin

Le cinquième tome de la fabuleuse intégrale des aventures de « Spirou & Fantasio » concoctées par ce génie du dessin qu’était Franquin vient de sortir aux éditions Dupuis.

Elles rééditent, de façon chronologique, toutes les couvertures, dessins et bandes dessinées concernant ces personnages qu’il a dessiné et qui ont été initialement publiés dans l’hebdomadaire Spirou, de 1956 à 1958 : c’est-à-dire des épisodes assez longs comme les fameux « Nid des Marsupilamis » ou « Voyageur du Mésozoïque », mais aussi de petits joyaux, à la pagination moins consistante, comme « Le homard » ou « La foire aux gangsters ». Certaines pages sont même pratiquement inconnues du grand public, tels les deux très courts récits humoristiques que sont « Fantasio et le siphon » et « Les patins téléguidés » qui avaient été publiés dans Spiroupoche, éphémère journal publicitaire lancé par les Dupuis en 1957.

Quand on fait allusion aux travaux collectifs réalisés dans un lieu unique pendant les grandes heures de la bande dessinée belge, on pense tout de suite aux studios Hergé, ou à ceux de Peyo et de Greg, mais pas du tout à celui de Franquin. Et pourtant, le créateur de « Gaston », celui qui a su donner une âme et un univers à « Spirou & Fantasio » (dixit Patrick Pinchart préfacier de cette intégrale), se décida à fonder un atelier séparé de son domicile afin de répondre aux demandes de matériels, de plus en plus pressants, de son éditeur qui en avait besoin pour percer dans un marché français encore sous-exploité. Basé avenue du Brésil, pas très loin du Bois de la Cambre où Franquin aimait tant flâner quand il était en manque d’inspiration, ce petit appartement bruxellois accueillait aussi un jalon essentiel en la personne du maître décoriste qu’était Jidéhem, ainsi qu’un certain Marcel Denis. Si l’auteur de « Ginger », et bientôt de « Starter » ou de « Sophie », allait devenir son assistant préféré sur d’autres épisodes de « Spirou & Fantasio », et surtout sur « Gaston Lagaffe » (où il est immortalisé sous les traits d’un homme d’affaire à la recherche de contrats signés, en lui prêtant son vrai nom : De Maesmaker), Marcel Denis, lui, est plutôt inconnu du grand public.

Marcel Denis (1923-2002) fait ses premières armes dans la bande dessinée au Petit Vingtième, en 1940, avec « Pip, scout modèle ». On le retrouve ensuite, en 1947, dans les hebdomadaires L’Optimiste (avec « Les aventures du professeur Vianrose ») et La Défense Sociale (avec trois épisodes des « Aventures de Jim et Bill Blutterson détectives »). Parallèlement, de 1944 à 1952, Marcel Denis réalise des illustrations et des dessins de presse pour de nombreux journaux belges (Le Moustique, le Soir, Pein Jeu, la Libre Belgique, l’Optimiste, Pourquoi pas ?…). C’est en 1952 qu’il est engagé comme lettreur, puis comme illustrateur et metteur en page, aux éditions Dupuis, et particulièrement au studio de dessin qu’ouvre Maurice Rosy (aux côtés de Charles Degotte et de Paul Deliège). C’est par l’intermédiaire de Rosy, alors directeur artistique chez Spirou, que Marcel Denis entre dans l’atelier de Franquin, mais il n’y restera pas très longtemps : juste le temps de réaliser les scénarios des deux courtes histoires pour Spiroupoche, et de faire un peu de lettrage. Par la suite, il créera « Les frères Clips », de 1958 à 1969 (deux inventeurs, pleins de bonne volonté, dont les trouvailles terminent systématiquement en catastrophe), dessinera divers autres mini-récits (de 1960 à 1964), scénarisera trois aventures d’« Hultrasson le Viking » (de 1964 à 1967) et deux du « Vieux Nick et Barbe-Noire » (de 1968 à 1970), des héros créés graphiquement par Marcel Remacle, et sera surtout le responsable de deux aventures méconnues de « Tif et Tondu », en 1960 et 1961 : « Tif et Tondu à Hollywood » et « Ne tirez pas sur l’hippocampe ! » qui viennent d’être rééditées aux éditions La Vache qui médite, en attendant d’intégrer, un jour peut-être, l’intégrale que les éditions Dupuis consacrent à ces deux personnages, chauve et barbu. Marcel Denis reviendra dans l’escarcelle de l’atelier Franquin, en 1959, pour réaliser une histoire collective : « L’île du Boumptérix ». Sur une idée du papa de « Gaston », il écrit un scénario de douze pages mettant en scène un oiseau, un peu particulier, qui pond des oeufs explosifs ! Jean Roba est au dessin et Jidéhem aux décors, et le tout est signé du pseudonyme collectif Ley Kip. Souffrant de graves problèmes de santé, après une opération à cÅ“ur ouvert, il finit par laisser complètement tomber la bande dessinée, métier trop incertain, pour se réorienter vers l’imprimerie et la peinture.

En 1958, il sera remplacé, au sein de l’atelier, par Jean Roba qui faisait alors ses débuts et qui aidera surtout Franquin sur les mythiques aventures de « Spirou & Fantasio » parues dans le quotidien Le Parisien Libéré, lesquelles devraient constituer le sommaire du tome 6 de l’intégrale en cours (« Spirou et les hommes-bulles », « Les petits formats » et « Tembo Tabou »), avant de créer ses propres séries : « Boule et Bill » (en 1959) et « La Ribambelle » (en 1962). Curieusement, l’idée de cette bande de gamins fut donnée par André Franquin, toujours en 1957, à un autre débutant, Jo-Ël Azara, lequel venait chercher conseil auprès de lui : et c’est Marcel Denis qui s’occupera du scénario du récit de quatre pages « Opération ciseaux », la véritable première aventure de « La Ribambelle » (illustrée donc par Azara), qui paraîtra dans Spirou en 1958. Ce n’est que cinq ans plus tard que Roba repris ce concept, se faisant aidé quelques fois par Vicq, Yvan Delporte, Maurice Tillieux et Jidéhem : retrouvant ainsi toujours la même bande de joyeux copains !

Gilles RATIER

PS : les renseignements sur Marcel Denis proviennent, en grande partie, du site Wikipedia : http://fr.wikipedia.org/wiki/Marcel_Denis

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