« Naoki Urasawa : l’air du temps » par Alexis Orsini

Il est de plus en plus rare de trouver des livres dédiés exclusivement à un auteur de bande dessinée. La plupart des biographies sont écrites conjointement à la réédition d’une intégrale et peu d’auteurs étrangers ont l’honneur d’un tel traitement. Alors, un auteur japonais, imaginiez-vous cela possible, ne serait-ce qu’il y a quelques années. Le grand public européen connaissait à peine les mangas, il y a seulement 20 ans…

Ceci dit, le livre d’Alexis Orsini ne s’attaque pas au moins illustre des dessinateurs japonais. Avant lui, nous avions la traduction du livre de l’Anglaise Hélène Mc Carty qui traitait du dieu du manga, Osamu Tezuka. Le reste des ouvrages en français se focalisent sur Hayaho Miyazaki, mais plus principalement sur son travail cinématographique et non en tant que mangaka. Écrire sur Naoki Urasawa est un pari osé, mais qui tombe sous le sens pour un premier ouvrage. L’auteur de « Monster » est réputé auprès des fans de mangas, mais également des amateurs de bande dessinée et de polars. Il arrive à toucher un cercle plus vaste que la plupart de ses compatriotes : ses ventes l’attestent. Alexis Orsini connaît bien son sujet. En 2005, alors âgé de 15 ans, il ouvre un site web centré sur l’auteur de « 20th Century Boys » qu’il nomme bien évidement : La Base secrète

Contrairement aux livres grand public sur un auteur de BD, cet ouvrage ne se contente pas de survoler la carrière d’Urusawa. Véritable monographie, il s’ouvre sur une première partie riche d’enseignements et d’anecdotes personnelles comme professionnelles. Alexis Orsini analyse chaque série que l’auteur a publiée en France, comme au Japon. Il évoque aussi bien « Pineapple Army » (publiée très brièvement en France chez Glénat) que « Yawara » et « Master Keaton » encore inédits chez nous. Il enchaîne naturellement sur toutes les autres traductions en français qui ont fait sa renommée : « Monster », « Happy », « 20th Century Boys », « Pluto », jusqu’à « Billy Bat » dont la publication vient juste d’être commencée par l’éditeur Pika.

Dans un second temps, le livre fait une analyse plus poussée de l’œuvre même d’Urasawa. Une première partie analyse chaque « figure » récurrente du maître, « les enfants », « les vieux », « les héros », « les méchants », « les personnages secondaires » et « les femmes ». Une seconde partie analyse les motifs récurrents, « une romance originale, mais rarement centrale », « le sexe chez Urasawa : d’une période « sauvage » à une utilisation minimale », « le pouvoir de la musique », « la culture otaku comme véritable tenant scénaristique », « de l’importance de bien manger », « une mémoire trouble », « questionnement et principe religieux », « entre réalité et fiction », « l’influence de la réalité » et « élements autobiographiques ». Une troisième partie s’intéresse à la représentation du monde chez Urusawa, en passant par les États-Unis, l’Europe et, bien évidemment, le Japon. Chacun de ces sujets est traité de manière érudite par Alexis Orsini. Il les analyse pertinemment et offre, ainsi, une vision personnelle et précise des mangas de cet auteur. Il s’astreint à nous faire découvrir les détails cachés et les petites anecdotes qui auraient pu nous échapper. Il remet en parallèle la chronologie des publications et l’évolution des personnages récurrents, des lieux et des situations. Un travail assez intéressant, instructif et agréable à lire.


Les derniers chapitres parlent de l’influence qu’ont eue le cinéma, la littérature et, bien sûr, Osamu Tezuka sur le travail d’Urasawa. Il est évident qu’un auteur contemporain ne peut qu’être qu’inspiré par la culture qu’il a ingurgitée durant sa jeunesse. Il ne fait pas exception à la règle. Néanmoins, derrière les poncifs se dévoilent les œuvres et les créateurs qui ont contribué à faire de lui un maître du suspens à l’écriture et au dessin, maintes fois récompensé. Ces chapitres auraient peut-être mérité une analyse encore plus profonde, mais pour cela il aurait fallu organiser un entretien avec le mangaka. Apparemment Alexis Orsini n’a jamais rencontré Naoki Urasawa, il a basé tout son travail de recherche et d’analyse sur les nombreuses interviews qu’il a pu trouver dans les magazines japonais ou en langue anglaise. Entretiens inaccessibles pour la plupart des fans, car non traduits en français.

Ce livre indispensable pour tous les amateurs de Naoki Urasawa, et ils ont nombreux, n’est pourtant pas exempt de défauts. Déjà, comme je le signalais, Alexis Orsini n’a pas confronté ses idées avec le maître, il a extrapolé sur les divers interviews glanés au Japon. Même si cela n’enlève rien au travail formidable réalisé, il manque une petite partie plus personnelle sur la manière de travailler du mangaka, sur ses habitudes et sa vie quotidienne. J’aurais aimé en savoir un peu plus sur sa passion de la musique, du rock, de Dylan et de son influence réelle sur son œuvre et sa vie. J’aurais aimé savoir comment se déroulait une journée typique, sur le matériel utilisé, sur l’organisation de son temps de travail étape par étape. Il manque quelques détails plus personnels pour permettre aux fans de se sentir plus proches de cet auteur. Cependant l’analyse des sujets du livre est pertinente est a le mérite de permettre d’appréhender ces histoires sous un angle nouveau ou de compléter sa réflexion personnelle.

Ensuite, sur la forme, il y a quelques points qui m’ont personnellement gêné. Il manque une cohérence éditoriale aux divers chapitres. La première partie regorge de renvois qui sont regroupés au milieu du livre alors que la seconde partie et les suivantes ont toutes des notes intégrées en bas de page. C’est un peu déroutant et surtout rend impossible une recherche facile. Un renvoi en fin de livre pour toutes les notes aurait été plus simple. Ou alors, il aurait fallu les identifier aisément afin de ne pas perdre de longues minutes à feuilleter le livre à la recherche de ces informations précieuses, mais ne se distinguant pas immédiatement entre deux chapitres. Le sommaire aurait également mérité d’être plus étoffé, il reprend bien les grandes lignes directrices de l’ouvrage, mais aucune des sous-sections, qui en font la richesse de l’analyse, n’y est indiquée. Difficile d’y retourner sans devoir feuilleter de nombreuses pages. En fait, ce livre se lit de manière linéaire, sans offrir un terrain propice au vagabondage, selon les sujets. Impossible, en l’état, de s’en servir de référence sans être frustrés par une recherche fastidieuse d’un thème précis.

En revanche, le livre est bien illustré et même si l’on n’a pas lu tout Urasawa, il est agréable d’en avoir une vision précise et iconographique. Derrière cet ouvrage, on sent le travail de passionné d’Alexis Orsini. Il arrive à nous intéresser à la globalité de l’œuvre sans être condescendant ou trop littéraire. Il nous en apprend plus sur la relation privilégiée qu’il a tissée avec son éditeur Takashi Nagasaki. Il confirme l’influence qu’a eu Osamu Tezuka et comment il est arrivé à réaliser « Pluto ». Grâce à l’analyse poussée des personnages et de l’univers de cet auteur, on est, de notre côté, amené à une réflexion plus personnelle sur son propre ressenti et sa propre vision de chaque histoire. Si toutes les images sont en noir et blanc, conformément aux originaux des mangas dont elles sont tirées, il est à noter que les 2 premiers feuillets du livre sont en couleurs avec 4 superbes illustrations pleine page.

Première monographie d’un mangaka parue en France chez l’éditeur lyonnais Les Moutons électriques, « Naoki Urasawa  : l’air du temps » est aussi le premier livre écrit sur cet auteur important, en dehors du Japon. Espérons que cela n’est qu’un début et que d’autres mangakas auront, eux aussi, les honneurs d’un tel traitement. En attendant un complément éventuel, Naoki Urasawa étant invité d’honneur de l’édition 2012 de Japan Expo (1)

Gwenaël JACQUET

« Naoki Urasawa : l’air du temps » par Alexis Orsini

Les Moutons électriques, collection La Bibliothèque des miroirs — BD n°8  (23.00 €) – ISBN 978-2-36183-076-2

(1) Japan Expo 2012 : du 5 au 8 juillet 2012. Parc des expositions Paris Nord Villepinte http://www.japan-expo.com.

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