Gani Jakupi : « La Dernière image »

Sous titré « Une traversée du Kosovo de l’après guerre », l’album « La Dernière image » met en scène son auteur, journaliste pour l’heure, épaulé d’un photoreporter qui se révèle adepte de sensationnalisme. L’occasion pour Gani Jakuki (prononcez « Yakupi ») d’engager une réflexion sur le travail et les devoirs des reporters d’images qui parcourent le monde et ses conflits.

Quand prend fin, mi 1999, le conflit au Kosovo, un magazine ibérique propose à Gani Jakupi de faire, en compagnie d’un photographe, un reportage sur son « retour au pays » : « À l’époque, nous indique l’auteur kosovar, j’étais, au travers de mon travail avec de nombreuses ONG, devenu un interlocuteur incontournable des medias, sans doute le seul en Espagne disposant d’une expertise sur la guerre en ex-Yougoslavie et capable d’argumenter contre l’opposition à l’intervention au Kosovo qui s’était développé dans le pays ».

L’expérience se révèle vite très délicate pour le scénariste de « Matador », tiraillé entre la dimension très personnelle de la mission et la nécessité du recul journalistique, une profession qu’il n’a jusqu’à lors exercé que de manière occasionnelle. Celle ci finit par tourner court, l’auteur se révélant en désaccord avec le traitement proche du sensationnalisme que souhaite donner au reportage le photographe qui travaille avec lui. Le reportage ne sera d’ailleurs jamais publié « ce récit était, dès l’origine, vraiment lié à la publication des photos qui avaient été prises mais le photographe s’est brouillé avec le magazine qui avait commandé le reportage et celui ci est resté dans les tiroirs », nous révèle Gani Jakupi.

Quelques années plus tard,  Clotilde Vu, éditrice chez Noctambule, « qui souhaitait un ouvrage autour des photoreporters », propose à l’auteur du « Roi invisible » de puiser le contexte de son histoire dans ce moment de sa vie : « Je n’en voyais pas l’intérêt, nous explique Gani Jakupi, car je jugeais cette expérience anecdotique. Mais le désir est né avec le travail. Dans mon esprit, il ne s’agit nullement d’une histoire sur la guerre au Kosovo mais l’exploitation narrative et graphique de ce fragment de ma vie me permettait un positionnement à la fois intérieur et extérieur au système journalistique, qui convenait parfaitement à la thématique que je voulais aborder, à savoir traiter le rôle des journalistes de guerre, et en particulier celui des reporters photographes. »

La guerre et ses conséquences dramatiques sont toutefois bien présentes et le lecteur s’attache aux pas de l’auteur, jusqu’à l’horreur même, celle du charnier de sa famille massacrée, que lui  indique son cousin. L’essentiel est pourtant ailleurs : « Il m’a fallu prendre du recul sur la dimension autobiographique de l’ouvrage, pour pouvoir m’attacher au regard critique que je souhaitais développer, sur la notion de reportage et les ambiguïtés véhiculées par les systèmes d’information, quelquefois soumis à la tentation du spectaculaire ». Le traitement graphique de l’album suit cette optique de langage journalistique, l’auteur ayant renoncé aux dialogues et accompagnant l’instantané réaliste des images avec des textes off séquencés. Des images qui disparaissent par ailleurs à la toute fin de l’album, Gani Jakupi offrant, en guise de postface, de passionnants entretiens réalisés avec six grands reporters, concernés par son sujet, portant sur la conception qu’ils portent à leur travail, et notamment les responsabilités que celui-ci implique.

Laurent TURPIN

« La Dernière image » par Gani Jakupi

Editions Soleil-Noctambule (17,95 euros) – ISBN : 978-2-302-02062-7

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